6270.- Histoire d’Haiti: 1934-1986

Classification Histoire et Société

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Section I: Pouvoir mulâtres

Section II

De coup d’état (1946) à coup d’état (1957)

La junte de 1946

Le mouvement déclenché dans les premiers jours de janvier 1946 a été qualifié par certains de révolution. D’autres parlent simplement d’une protestation générale. Révolution ou protestation, ce mouvement marqua un développement inédit dans l’Histoire d’Haïti. La Garde, cette nouvelle armée créée par l’occupant américain, intervint pour prendre temporairement le pouvoir en tant qu’institution et non en tant que démarche personnelle d’un chef marchant à la tête d’une armée pour déloger le président en fonction, comme ce fut le cas de l’époque précédant l’occupation américaine. Les trois membres de la junte connue sous le nom de « Comité exécutif militaire » formaient en quelque sorte l’État-major de la Garde:

  1. le colonel Franck Lavaud, Commandant de la Garde d’Haiti;
  2. le major Antoine Levelt, le lieutenant de ce dernier;
  3. le major Paul E. Magloire, commandant de la Garde présidentielle.

Ces chefs s’étaient déjà dissociés des actions du gouvernement de Lescot qui, quoique s’autoproclamant chef effectif de l’armée en 1941, essuya de leur part un refus quand il leur demanda de mater sévèrement la protestation. La majorité des Haïtiens voyaient la démarche de l’armée comme une issue logique aux événements devant emporter le président. Les trois membres de la junte militaire qui eux aussi avaient assimilé leur intervention à une action politique acceptable, n’avaient pourtant pas compris, au  moins au début, ce que le peuple et les acteurs du moment attendaient d’eux: une brève transition vers un gouvernement civil élu. Ils ont donc essayé d’explorer d’autres options, mais les clameurs publiques sous force de manifestations de soutien aux candidats potentiels, ont finalement forcé les officiers, membres de la junte à se plier aux desiderata du peuple. Ils se sont engagé à organiser des élections législative d’abord et ensuite superviser le processus du choix du président par le parlement.

Les membres de l’Assemblée nationale furent élus le 12 mai 1946. Et le nouveau parlement fixa au 16 août 1946 la date d’élection du président de la République. Les principaux candidats à la présidence furent au nombre de trois, tous des noirs:

  1. Dumarsais Estimé, ancien ministre de l’Éducation nationale sous le président Sténio Vincent, membre de l’assemblée nationale;
  2. Félix d’Orléans Juste Constant, chef du Parti Communiste Haïtien (PCH);
  3. L’ancien commandant de la Garde Démosthènes Pétrus Calixte, exilé en 1937, suite à un coup d’état manqué contre Sténio Vincent et revenu depuis peu au pays. Il s’était présenté comme candidat d’une coalition progressiste qui comprenait le Mouvement Ouvrier Paysan [MOP](1).

Dumarsais Estimé, le plus modéré des trois, obtint le soutien de la population et de la classe moyenne noire émergente. Les chefs de l’armée, qui n’approuvaient pas l’élection de Juste Constant et qui affichaient une grande prudence face au populiste Fignolé qui avait soutenu Démosthènes Pétrus Calixte, voyaient également en Estimé, un candidat acceptable. Après deux tours de scrutin, les législateurs ont ainsi offert la présidence à ce dernier.

Dumarsais Estimé

D’origine modeste et passionnément anti-élitiste et donc généralement anti-mulâtre, Dumarsais Estimé accéda à la présidence à la faveur d’une élection tenue par l’Assemblée nationale le 16 août 1946. Il a démontré, au moins au début, un véritable souci du bien-être de la population. Opérant en vertu d’une nouvelle constitution entrée en vigueur en novembre 1946, Estimé proposa, mais n’a jamais obtenu l’adoption de la première législation sur la sécurité sociale en Haïti.

