Section II: D’Elie Lescot à la tumultueuse année de 1957
Section III
Féroce dictature
Après plus de dix mois de tensions politiques durant lesquelles Haïti connu cinq gouvernements éphémères dirigés tantôt par des militaires, tantôt par des civils choisis par des militaires, des élections eurent lieu le 22 septembre 1957 sous l’égide de la Constitution de 1950. Trois candidats furent en lice, Clément Jumelle (qui avait désisté au dernier moment mais dont le nom paru sur les urnes), Louis Déjoie et François Duvalier, un médecin de campagne. Ce dernier, avec la bénédiction des militaires remporta la victoire et fut assermenté le 22 octobre.
François Duvalier (1957-1971)
Peu de temps après cet événement, le médecin de campagne devenu président enleva son masque, une déception pour bien de concitoyens et surtout pour les militaires qui pensaient qu’ils pouvaient facilement faire de lui une marionnette. Il faut dire qu’un événement précipita ce virement. Le 29 juillet 1958, moins d’un an après son investiture, 3 officiers en exil, le capitaine Alix Pasquet, les lieutenants Philippe Dominique et Henri Perpignan arrivèrent à prendre les Casernes Dessalines aidés de mercenaires américains. Croyant que le groupe était formé des centaines de militaires bien armés et bien entraînés, Duvalier se préparait à partir quand lui parvint la nouvelle qu’ils étaient moins d’une douzaine. L’assaut fut donné par des militaires et des volontaires recrutés par Clément Barbot et les envahisseurs furent maîtrisés.
Duvalier s’endurcit alors.
Autoritaire, il commença par affaiblir les institutions fortes du pays comme l’armée, l’Église et le parlement. Devant la première, il campa les volontaires de la sécurité nationale connus plus tard sous le nom de “tontons macoutes”. Cette milice tout à sa dévotion infiltrèrent tous les groupes de la société. Pour assujettir l’Église catholique, il la décapita, dans un premier temps. Et, ensuite il procéda à la revitalisation des croyances populaires que le clergé de cette institution critiquait et dénigrait depuis la signature du Concordat en 1860, ce qui d’ailleurs avait conduit à une persécution systématique en 1942, sous le gouvernement d’Élie Lescot. Quant au Parlement, il fut simplement réduit à une chambre, celle des députés qui devraient, pour être sélectionnés, prouver leur allégeance au président. Se faisant, il consolida son propre pouvoir jusqu’à établir dans le pays une dictature.
Impatient et ne pouvant attendre l’expiration de son mandat qui aurait dû arriver à terme en 1963, il se fit réélire le 30 avril 1961 à la faveur d’élections législatives. Son nom apparut sur les bulletins de vote sans qu’on eût prévu d’élections présidentielles. Trois ans plus tard, il changea à nouveau les donnes présidentielles en se proclamant président à vie avec le droit de nommer son successeur. Une constitution, celle de 1964, fut publiée pour donner un semblant de légitimité au régime qu’il allait instaurer.
Mégalomane, il a voulu laisser sa marque partout et canaliser même les idées. Il commença par changer les couleurs du drapeau national et la disposition des deux bandes. Après avoir décapité l’Église catholique, il créa sa propre hiérarchie composée en grande partie de clercs indigènes acquis ou effrayés. Il renforça les pouvoirs des tontons macoutes dont la présence dans les coins les plus reculés du pays faisait d’eux un réseau d’agents de sécurité et d’intelligence. C’est donc grâce à eux qu’il a pu venir à bout de nombreuses invasions d’opposants accompagnés souvent par des mercenaires étrangers.
On se demande parfois comment un Duvalier qui n’a jamais été populaire avant les élections de 1957 ait pu arriver à terroriser tout un pays. On a mentionné l’apport des tontons macoutes, mais à eux seuls, le président dictateur n’aurait jamais pu arriver à garantir la survie du régime. En fait, François Duvalier pouvait également compter sur les grandes puissances, particulièrement les États-Unis dont les différents gouvernements voyaient en lui un rempart contre le communisme installé à Cuba, leur arrière-cour. Ils fermaient les yeux sur les abus, les exactions du régime haïtien. Pour se faire entendre d’eux, Duvalier utilisait, à côté des échanges diplomatiques de haut niveau, des manifestations de masse à l’intérieur du pays et des marchandages dans les tribunes des organisations internationales ou lors des votes cruciaux comme celui qui aura vu l’expulsion de Cuba de l’OEA en janvier 1962.
Au cours des années 1970, Duvalier était devenu inamovible à tel point que la propagande gouvernementale disait que “Duvalier appartient à Haïti, et Haiti à Duvalier”. Malade, il décida, à quelques mois de sa mort, de se rendre présent sans une présence en nommant son fils Jean-Claude Duvalier, son successeur.
