Discours du Pape Jean-Paul II.
1. Je suis heureux de vous accueillir, Évêques de l’Église catholique en Haïti, au moment où vous accomplissez votre visite ad limina. Pleins de reconnaissance pour Jésus Christ qui vous donne la force et qui vous a fait confiance en vous chargeant du ministère (cf. 1 Tm 1, 12), vous êtes venus affermir les liens de communion qui vous unissent au Successeur de Pierre. Je souhaite que ces moments de rencontre avec le Pape et ses collaborateurs, nourris par une intense prière d’action de grâce, consolident les liens d’unité au sein de votre Conférence épiscopale et vous confortent dans le don de vous-mêmes au service du peuple de Dieu. Que l’Esprit Saint rende fécond votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul, afin que vous soyez renouvelés dans votre élan missionnaire!
« Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ, en présence de Dieu notre Père » (1 Th 1, 3). Par cette salutation de l’Apôtre Paul, je veux faire écho aux aimables paroles que vient de m’adresser Mgr Hubert Constant, Évêque de Fort-Liberté et nouveau Président de votre Conférence épiscopale, me faisant partager vos joies et vos préoccupations. Lorsque vous retournerez en Haïti, faites savoir aux prêtres de vos diocèses, aux religieux, aux religieuses, aux catéchistes, aux fidèles laïcs, spécialement aux jeunes, que le Pape prie pour eux, qu’il se tient à leurs côtés dans les durs combats qu’ils ont à mener pour annoncer l’Évangile et pour promouvoir une humanité renouvelée selon le cœur de Dieu ! Que leur foi soit toujours plus enracinée dans la Parole du Christ, fortifiée par les sacrements de l’Église, soutenue par l’enseignement de leurs Pasteurs ! Que leur espérance tienne bon, puisant dans le mystère pascal l’assurance que les forces de mort ne seront jamais le dernier mot de l’histoire!
2. Vos rapports quinquennaux font état de la situation politique et économique dramatique en Haïti. L’accroissement important de la population et la précarité de la conjoncture agricole et industrielle ont produit un chômage endémique, poussant de nombreux habitants des campagnes vers les villes. Cet exode détériore les équilibres écologiques et fragilise la famille, cellule vitale de la société. Dans ce contexte, les catholiques sont appelés à participer activement à la mise en place d’une politique de développement audacieuse dans le respect des droits fondamentaux de tous les Haïtiens; il reste aussi à espérer que la communauté internationale saura se montrer solidaire également en ce domaine, pour venir en aide aux populations touchées par la misère. Si le soulagement de la pauvreté représente en Haïti un défi majeur, il interroge aussi la manière dont l’Église elle-même entend proposer la foi et témoigner de l’espérance. En effet, le sentiment religieux des fidèles a sans cesse besoin d’être évangélisé, car le syncrétisme et l’ignorance des chrétiens fournissent un terrain favorable à la prolifération de groupes sectaires tentés d’exploiter la crédulité des plus pauvres.
Au long de ces années douloureuses, vous n’avez pas manqué de dénoncer tout ce qui avilit la dignité de l’homme dans sa légitime recherche d’amour, de justice, de vérité, de liberté, manifestant ainsi votre engagement persévérant et celui de vos communautés aux côtés du peuple souvent désemparé. Je vous invite à développer toujours plus fortement cette charité pastorale et cet esprit missionnaire qui vous animent. Par des prises de parole soutenues, par votre présence active dans vos diocèses, ayez toujours le souci de l’édification des communautés ecclésiales et du bien commun de la société !
3. Dans le contexte difficile que connaît le pays, les germes de division sont nombreux. C’est pourquoi il est essentiel de rendre la communion toujours plus forte et plus visible. Dans cette perspective, j’ai rappelé que ses expressions doivent être entretenues et étendues dans le tissu de la vie de chaque Église, en particulier dans les relations entre les Évêques, les prêtres et les diacres, entre les Pasteurs et le peuple de Dieu tout entier, entre le clergé diocésain et les religieux, entre les associations et les mouvements ecclésiaux (cf. Novo millennio ineunte n. 45). Je vous encourage à inventer des chemins nouveaux afin que l’Église en Haïti devienne une maison et une école de la communion.