Il a cependant élargi le système scolaire, encouragé la création de coopératives rurales, augmenté les salaires des fonctionnaires et la représentation des noirs dans la classe moyenne et dans le secteur public. Il a également tenté de gagner la faveur de la Garde – rebaptisée Armée d’Haïti en mars 1947 – en promouvant Lavaud au grade de général de brigade et en sollicitant l’aide militaire des États-Unis. Il organisa une exposition universelle pour célébrer le bicentenaire de la fondation de Port-au-Prince. Cet événement eut beaucoup de succès et mit Haiti sur la carte touristique. A son actif, il faut également mentionner la modernisation de la ville de Belladère qui aurait dû apporter à la région de grands bénéfices économiques puisqu’elle se trouvait sur la route internationale reliant Santo Domingo à Port-au-Prince et les autres grandes villes des départements du Nord et de l’Artibonite. Le président dominicain, Rafael Trujillo, décida alors de saboter le projet en fermant la route internationale qui passait par Elias Piñas et en redirigeant le trafic sur Jimaní.

Estimé a finalement été victime de deux des pièges de la politique haïtienne: l’intrigue des élites et l’ambition personnelle. Les élites avaient un certain nombre de griefs contre Estimé. Non seulement il les avait largement exclues des leviers souvent lucratifs du gouvernement, mais il avait également promulgué le premier impôt sur le revenu du pays(3), favorisé la croissance des syndicats et suggéré que le vaudou soit considéré comme une religion à l’instar du catholicisme romain, une notion que l’élite européanisée abhorrait.

Manquant d’influence directe dans les affaires haïtiennes, ces élites ont eu recours à un lobbying clandestin parmi le corps des officiers. Leurs efforts, combinés à la détérioration des conditions intérieures, ont conduit en partie, à un coup d’État en mai 1950.

Certes, Estimé avait précipité sa propre disparition de plusieurs façons. La nationalisation de la concession de bananes Standard Fruit avait fortement réduit les revenus de l’entreprise. Il avait aliéné les travailleurs en leur demandant d’investir entre 10% et 15% de leurs salaires dans des obligations pour la défense nationale. Le président finalement avait scellé son sort en tentant de manipuler la constitution afin de prolonger son mandat. Il essuya un refus de la part du Sénat, une action qui plongea le pays dans une crise politique au début du printemps de l’année 1950.

Cette action et l’agitation populaire qu’elle engendra, donnérent une raison à l’armée qui força le président à démissionner. Le 10 mai 1950, la même junte qui avait pris le pouvoir après la chute de Lescot revint au pouvoir. Une escorte de l’armée accompagna Estimé du Palais national pour le port  où il s’envolera pour l’exil en Jamaïque. Les événements de mai 1946 avaient impressionné le ministre du Travail de Dumarsais Estimé, François Duvalier qui en tira une leçon qu’il aura appliquée moins d’une décade plus tard: Ne jamais faire confiance à l’armée. Celle-ci aura d’ailleurs tout fait pour attiser cette méfiance.

Deuxième coup en quatre ans

L’armée ne fut pas cependant responsable du renvoi de Dumarsais Estimé. Détectant une opportunité de reprendre le pouvoir, elle en profita simplement. En fait, le président Dumarsais, homme modéré, mais pris dans l’engrenage du pouvoir en Haiti, était devenu la proie des forces politiques radicales déchaînées en 1946 et la cible de critiques des deux camps. L’un l’accusait d’être trop conservateur alors que l’autre faisait de lui un extrémiste de gauche. Lorsque le Sénat qui comptait des éléments des deux camps rejeta sa proposition de revoir la constitution de 1946 pour lui permettre de briguer un autre terme comme président, l’armée intervint, comme cela s’était passé en janvier 1946, pour, disait-elle, empêcher l’instabilité politique et superviser une transition du pouvoir.