Jean-Claude Duvalier (1971-1986)
La présidence de Jean-Claude Duvalier débuta quelques heures après l’annonce de la mort de son père, dans la nuit du 21 au 22 avril 1971. Âgé de seulement 19 ans, et sans aucun titre universitaire, sans expérience politique, il devint l’héritier d’un régime redoutable qui maîtrisait par les moyens forts ses opposants et effrayait les non-sympathisants. La Constitution de 1964 a été amendée pour favoriser la succession, et ainsi accommoder les dernières volontés de François Duvalier qui avait chargé des inconditionnels du régime de veiller sur lui et de le guider.
A l’avènement du fiston, on espérait bien que son gouvernement serait moins brutal, mais les abus et les violations des droits humains continuaient. Comme son père, le jeune président s’appuyait sur la milice devenue une force de sécurité incontournable. Il pouvait également compter sur certains militaires acquis ou sympathisants. Ainsi, dans les premières années de sa présidence, les détentions prolongées, les disparitions et les exécutions extrajudiciaires continuaient comme avant.
Avec l’avènement du président Jimmy Carter aux États-Unis en 1976, Jean-Claude Duvalier et ses acolytes se virent donc obligés de réviser leur approche pour pouvoir continuer à bénéficier de l’aide américaine. Quelques centaines de prisonniers politiques furent libérés en septembre 1977. A un moment, ils voulaient faire croire que Fort-Dimanche était fermé. Mais l’infâme prison, était bien présent, redouté aussi bien par les proches du régimes qui devaient se montrer à tout instant prudent et ne pas s’éloigner de la ligne de conduite qu’on espérait d’eux. À la mi-1979, des critiques du régime créèrent illégalement trois partis d’opposition se réclamant de la démocratie chrétienne. Cependant, une fois exposée la faiblesse de Carter et sa mince chance d’être réélu, la répression recommença. Les premiers cibles furent la presse qui pensait jouir d’une certaine liberté pendant les années Carter. Après la publication en octobre 1979 d’une nouvelle loi sur la presse interdisant toute critique du président, du gouvernement, les tactiques d’avant étaient reprises: arrestations, torture, expulsion.
L’arrestation en 1980 du pasteur Sylvio Claude, le leader du Parti Démocratique Chrétien d’Haïti (PDCH) pour, selon le gouvernement, subversion fut suivie en novembre et décembre 1981 par plus de 400 arrestations de politiciens de l’opposition, de journalistes et de directeurs de radiodiffusion. Les principaux opposants au régime ont été alors déportés. Claude lui-même a été condamné à 15 ans de travaux forcés en août 1981. Les critiques venant de l’étranger forcèrent le gouvernement à entamer un nouveau procès au cours duquel la peine initiale fut réduite à 6 ans. Claude a été finalement placé en résidence surveillée et il s’est par la suite enfui à l’étranger.
le 27 août 1983, une nouvelle constitution fut publiée. Elle fit de la présidence à vie un sujet non-négociable et du créole, une langue nationale. Entretemps, le pape Jean-Paul II visita Haïti en mars de la même année et revigora par son encouragement les Haïtiens. “Il faut que quelque chose change ici” disait-il dans son homélie. Dès l’automne 1985, le pays se fermenta. Des manifestations antigouvernementales sans précédent eurent lieu occasionnant parfois la mort d’innocents dont des écoliers. Les pressions sur le gouvernement s’intensifia dès le début de l’année 1986. Jean-Claude Duvalier, perdant la confiance et le soutien de ses amis du Nord de l’Amérique abandonna le pouvoir dans la nuit du 6 au 7 février 1986, non sans avoir mis sur pied un Conseil de gouvernement. Ce fut donc la fin du règne des Duvalier, mais non du duvaliérisme qui persista bien au-delà avec de nouveaux atours.
En termes de grandes réalisations, Les Duvalier n’ont laissé que des œuvres éparses sans grande signification historique tout en détruisant celles de leurs prédécesseurs. Les deux seules œuvres qui ont une signification en termes d’entités publiques furent l’aéroport de Port-au-Prince inauguré en 1965 et qui porte le nom du père jusqu’en 1986 et le barrage de Péligre commencé sous la présidence de Paul Magloire et mis en marche sous François Duvalier. Jean-Claude Duvalier quant à lui, n’a laissé qu’une œuvre qui vaille, la Radio et Télévision Nationale. Cependant, ils initièrent certaines réformes budgétaires qui n’ont pas eu de suite après son mariage avec Michèle Bennett, une fille cupide de la haute bourgeoisie. Elle arriva même à évincer la vieille garde, et même Simone Duvalier, l’épouse de François et la mère de Jean-Claude qui, pendant un temps après le mariage gardai son titre de première dame.