Par une réflexion théologique et des propositions pastorales soutenues, il appartient à votre Conférence épiscopale de favoriser l’enracinement de cette spiritualité de communion dans votre culture, au service de l’édification de communautés chrétiennes vraiment missionnaires. Dans l’inculturation, l’Église devient « un signe plus compréhensible de ce qu’elle est et un instrument plus adapté à sa mission » (cf. Redemptoris missio, n. 52). Par des collaborations toujours plus affirmées entre les divers acteurs ecclésiaux, donnez visage à cette charité pastorale qui vous anime, puisant la force apostolique à la source de l’amour trinitaire !
4. Dans cette perspective, je vous invite aujourd’hui à faire de la promotion du laïcat une de vos priorités pastorales. Pour cela, il est nécessaire qu’une solide formation spirituelle, intellectuelle et ecclésiale soit proposée aux laïcs, afin qu’ils soient capables d’agir dans la vie publique, l’orientant toujours vers le bien commun. Confirmez les fidèles laïcs dans leur vocation d’incarner les valeurs évangéliques dans les divers milieux de la vie familiale, sociale, professionnelle, culturelle et politique, pour qu’ils ne désertent pas les lieux où ils sont invités à témoigner de leur foi ! Je rends grâce pour les nombreuses personnes qui s’investissent avec générosité et compétence dans les organismes caritatifs nationaux et internationaux. Elles témoignent avec zèle que l’Église désire s’engager toujours plus auprès des pauvres et elles rappellent que, « dans la personne des pauvres, il y a une présence spéciale du Fils de Dieu qui impose à l’Église une option préférentielle pour eux » (Novo millennio ineunte, n. 49).
Je salue affectueusement les catéchistes, collaborateurs précieux, les invitant à poursuivre sans se décourager leur mission irremplaçable de structuration de la foi des fidèles et de transmission des repères et des valeurs évangéliques, notamment chez les jeunes. Je souhaite vivement qu’ils puissent bénéficier d’une formation théologique consistante, pour répondre pleinement à leur vocation chrétienne d’annoncer la Vérité du Christ Sauveur. De même, par leur exemple de vie chrétienne inspirée par la charité du Christ, qu’ils soient de véritables témoins de l’Évangile, enracinant leur service ecclésial dans une méditation assidue de la Parole de Dieu et la fréquentation régulière des sacrements !
Vous insistez sur la nécessité de développer une pastorale familiale vigoureuse pour répondre aux défis nouveaux que doit affronter l’Église en Haïti. Aussi importe-t-il de susciter et d’animer une pastorale familiale de proximité qui aide les personnes à découvrir la beauté et la grandeur de la vocation à l’amour et au service de la vie. En centrant cette pastorale sur les valeurs essentielles de la famille et du mariage chrétien, soutenez les efforts des prêtres et des agents pastoraux, afin qu’ils éveillent les personnes au témoignage irremplaçable de la famille, école fondamentale de la vie sociale ! Qu’ils encouragent en particulier les parents à éduquer leurs enfants au sens de la justice véritable et de l’amour authentique, qui est fait d’attention sincère et de service désintéressé à l’égard des autres, en particulier des plus nécessiteux (cf. Familiaris consortio, n. 37).
5. Dans une société marquée par l’égoïsme, les jeunes doivent demeurer l’objet de votre sollicitude permanente. Ils sont souvent tentés de répondre par la violence, par la marginalisation, par l’exil ou par la résignation aux criantes inégalités qui les privent de perspectives d’avenir et anéantissent leur espérance. Je souhaite que soient prises davantage en compte les interrogations légitimes des nouvelles générations, qui auront à assumer le patrimoine multiforme des valeurs, des devoirs, des aspirations de la nation à laquelle ils appartiennent.