Une junte provisoire composée des mêmes officiers formant le « Comité Exécutif Militaire » de janvier 1946 prit alors le pouvoir : Franck Lavaud, qui était maintenant général, assumait le même rôle. Il était accompagné alors des colonels Antoine Lévelt et Paul Magloire. Dans une conférence de presse le 10 mai 1950, ils annoncèrent au peuple le changement arguant que le péril qui s’annonçait força l’armée à prendre cette « seule décision susceptible de sauvegarder l’intégrité de la Nation Haïtienne »(2) pour annoncer les intentions des militaires. Deux jours plus tard, la junte installa son cabinet. Cependant, contrairement à l’année 1946, cette fois, c’était le colonel Magloire, et non le général Lavaud qui gérait, de mains fermes, la transition.

Une équipe dirigée par le sénateur Dantès Bellegarde fut chargée de réviser la Constitution, mais avant qu’elle ne publiasse la nouvelle charte des élections ouvertes à tous les citoyens mâles âgés de plus de 21 ans furent organisées. Pour se faire élire, Magloire se retira du gouvernement provisoire et annonça sa propre candidature. Tous les politiciens préalablement candidats à la présidence, sauf un, boycotta les élections qui eut lieu le 10 octobre de cette année. Sans surprise, Paul Eugène Magloire fut élu président, avec dit-on, un pourcentage de 99% des voix.

Paul Eugène Magloire

Élu président, Paul Eugène Magloire, qui se dit un soldat au service du peuple, fut investi le 6 décembre 1950, dans une atmosphère de réjouissances populaires, rapportèrent les témoins de l’époque. Dès la première année, il essaya de tirer profit de la bonne gouvernance du pouvoir du président Dumarsais Estimé. Il mit en place un plan quinquennal de développement consistant à ériger des routes, des drainages, des écoles, des hôpitaux et même des barrages dont « Péligre ». Avec la célébration du bicentenaire de Port-au-Prince, et l’exposition universelle tenue en cette occasion, Haiti devint un centre d’attraction de choix pour le tourisme mondial, ce qui contribua à une grande prospérité.

Paul Eugène Magloire, dans les premières années tira tous les avantages de cette prospérité ce qui lui permit de réaliser certains points de son programme. Dans le domaine de l’éducation, il construisit plusieurs écoles et quelques lycées. Il redonna aux villes, dont le Cap et les Gonaïves, une certaine valeur par des oeuvres de restoration. Dès la fin de l’année 1953, il célébra en grande pompe le tri-cinquantenaire de l’indépendance par des manifestations échelonnées sur plusieurs mois, marquées par l’inauguration d’edifices publiques dont la cathédrale des Gonaïves, de places comme celle du champ de Mars au centre de Port-au-Prince, des pèlerinages aux lieues historiques, des veillées patriotiques, des témoignages d’honneurs aux pères de la patrie.

Mais une fois passés ces moments de fastes et de réjouissances, la politique partisane reprit ses droits. Le gouvernement accusa alors l’opposition d’inciter le peuple à la révolte et procéda à des arrestations musclées même de parlementaires malgré leur immunité. Ce fut alors le début de la fin pour le gouvernement, qui rechercha des supports à l’étranger lors des voyages officiels du président dans plusieurs pays du continent. Le cyclone Hazel qui atteignit Haiti le 12 décembre de cette année du tri-cinquantenaire et qui dévasta la péninsule du Sud en laissa des dégâts évalués à des millions de dollars mit pratiquement fin à la prospérité que le pays avait connue jusqu’alors. Les mesures de redressement du gouvernement n’apportèrent pas les résultats escomptés.

Des discussions et la confusion qui en résulte autour de la date d’expiration du mandat constitutionnel du président furent à l’origine d’une bataille politique, avec d’un côté des candidats à la présidence et leurs partisans, d’un autre le gouvernement sous l’oeil approbateur de l’armée. A l’approche du 6 décembre date retenue par l’opposition pour la fin du mandat de Magloire, la situation devint alarmante. Magloire, voulant jouer au plus malin, feignit de laisser le pouvoir, pour immédiatement le ré-assumer provisoirement.

C’est le chaos!

