6250.- Histoire d’Haiti: 1843-1915

Classification Histoire et Société

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Section III: La première décade du XXè siècle

Section IV

Les Éphémères

Cincinnatus Leconte


Au départ d’Antoine Simon, Cincinnatus Leconte devint le président d’Haiti. Après avoir été accepté comme chef du pouvoir exécutif, il fut élu le 14 août 1911 par l’Assemblée nationale.

Un politicien et général de l’armée dont la dernière grande démarche militaire fut de se retrouver à la tête des cacos du Nord qui avaient fait appel à lui alors qu’il se trouvait encore en exil. À leur tête, il avait marché sur Port-au-Prince et précipita le départ d’Antoine Simon.

Cincinnatus Leconte avait été membre du cabinet ministériel de Tirésias Simon Sam. Il occupait alors la fonction de ministre des Travaux publics et de l’Agriculture.  Auparavant, et après des études en Allemagne où il décrocha un diplôme en génie civile, il se lança dans l’enseignement pour, ensuite, occuper plusieurs postes dans la fonction publique au niveau local [Voir son profil].

Malgré ses déboires avec la justice et son inculpation lors du procès de la consolidation, il entra au palais national animé de bonnes intentions, prêt à combattre la corruption et à nettoyer l’administration publique. Pour ce, il fit appel à des hommes compétents et expérimentés. Il exigea des administrateurs de la fonction publique une grande intégrité.

Comprenant que l’armée fut l’ une des institutions responsables des nombreux troubles et même de la corruption dans le pays, il tacha de réformer l’institution en faisant appel à des jeunes qui recevaient alors une formation basée sur l’ordre et la discipline militaires. Ils devinrent membres d’une unité d’élite appelée « la Réforme ». Les cacos lui avaient voulu de les avoir  écartés de cette armée, eux qui avaient fait appel à lui pour s’imposer face aux troupes d’Antoine Simon.

Durant la présidence de Cincinnatus Leconte, Haiti commençait à jouir d’une certaine réputation en projetant l’image d’un pays gouvernable, donc positive. Sa lutte pour assainir l’économie ont grandement contribué à cette image. Se faisant, malheureusement, il multiplie ses ennemis quoique sa bienveillance envers les plus humbles lui ont valu une opinion favorable de la grande majorité du peuple. Certains pourtant le jugeaient trop près des Allemands quoique il ait décliné des offres d’emprunt de leur part pour ainsi garder le contrôle financier du pays. Il continua la guerre ouverte contre les syriens débutée sur Nord Alexis qui voulait limiter leur flux immigratoire et exigeait d’eux une licence pour se lancer dans le commerce(1). Il attaqua la contrebande, ce qui lésait les intérêts des grands commerçants étrangers. Quand aux politiciens et aux chefs militaires rapaces, ils ne cachaient pas leur colère quand l’accès du trésor public leur fut fermé. Ainsi, quand il perit dans l’explosion du 8 août 1912, beaucoup d’historiens, faute de pouvoir identifier un coupables dans cette tragédie, pointèrent du doigt tous ces secteurs comme ayant un motif pour se défaire du président. L’explosion du 8 août 1912, qui détruisit le palais national, ensevelit le chef de l’État, des membres de sa famille et quelques centaines de soldats et mit ainsi fin à un gouvernement ouvertement progressiste qui n’a malheureusement duré qu’un an et 3 jours.

Débuta alors la valse des éphémères qui s’est terminée trois ans plus sur la tragique note d’un assassinat et le drame d’une occupation de 19 ans.

Huit mois de président de Tancrède  Auguste


Le jour même de l’explosion, le mécanisme de la succession fut mis en branle. L’Assemblée nationale, se réunissant pour la circonstance, fit du général Tancrède  Auguste(2) le successeur de Cincinnatus Leconte après un vote où celui-là recueillit 99 voix alors que les autres candidats, Michel Oreste et Luxembourg Cauvin, ne recueillirent que 8 et 7 voix respectivement. Comme Leconte, Tancrède fut l’un des condamnés durant le procès de la consolidation. Comme son prédécesseur, il fut plus tard l’objet d’une grâce présidentielle. Il avait occupé une place importante dans les cabinet de Florvil Hyppolite et de Tirésias Simon détenant le portefeuille de l’Intérieur.