Je vous invite à renforcer une pastorale des jeunes qui les aide à développer leur vie intérieure et ecclésiale, et à bâtir une société juste, réconciliée et solidaire. Transmettez aux Jeunes d’Haïti l’appel que le Pape leur adresse par votre intermédiaire: » Chers jeunes, vous êtes le présent et l’avenir de la société et de l’Église en Haïti, qui comptent sur vous. Soyez le sel de la terre, donnez le goût de l’Évangile à votre pays meurtri par tant d’années de souffrances ! Enracinés dans le Christ, qui indique le chemin de la vie donnée pour le salut de tous, vous témoignerez qu’un monde nouveau est possible. Soyez la lumière du monde, brillez au plus fort de la nuit, comme les sentinelles du matin qui guettent l’arrivée du jour, le Christ ressuscité (cf. Message pour les XVIIes Journées mondiales de la Jeunesse, n. 3) » !
L’Église a toujours considéré que l’éducation constituait un terreau irremplaçable pour la saine croissance des jeunes générations, contribuant à faire respecter leurs droits humains fondamentaux. En effet, « il ne sera jamais possible de libérer les indigents de leur pauvreté si on ne les libère pas d’abord de la misère due au fait qu’une éducation digne leur a fait défaut » (Ecclesia in America, n. 71). Pour combattre le fléau de l’analphabétisme et assurer aux jeunes une formation humaine, spirituelle et morale, les écoles catholiques, dans la riche diversité de leurs charismes et de leurs projets pédagogiques, rendent un service essentiel à la vie de l’Église et de la nation. Je remercie les communautés éducatives pour leur engagement au service du développement intégral des jeunes qui leur sont confiés. Je les encourage à poursuivre leur noble mission, souhaitant que l’éducation chrétienne qu’elles promeuvent fasse mûrir les fruits d’une culture faite de respect mutuel, de solidarité et de dialogue, pour réduire les fractures sociales qui freinent encore le plein épanouissement de tous les Haïtiens.
6. Chers Frères dans l’épiscopat, portez à tous les prêtres de vos diocèses la profonde gratitude du Pape pour leur dévouement dans leur ministère de pasteurs, d’évangélisateurs et d’animateurs de la communion ecclésiale. Je sais qu’ils sont attentifs aux problèmes et aux espérances de leur peuple. Je connais les conditions difficiles dans lesquelles ils ont à annoncer l’Évangile. Soutenez-les dans leur ministère, soyez proches d’eux, soucieux de leur vie spirituelle et matérielle, afin qu’ils s’acquittent avec zèle de leur tâche apostolique, par une présence active dans les paroisses et par leur vie simple !
J’encourage les prêtres à repartir sans cesse du Christ, pour trouver en lui la source de la fécondité missionnaire de leur ministère et pour répondre à la soif spirituelle des Haïtiens. Il est nécessaire que la prière personnelle et la méditation de la Parole de Dieu nourrissent quotidiennement leur apostolat. La célébration de l’Eucharistie doit être véritablement le cœur de leur ministère, leur rappelant aussi qu’ils sont ordonnés au service d’une unique mission, en communion avec leur évêque et dans l’unité du presbyterium. Il importe enfin qu’ils témoignent joyeusement de leur attachement toujours plus inconditionnel au Christ et à son Église, en respectant les exigences du célibat ecclésiastique qu’ils ont accepté librement.
7. Les communautés ecclésiales de base feront l’objet d’une attention renouvelée de la part des prêtres. En vivant vraiment dans l’unité de l’Église, elles sont « une authentique expression de communion et un moyen pour construire une communion plus profonde » (Redemptoris missio, n. 51). C’est pourquoi j’appelle les pasteurs à demeurer vigilants pour que ces communautés soient vraiment missionnaires, en évitant tout repli frileux et toute récupération identitaire ou partisane. En faisant preuve de discernement et d’esprit apostolique, ils auront ainsi le souci de construire le Corps du Christ et de donner une place à tous les dons de l’Esprit.