Des agitations s’ensuivirent agrémentées de grèves, d’attaques à la bombe. Magloire ne pouvant contrôler la situation décida alors de remettre une nouvelle fois sa démission espérant revenir dans le giron de l’armée qui lui refusa sa réintégration. Il dut alors prendre le chemin de l’exil le 14 décembre 1956. Suite à ce départ, Haiti aura connu près de 10 mois de grands bouleversements. Presque toutes les institutions furent affectées avec de grands changement dans l’armée marqués d’abord par le remplacement du chef d’État-major et le renvoi du commandant du département militaire de la police de Port-au-Prince qui s’exila.

Gouvernements éphémères

Gouvernement de Nemours Pierre-Louis


Magloire parti, le président de la Cour de Cassation, Nemours Pierre-Louis, devint président provisoire en vertu de l’article 81 de la Constitution de 1950. Celui-ci, se disant à la tête d’un gouvernement constitutionnel devant fonctionner avec les trois pouvoirs, rétablit les chambres législatives qui avaient été dissoutes par Magloire lorsqu’il s’était érigé en président d’un conseil exécutif après avoir remis, dans un premier temps, sa démission.

Le gouvernement de Nemours Pierre-Louis, assermenté le 12 décembre 1956, devint vite la cible de ceux qui voulaient passer l’éponge sur le gouvernement de son prédécesseur et réclamaient une enquête exhaustive sur ses actes en espérant un verdict pré-établi. Le nouveau président provisoire qui pourtant avait proposé à la Chambre de former une commission d’enquête sur le gouvernement de Magoire, était perçu comme affichant trop d’indulgence envers l’ancien régime. Ses propres ministres désapprouvaient sa léthargie et plusieurs démissionèrent en signe de protestation(4).

La majorité des politiciens de l’époque dont certains caressaient l’idée d’une candidature à la présidence, l’accusaient eux aussi d’inaction. À la suite de ces dénonciations et accusations les manifestations reprirent après seulement quelques semaines de calme.

Le 3 février 1957, après seulement 53 jours à la tête du gouvernement provisoire, Nemours Pierre-Louis lâcha prise.

Les futurs candidats se jetèrent dans l’arène en proposant des solutions qui ne faisaient pas l’unanimité. Finalement, après d’interminables discussions, le Parlement choisit Franck Sylvain pour lui succéder provisoirement, rejetant ainsi les recommandations de la Constitution de 1950, dans son article 81.

Gouvernement de Franck Sylvain


Franck Sylvain, un candidat déclaré à la présidence, fit le retrait de sa candidature lorsqu’il devient conscient que les chances étaient de son côté pour devenir chef d’État quoiqu’à titre provisoire(5). Choisi par le Parlement avec 23 voix le 7 février 1957, il preta serment immédiatement prenant virtuellement le pouvoir de l’armée qui avait été en charge depuis le départ de Nemours Pierre-Louis. Avec un mandat devant prendre fin au 15 mai, il définit alors son gouvernenement com mi-révolutionnaire, mi-conditionnel.

Le nouveau président provisoire se proposa d’organiser les élections avant la fin de son mandat et décida l’ouverture des inscriptions au 24 mars. Peu de jours après, il décréta la dissolution du parlement, une deuxième expérience du genre pour les parlementaires qui pourtant l’avaient élu.

Certains secteurs commencèrent donc à l’accuser d’être trop proche de François Duvalier qui, disait-ont, nommaient lui-même des fonctionnaires de son administration. On l’accusait également de vouloir organiser des élections qui auraient favorisé ce dernier. Ces accusations se transformèrent en grèves et manifestations le ciblant, Port-au-Prince et ses banlieues connurent même les méfaits de l’explosion de bombes artisanale. Le 2 avril, le général Léon Cantave, chef d’État-major de l’armée, orchestra un coup et plaça Sylvain en résidence surveillé. Le chef de l’armée l’accusait de complicité dans l’affaire des bombes. Léon Cantave remit le pouvoir à un « Conseil Exécutif de Gouvernement »(6) composé de secrétaires et de sous-secrétaires d’État.