Ami personnel de Leconte, il comptait poursuivre la politique de ce dernier et conserva même, dans un premier temps, son cabinet ministériel. Le palais détruit, il envisageait de le reconstruire immédiatement et entreprendre un programme d’urbanisation de la capitale pendant les travaux.

Comme ses prédécesseurs, il eut à affronter de grandes difficultés économiques et, en conflit avec la Banque de la République réaménagée sous le gouvernement d’Antoine Simon, il décida de faire appel aux étrangers, les Allemands surtout, pour la réalisation de son programme de gouvernement. Malheureusement, sa présidence ne fut que de courte durée. Le 2 mai 1913, soit 8 mois et 24 jours après son élection, il rendit l’âme de façon inopinée. Ses funérailles qui eurent lieu à la cathédrale de Port-au-Prince deux jours après son trépas se déroulèrent dans une atmosphère tendue avec, à l’extérieur de l’église de grandes tumultes.

Dans l’après-midi, les parlementaires se réunirent pour lui donner un successeur alors que s’affrontèrent à l’extérieur du Parlement deux factions de l’armée: des soldats de l’arrondissement militaire de Port-au-Prince sous le commandement du général Edmond Défly et ceux de la Garde et de la « Réforme », cette unité d’élite créée par Leconte, sous le commandement du général Maurice Ducasse. Avec le triomphe de ce dernier, le coup de Défly a été évité et les élections ont pu se poursuivre. Michel Oreste, après avoir obtenu 72 voix sur les 95 recueillies fut proclamé président d’Haiti.

Michel Oreste, la grande déception


AvMichel Oreste: Photoocat de profession et professeur de droit administratif, Michel Oreste devint le premier civil à devenir chef d’État en Haiti. Il n’était donc pas bien vu des militaires qui avaient l’habitude de se trouver au-devant de la scène politique et pouvaient faire et défaire les gouvernements. Un civil est une aberration, d’autant plus que ce civil voulait poursuivre la réforme de l’armée initiée par Leconte, réduire les dépenses de cette puissante institution et supprimer les prébendes distribuées aux chefs cacos, grands absents dans son gouvernement.

La dossier du retrait du papier-monnaie, envisagé par tous les gouvernements précédents depuis Nord Alexis, resta d’actualité. Il se montra alors contre le retrait progressif du papier-monnaie et voulait le retrait de tous ces papiers et leur remplacement par une monnaie. Les obstacles à cette démarche venaient de plusieurs secteurs dont, en premier lieu, la Banque d’Haiti. Ceux qui possédaient des stocks de papier-monnaie s’y montrèrent farouchement opposés parmi ceux-ci les étrangers qui profitaient de toutes les situations malheureuses que connut le pays pendant les 12 dernières années. Contrebandes, extorsions tous les moyens sont bons pour augmenter leur richesse. L’extorsion honteuse des frères Peters fut un exemple patent de l’attitude immoralement affairiste ces étrangers.

Émile et Hermann Peters, propriétaire d’ une aciérie dans la Plaine du Cul de Sac se dirent victimes des troubles de 1911 qui auraient occasionné la perte de leur factory dû à un incendie criminel. Il exigèrent alors du gouvernement en guise de réparation 300,000 dollars. Malgré la nature frauduleuse de leur demande, le gouvernement décida de leur donner 125,000, ce qui qui suscita la désapprobation du Sénat de la République. Cette ultime extorsion porta un coup terrible au président Michel dont la réputation d’homme intègre embrassant jusqu’alors des principes de libéral commençaient alors à s’effriter. La plus grande déception cependant vint du fait qu’il essaya lors des élections législatives de janvier 1910 d’imposer des candidats qui lui auront été fidèles.

Le Nord, en état de rébellion latente, se souleva. L’insurrection, en peu de temps, se propagea dans l’Ouest, notamment à Thomazeau, le 31 décembre 1913, et dans l’Artibonite où deux chef cacos, Davilmar Théodore et Oreste Zamor s’affrontèrent. Michel Oreste, devant la gravité de la situation, et se sentant isolé, remit le 27 janvier 1913 sa démission au Sénat de la République. Dans sa note de démission, il accusa le peuple de n’avoir pas compris ses démarches entreprises uniquement pour son bien-être. Deux jours plus tard, le 29 janvier, il prit le chemin de l’exil et s’établit à Kingston, Jamaïque. Les luttes fratricides pour la conquête du pouvoir sont alors reprises avec, au premier rang des chefs cacos de la trempe d’Oreste Zamor, de Davilmar Théodore et de Vilbrun Guillaume Sam qui tous gouteront pour une courte durée aux fruits âcres de la présidence.