On peut toutefois mettre à l’actif des Duvalier l’émergence d’une classe moyenne composée en grande majorité de noirs après les années de condescendance des gouvernements de Sténio Vincent et d’Élie Lescot.
Conclusion
Du départ des soldats américains en 1934, mettant virtuellement fin à une occupation qui dura 19 ans, au départ de Jean-Claude Duvalier dans la nuit du 7 février 1986, mettant virtuellement fin à une dictature féroce, Haiti a connu 3 présidents élus par le Parlement (Sténio Vincent, Elie Lescot et Dumarsais Estimé), 2 présidents élus au suffrage universel (Paul Eugène Magloire et François Duvalier), 3 juntes militaires (janvier 1946, mai 1950 et juin 1957), un conseil exécutif formé de secrétaires d’État, 3 présidents provisoires dont deux choisis en dehors des normes constitutionnelles en vigueur. Mais tous ont voulu rester au pouvoir au-delà de leur mandat. François Duvalier fut le seul à gagner le pari en se faisant proclamer président à vie, avec le droit de nommer son successeur.
Le pouvoir politique fut tenu tantôt par les mulâtres qui ne cachaient pas leur politique raciste derrière un certain paternalisme envers la majorité noire, tantôt par les noirs avec la présence, dans les deux cas, de l’armée jusqu’au moment où François Duvalier diminua son autorité.
Le pays aura connu des moment de calme et de stabilité et même brièvement de prospérité. Sous le gouvernement du président Vincent, par exemple, le calme et la stabilité furent attribuée par les amis du président à son habileté et à sa gouvernance alors que ses ennemis parlèrent de despotisme par le bâillonnement. Sous Magloire, qui hérita de la prospérité germinative du gouvernement de son prédécesseur, Dumarsais Estimé, le pays connut une économie envieuse, et devint une attraction touristique.
L’année 1957, avec des crises à répétition aura vu la résurgence d’un type de politiciens qu’on avait pas vu depuis les années précédant l’occupation américaine; des politiciens capables de déstabiliser le pays pour parvenir à leur fin. Leurs noms, François Duvalier, Louis Déjoie, Daniel Fignolé et Antonio Thrasybule Kébreau. Leur cupidité plongea le pays dans l’enfer, de cet enfer d’où surgit une figure diabolique, François Duvalier. Celui-ci arriva à s’imposer par la grâce du général Kébreau qui pensait en faire une marionnette, mais découvrit que ses calculs étaient fait sur une méconnaissance de la personne à qui il offrit la présidence. Trente ans plus tard, le général Henri Namphy aura fait la même erreur face à Leslie Manigat à qui il avait remis le pouvoir après des élections-bidons, et aurait essuyé la même déception n’était-ce l’intervention rapide de ses frères d’armes.
François Duvalier arriva non seulement à s’imposer, mais à se défaire de ses ennemis réels et imaginaires, à mettre toutes les institutions du pays à son service, et même à imposer son fils qui venait à peine de sortir de l’adolescence, comme son successeur. Il avait donc réussi à accomplir un exploit recherché par ses prédécesseurs dont Sténio Vincent qui avait échoué dans cette démarche en essayant de bâillonner la presse, en créant une sorte de police secrète et en réduisant le Parlement au simple rôle de valet.
Haiti qui se trouvait sous la bonne voie en terme de modernisation sous le gouvernement du président Dumarsais Estimé régressa deux décades après, à un point tel qu’il devint la risée du monde et le modèle à éviter à tout prix.
Les américains, à leur départ en 1934 posèrent un défi au pays, à ses institutions et à ses leaders: ne pas répéter les absurdités politiques de la période allant de 1843 à 1915. Un défi qu’on n’a pas été relevé.
Indices bibliographiques
- Le bilan du premier mandat du Président Stenio Vincent, 1930-1936. Port-au-Prince, 1936.
- Calixte, Démosthènes Pétrus. Haiti : le calvaire d’un soldat (Mémoire). New York, N.Y. : Theo. Gaus’ Sons, 1939.
- Dupuy, Charles. « L’Affaire Calixte » Haïti-Observateur ( New York) Vol. LI, No. 42, édition du 3 novembre 2021, p. 3.
- Marxsen, Patti M. “Dictatorship and Dissent: Jacques Roumain’s ‘La Tragédie Haïtienne,’ 1937.” Journal of Haitian Studies, vol. 23, no. 2, 2017, pp. 108–118.
- Nicholls, David. “Haiti: The Rise and Fall of Duvalierism.” Third World Quarterly, vol. 8, no. 4, 1986, pp. 1239–52.