Entre son investiture et son assignation à résidence surveillée par l’armée, Franck Sylvain eut le temps de mettre sous séquestre les biens de l’ancien président Paul Magloire et de certains fonctionnaires de son gouvernement. Il élargit le pouvoir de la Commission d’enquête créé par le gouvernement provisoire de Nemours Pierre-Louis.

Une formule vouée à l’échec


Au renvoi de Franck Sylvain, le pouvoir se retrouva une fois de plus entre les mains du chef d’État-major, le général Léon Cantave. Celui-ci dut une fois encore passer outre l’opportunité de diriger le pays. Il fit donc appel aux candidats à la présidence pour trouver une formule de gouvernement acceptable par tous. La réunion de ces candidats ou de leurs représentants prit le nom d' »Assemblée révolutionnaire ». Ces derniers décidèrent de créer un gouvernement hétéroclite composé après discussion de 13 personnalités. Proposées par les candidats, ces personnalités remplirent les fonctions de secrétaire d’État et de sous-secrétaires d’État. Ce gouvernement provisoire prit le nom de « Conseil Exécutif » et la présidence fut assumée à tour de rôle par chaque secrétaire d’état.

Le Conseil ne tarda pas à faire l’objet d’accusations  d’abord de la part même des candidats qui y avaient leurs représentants, et des collectivités au-delà de la capitale.

Les candidats par exemple, pensaient que qu’ils dirigeaient par procuration et tiraient les ficelles derrière les rideaux. C’est le cas du candidat Duvalier qui voyait dans le conseil une création des candidats Louis Déjoie et Daniel Fignolé. Ces derniers avaient chacun 4 représentants alors le premier n’avait que trois. Il décida alors de saboter les travaux du Conseil en rappelant ses représentants. Plus tard certains de ses proches organisaient des manifestations qui dégénérèrent en violence.  Les collectivités des autres régions, quant à elles, voyaient dans le conseil une émanation des politiciens de la capitale sans se soucier des intérêts des provinces. La méfiance d’abord entre les commanditaires du conseil et entre celui-ci et les représentants des autres régions conduisit à son éclatement. Le haut-état-major de l’armée qui jouait jusqu’alors le rôle d’arbitre décida alors de le dissoudre d’autant plus que le Conseil voulait renvoyer le chef de l’armée, le général Léon Cantave, et le remplacer par le colonel Pierre Armand, une manœuvre qui entraina une lutte fratricide au sein de l’institution militaire pour une courte durée et se solda par la déchéance des deux chefs militaires qui fut remplacé plus tard par le général Antonio Thrasybule Kébreau.

Encore une fois, les candidats, à l’appel du chef d’État-major, inventèrent une formule qui finit par être un piège pour le bénéficiaire, Daniel Fignolé.

Fignolé pris au piège


Daniel Fignolé qui prit le pouvoir le samedi 25 mai 1957 fut un ancien ministre du président Dumarsais Estimé. Un ancien professeur de mathématiques et un populiste qui pouvait sur un simple appel mobiliser des milliers de partisans qui pouvaient écraser tout sur leur passage d’où le nom de « rouleau compresseur » qui leur a été attribué, devint président. Son ambition politique démesurée lui avait empêché de comprendre que l’armée, en lui remettant le pouvoir à titre de président provisoire, lui avait tendu un piège. Pendant son court passage au palais, et se sentant en sécurité grâce à son ascendance sur les masses populaires qu’il avait utiliser comme arme de chantage, il commença par prendre des mesures qui rendaient l’armée et les deux autres candidats (Duvalier et Déjoie) nerveux. Par exemple, il reporta les élections présidentielles initialement prévues pour le 16 juin, essaya, par des manœuvres, d’obtenir un mandat complet de six ans sans élections, ordonna à l’armée de se défaire des officiers d’obédience déjoïstes perçus comme des opposants à son ascension à la présidence, et réclama des commissions pour ses partisans civils.