Les trois derniers chefs d’État avant l’occupation américaine


Trois constantes marquaient les présidences des trois derniers chefs d’État avant l’occupation américaine.

  1. Ils se sont tous imposés par la force des armes et l’Assemblée nationale n’a fait qu’approuver un état de fait en les remettant la présidence, pour un mandat de sept ans..
  2. Ils ne sont restés au pouvoir que quelques mois, forcés de se retirer par la violence et menaces des bandes armées appelées alors Cacos.
  3. Durant chacune de ces présidences, le gouvernement américain essaya d’obtenir le contrôle financier d’Haïti d’abord par diplomatie et ensuite par chantage.Ils promettaient en échange:
    1. Leur protection contre l’agressivité des puissances étrangères dont l’Allemagne et l’élimination des troubles internes.
    2. Le flux d’investissement américains qui auraient permis à ces président de renégocier la dette publique et de mieux gérer le dossier de la monnaie avec le retrait des papiers-monnaies.

    Évidemment, tous ont refusé de signer le contrat qui aurait permis aux Américain de prendre en charge les finances du pays, de peur de passer à l’histoire comme ceux qui auraient hypothéqué la souveraineté du pays.

Photo de Vilbrun Guillaume SamLe dernier président de cette période de gouvernements éphémères fut le général Vilbrun-Guillaume Sam. Auparavant délégué du gouvernement dans le Nord, il avait déjà manifesté ses velléités présidentielles après le départ de Michel Oreste.

Quand il entra à Port-au-Prince le 25 février 1915, il fut reçu en triomphateur et l’Assemblée nationale, par un vote le 7 mars suivant fit de lui le président d’Haïti pour un mandat de sept ans. Deux jours plus tard, il fut investi dans ses fonctions.

Les deux premier mois furent marqués par une certaine diligence de donner à l’État un autre visage par des réformes structurelles. Certains de ses puissants partisans obscurcissent ses démarches par leur zèle, en remplissant les prisons de soi-disant opposants et fauteurs de trouble.

Les Cacos insatisfaits reprirent la lutte fratricide. Cette fois avec pour chef nominal, Rosalvo Bobo, un médecin qui nourrissait depuis quelques années le rêve de devenir président d’Haïti. Malgré les déconvenues de Bobo et d’un de ses groupes dans le Nord, les cacos parvinrent à entrer dans la capitale et attaquèrent dans la nuit du 26 au 27 juillet 1915, le palais national. Le président  blessé et pensant que tout était perdu trouva refuge au consulat français, laissant une note au commandant de l’arrondissement de Port-au-Prince, Charles-Oscar Étienne. Celui-ci, interprétant mal une partie de la note donna, l’ordre d’exécuter les prisonniers enfermés au pénitencier national, parmi lesquels l’ancien président, Oreste Zamor. Quand la population découvrit l’horrible massacre, elle se rendit aux légations française et dominicaine où se trouvaient Sam et Charles Oscar Étienne, s’accapara d’eux et les tua.

Le gouvernement révolutionnaire constitué à la capitale n’eut même pas le temps de se faire connaître de la population, les Américains débarquèrent le 28 juillet. Ce fut l’OCCUPATION.

 

  1. « Loi du 24 juillet 1903 » publiée dans Le Moniteur (Haiti) du 8 juin 1904 in: Recueil des lois et actes de la République d’Haïti de 1887 à 1904″ tome III: 1900-1904. Port-au-Prince : Chez l’auteur, 1912; pp. 345-347.
  2. « Décret de l’Assemblée nationale nommant Tancrède Auguste, président de la République » in: Mathon, Etienne. Annuaire de législation haïtienne contenant les lois votées par les chambres législatives en l’année … Décrets et arrêtés d’intérêt général. Port-au-Prince : Imprimerie J. Verrollot, 1913; p. 7.

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Date de création: 17 juillet 2017
Date de révision : 16 octobre 2024 à 12:47