Chers Frères dans l’épiscopat, vous savez combien la sainteté de vie des prêtres, des consacrés et des laïcs est un puissant témoignage pour les jeunes qui veulent répondre à l’appel du Christ en se rendant disponibles pour servir l’Église comme prêtres, religieux ou religieuses. La générosité de ces jeunes constitue pour l’Église en Haïti un immense motif d’espérance et de joie. Comme premiers responsables de la formation sacerdotale, vous avez à veiller à l’accueil, à l’accompagnement et au discernement des vocations presbytérales. Il est donc nécessaire de choisir avec soin les formateurs et les directeurs spirituels du séminaire. En aidant les séminaristes à fonder leur vie sur le Christ, ils leur permettront de devenir d’authentiques serviteurs de la communion et de demeurer des instruments de la miséricorde du Seigneur auprès du peuple, pleinement conscients « qu’on ne peut jamais considérer la vie sacerdotale comme une promotion humaine, ni la mission du ministre comme un simple projet personnel » (Pastores dabo vobis, n. 36). Chers Frères dans l’épiscopat, soutenez par votre prière et par votre proximité affectueuse la communauté du grand séminaire ! Ainsi, vous l’aiderez non seulement àvivre son insertion dans l’Église particulière en communion avec vous, mais vous authentifierez et vous servirez la finalité pastorale qui caractérise la formation des candidats au sacerdoce.
8. Je salue tout spécialement, par votre intermédiaire, les Congrégations et les Instituts de vie consacrée présents dans votre pays. Témoins et acteurs de l’évangélisation en Haïti depuis de longues années, ils rendent le Christ présent dans les domaines les plus variés, notamment l’éducation, la santé et la promotion sociale. Il est nécessaire que se développent toujours davantage les liens de communion qui unissent la Conférence épiscopale aux instances diocésaines et nationales de la vie consacrée, en particulier avec la Conférence haïtienne des Religieux. Je vous invite aussi à réfléchir aux conditions concrètes de soutien spirituel et d’assistance matérielle des congrégations religieuses nées sur votre terre, dont les charismes correspondent à des besoins profonds de l’Église. En permettant que la vie consacrée soit estimée, promue et intégrée dans la pastorale de vos Églises diocésaines, vous aiderez les fidèles et les pasteurs à découvrir sa présence indispensable à la vitalité ecclésiale.
9. Chers Frères dans l’épiscopat, au terme de cette rencontre, je tiens à vous exprimer à nouveau ma proximité spirituelle avec l’Église en Haïti. Au début de ce troisième millénaire, l’heure est venue de témoigner avec audace de l’espérance qui est en vous, réalisant dans l’unité, par votre vie de sainteté et par vos initiatives pastorales, le lien étroit qui existe, dans le mystère pascal, entre l’annonce de l’Évangile et la promotion de l’homme. Alors que l’année 2004 marquera le bicentenaire de l’indépendance du pays, je veux m’adresser à toutes vos communautés: « Église d’Haïti, riche de la foi et du dynamisme de tes pasteurs et de tes communautés, courageuse dans les épreuves, renouvelle ta confiance au Christ Sauveur ! Pour avancer au large, ouvre ton cœur à l’Esprit qui veut faire en toi toutes choses nouvelles »!
Confiant l’ensemble de vos diocèses à l’intercession de Notre-Dame du perpétuel Secours, je vous accorde de grand cœur une affectueuse Bénédiction apostolique, que j’étends à vos prêtres, aux religieux et aux religieuses, aux catéchistes et à tous les fidèles laïcs d’Haïti.
Jean-Paul II
À Castelgandolfo,
le 14 septembre 2001.
✍ Note:
Visite « ad limina »: Du latin ad limina apostolorum (« au seuil [des basiliques] des apôtres »), désigne la visite que chaque évêque fait tous les cinq ans au Saint-Siège. Cette visite est d’abord un pèlerinage sur les tombeaux des apôtres saint Pierre et saint Paul. Elle permet également de renforcer les liens avec le Saint-Siège.