Dans la nuit du 14 juin 1957, alors que ses partisans dormaient, l’armée, ne parvenant pas à faire de Fignolé un guignol, frappa. Les troupes du général Kébreau qui avait été nommé par le président, le lendemain de son investiture, envahissèrent le palais, forcèrent le président provisoire à signer une lettre de démission. Il fut expulsé. Le lendemain le général Kébreau annonça au peuple que le gouvernement de Fignolé faisait désormais partie de l’histoire et qu’un cinquième gouvernement depuis le départ de Magloire prit le pouvoir. Il s’agissait alors d’une junte militaire de trois hommes, dirigée par le général Kébreau lui-même, chargée de gouverner jusqu’à la tenue d' »élections justes et libres ». Une tentative de révolte des partisans du président déchu, deux jours après son renvoi, fut étouffée férocement par l’armée qui s’était préparée à cette éventualité.

Le Conseil Militaire du Gouvernement de Kébreau


Le général de brigade Antonio Kébreau se retrouva à la tête d’une junte militaire dénommée « Conseil Militaire du Gouvernement » composé de trois membres. Les deux autres ayant été les colonels Emile Zamor et Adrien Valville, avec un cabinet de sept ministres, tous des militaires.

Pour résumer le gouvernement  du général de brigade Antonio Kébreau, on peut simplement parler de poigne de fer. Celui-ci apporta au pays un calme temporaire, après des mois de grèves, d’incendies criminels et de terreur, mais les prisons se remplirent de partisans du président provisoire désormais exilé, devenus prisonniers politiques. De plus, Kébreau fut responsable du massacre de milliers de partisans du président déchu résidants des quartiers populaires comme La Saline et Bélair, dans la nuit du 15 au 16 juin.

A ce stade, Haïti qui pouvait se vanter d’une économie déscente se retrouva presqu’en ruine, et ce, pour plusieurs raisons:

  • De mauvaises récoltes de café.
  • Une dette publique de plus en plus pesante.
  • Le tourisme en chute libre.

Avec une loi martiale et un état de siège en place, Kébreau, qui ne cachait pas sa sympathie pour le Dr François Duvalier, organisa les élections du 22 septembre 1957 qui fit du médecin le président d’Haiti. le général qui avait été nommé chef d’État-major pour une période de six ans fut renvoyé sans ménagement quand  il commença à se comporter en célébrité politique par des tournées spectaculaires à travers le pays, une visite au président dominicain, le général Trujillo, qui le reçut avec les honneurs dus à un chef d’État et le décora même.

  1. Le MOP fut en 1946 une nouvelle coalition politique dirigée par Daniel Fignolé. Ce dernier avait choisi de soutenir Calixte, au lieu d’un candidat issu de son parti; il avait alors vingt-six ans et était trop jeune pour se devenir président (La Constitution de 1935, encore en vigueur, dans son article 32, §3 fixait l’âge minimum d’un candidat à la présidence à 40 ans).
  2. « Conférence de la presse de la Junte » Le Nouvelliste (Port au Prince, Haiti). No. 22487; 55è Année. Mercredi 10 mai et jeudi 11 mai; p. 1.
  3. L’impôt sur le revenu avait apporté à la casse de l’État 13 million de dollars pour le seul mois d’Octobre 1949.
    • Source: Heinl, Robert Debs, et al. Written in Blood: The Story of the Haitian People, 1492-1995. Univ. Press of America, 2005; p. 502.
  4. « Lettre de démission des ministres Marcel Vaval et Paul Cassagnol » Le Nouvelliste (Port-au-Prince, Haiti), Jeudi 7 février 1957; p. 4.
  5. Trois noms furent proposé au parlement pour la présidence provisoire. Il s’agissait de Maitre Franck Sylvain, d’Edouard Pétrus et de Colbert Bonhomme. (« Les noms proposé pour la présidence provisoire » Le Nouvelliste (Port-au-Prince, Haiti), Jeudi 7 février 1957; p. 1.
  6. Voir: 2190.- Juntes et Conseils Exécutifs

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Date de création: 9 novembre 2022
Date de révision : 21 juillet 2023 à 19:24