Origine des Raras:
Fête printanière liée au vodou, le festival des Raras se déroule pendant la saison de Carême, avec une grande intensité et des parades durant la fin de semaine de Pâques. C’est une pratique qui semble s’être développée au temps de la colonie française, société esclavagiste. Avant les fêtes de Pâques, des esclaves habillés de costumes simulés royaux, dansant au son de la musique ancestrale, visitaient les « grandes maisons » des plantations pour solliciter des dons en nourriture ou en argent. Plus tard, apparaitront des bandes de Rara sur ce modèle.
Aujourd’hui, ces bandes sont organisées généralement dans les campagnes avec des centres d’activités bien connus, quoique, dans certaines villes, on peut remarquer des groupes rara mis sur pied par des jeunes qui veulent une certaine récréation pendant la longue période de carême. Dans certaines régions, un groupe de Rara peut également être une société secrète (connue sous le nom de Bizango ou Chanpwèl), ne sortant que la nuit. Elle suscite l’effroi et bien des inquiétudes chez les riverains des zones de passage.
Rara et vodou:
Pour certains adeptes du vodou, le Rara est considéré comme une obligation sacrée envers les lwas et nombre de ses rituels, avant de sortir dans les rues, trouvent leurs racines dans la religion ancestrale. Ainsi, certaines bandes rara sont liés à des temples vodou appelés « Woufò » ou à une communauté appelée « Lakou ». Déployant des porte-drapeaux, des bannières et utilisant des titres militaires, les bandes rara reflètent le militarisme associé au rituel Petwo-Kongo. Par exemple, le rythme adopté par les Raras est joué sur une variété d’instruments de fer. C’est essentiellement un « kata », rythme du rituel des cérémonies dédiées au loas du panthéon Petwo.
La figure de colonel utilisant un fouet et un sifflet (comme dans le rythme Petwo) est celle du chef, du leader. Son rôle est de diriger les musiciens et intégrants du groupe et de purifier l’espace de son itinéraire. De plus, les tambours et les instruments à percussion sont essentiellement les mêmes utilisés dans les cérémonies Petwo et Kongo: un grand tambour, appelé en créole « gwo baka », des tambourins, des tambours Kongo à deux têtes joués avec deux bâtons comme un tambour latéral, un grand hochet en étain, souvent en forme de croix (en créole: tchancy), des tchatcha et grattoirs (en créole: graj).
Les bandes:
Outre les tambours mentionnés plus haut, l’ensemble instrumental d’un rara comprend des trompettes en bambou à une note, des vaksin en bambou, et des trompettes en étain appelées konè (de couronne). Les trois vaksin, ouverts à une extrémité avec un trou de bouche découpé dans un nœud de bambou à l’autre, sonnent une figure ostinato composite. Les joueurs tapotent également les tubes de bambou avec des bâtons afin d’ajouter une couche supplémentaire de percussion. Les joueurs de konè peuvent renforcer le vaksin ostinato, jouer des motifs improvisés ou fredonner la mélodie de la chanson tout en soufflant pour créer un complément mystérieux et kazoo à la chanson.
De son quartier-général, une bande rara commence sa tournée avec très peu de personnes. Le nombre augmentent en cours de route pour atteindre quelquefois des centaines de personnes. Au point de retour, on remarque généralement les mêmes figures qu’au départ.
À la tête de tout groupe rara, on retrouve un chef ou propriétaire (mèt rara), accompagné du colonel, d’un porte-drapeau et un groupe de majors portant des costumes en paillette, une casquette ou une coiffe tenant en main des bâtons sacrés, qu’ils jonglent avec une dextérité qui laissent les assistants ébahis. S’arrêtant devant la maison des patrons et de grands supporteurs, ils rendent hommages par un chant de salutations (en créole: ochan), des danses, avant que les reines, les danseuses les plus ardentes du groupe généralement vêtues de rouge, recueillent les dons. Les chansons, composées et dirigées par un samba (chef de chant paysan traditionnel), sont d’actualité et parfois obscènement ludiques, critiquant ou ridiculisant souvent ceux qui sont perçus comme ayant transgressé contre le groupe, contre certains tabous, ou pour avoir échoué dans la vie publique.
L’atmosphère dans un groupe rara est celle d’une liberté exubérante et d’espièglerie, avec un sentiment de danger. La méfiance et la concurrence caractérisent les relations entre de nombreux groupes, et on rapporte souvent que certains essaient même de détruire les concurrents en se servant de magie. Les adeptes du Rara alimentent l’idée que des esprits (lwa) jaloux sèment quelquefois la pagaille dans les groupes dévoués aux divinités rivales.
Conclusion:
Les Raras sont une particularité haïtienne, souvent mal vues par les élites eurocentristes et les adeptes de cultes religieux ayant des racines aux États-Unis. Pour ces derniers, ces bandes et leur performance publique se révèlent une pratique vodou célébrée au grand jour. Ces attaques n’ont pas empêcher la tradition de continuer, et ce, depuis plus de deux siècles. Les responsables et organisateurs se montrent souvent imperméables au contrôle venant de l’extérieur.
En effet, contrairement au carnaval hautement commercialisé et politisé, les Raras échappent souvent au contrôle de l’État et des grandes entreprises commerciales, malgré de nombreuses tentatives de ces dernières et des interventions ponctuelles de l’État, sous pretexte de préservation de la culture populaire. Le fait est que les Raras se maintiennent grâce au travail et support d’acteurs locaux qui considèrent les interventions extérieures comme suspectes et dépravantes pour cette tradition folklorique. Toutefois, la physionomie des Raras a beaucoup changé ces derniers temps avec l’arrivée, parmi ces acteurs locaux, de dirigeants scolarisés et/ou issus de la diaspora avec des nouvelles méthodes de gestion, de nouveaux instruments, et un sens de modernisation.
Certaines régions sont très connues pour leur Rara. C’est le cas de Léogâne, de la Plaine du Cul-de-Sac dans le département de l’Ouest, de Petite Rivière de l’Artibonite où les défilés attirent beaucoup de spectateurs.
📚 Bibliographie
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