Section I: Le Contrôle finalement
Section II
La Consolidation
Sudre Dartiguenave
Un avocat devenu sénateur de la République, Sudre Dartiguenave, un natif de l’Anse-à-Veau (Nippes) fut le président du grand corps au moment du débarquement des premiers contingents américains en juillet 1915. Dès leur première rencontre, le chef des occupants y vit quelqu’un sur lequel il pouvait compter et facilita son élection à la présidence le 12 août 1915 pour un mandat de sept ans.
Le premier cabinet de Dartiguenave était composé d’hommes approuvés au préalable par les Américains. Les rares membres qui osaient questionner l’occupant et refusaient d’approuver le Traité d’occupation furent forcés de démissionner. Les plâtrages ultérieurs lui ont permis d’avoir un cabinet pro-américain. Pour respecter les engagements pris avant son élection, Dartiguenave approuva et signa la convention si longtemps souhaitée par les américains allant même jusqu’ à menacer les parlementaires qui se montraient réticents lors du vote.
Le projet de convention fut signé le 16 septembre 1915 par Louis Borno, ministre des Relations extérieures, au nom du gouvernement et par Beale, au nom des Américains donnant ainsi une allure légale à l’occupation. N’ayant plus rien à craindre, les Américains dévoilèrent leur vraie intention. Les premiers chefs de l’occupation, trop diplomates, furent immédiatement remplacés par des officiels qui ne cachaient pas leur mépris pour les institutions haïtiennes et pour les Haïtiens en général au grand dam des élites qui avaient pensé alors qu’elles seraient traitées avec considération. Les deux tâches urgentes ayant été remplies, l’occupant se tournant vers une autre part du plan d’occupation: l’organisation d’un nouveau corps de police qui sera appelée « gendarmerie nationale” et qui les appuiera dans leurs besognes.
Ainsi débuta la tuerie des Haïtiens, surtout des paysans sous le regard de Dartiguenave qui ne pouvait même pas protester les exactions de l’occupant auprès de son chef hiérarchique à Washington. Il ne fut pas non plus à l’abri des humiliations et des insultes à tel point qu’à la fin de son mandat, et pressentant que l’on ne favoriserait pas un second mandat, il devenait pratiquement insensible aux duplicités de ceux qui l’avaient choisi qui, entre-temps, avaient bloqué toutes les démarches qui auraient pu donner une allure d’autonomie à son gouvernement, avaient approuvé une constitution, celle du 1918, renvoyé les parlementaires et les remplacer par un conseil d’État, humilier les paysans par le système des corvées et détruire la résistance armée par la défaite des cacos.
Gendarmerie d’Haïti
Créée le 1er février 1916, la Gendarmerie d’Haïti (qui devint en 1928 la Garde d’Haïti) comptait initialement 250 officiers et 2 500 hommes. Organisée pour fournir des services de police dans tout le pays, elle était dirigée par le personnel du Corps des Marines, avec pour premier commandant, le lieutenant-colonel Smedley D. Butler, USMC. Force policière et militaire, elle remplaçait ainsi l’armée haïtienne dont presque tous les chefs nourrissaient avant l’occupation des velléités présidentielles. Elle devait donc maintenir la paix et l’ordre.
Les premiers mois de sa création, la gendarmerie ne recevait d’ordre d’aucune autorité haïtienne. Suite à un accord passé entre les États-Unis et Haïti le 24 août 1916, le président eut un certain droit de regard sur cette force. Elle continuait cependant à accompagner les marines dans les leurs luttes contre les résistants Haitiens spécialement les Cacos. Force militaire, elle était préparée à affronter à des groupes jugés hors-la-loi et, aux yeux de l’occupant, les Cacos en étaient un.
En 1922, la gendarmerie fut réorganisée. L’état-major du quartier général, dirigé par le chef adjoint de la gendarmerie en tant que chef d’état-major, était divisé en cinq sections : personnel, renseignement militaire, opérations et entraînement, approvisionnement et médical. Au fur et à mesure que la gendarmerie grandissait et prenait plus de contrôle, la brigade de marine fut réduite. En 1929, elle fut rebaptisée Garde d’Haïti.
Tout au long de l’occupation, certains membres de la gendarmerie se rendaient complices, comme certains marines, des exactions sur les paysans recrutés pour les corvées.
Les Corvées
Les Américains qui ne disposaient pas de fonds suffisants pour un grand programme de construction de routes en raison de la pauvreté fiscale du gouvernement haitien, ont alors ressuscité une loi haïtienne datant de 1864, découverte par Smedley Butler [le commandant de la Marine] par laquelle les paysans étaient tenus d’effectuer le travail sur les routes locales au lieu de payer une taxe de circulation. Á la suite de cette découverte, les Americains commencèrent à emmener de force les paysans loin de chez eux pour la construction des routes. Ces paysans étaient souvent mal logés et travaillaient dans des condition déplorables.
Ce procédé appelé Corvée permit la construction d’un réseau routier reliant les grandes villes, la plus grande réalisation étant une autoroute non pavée de 170 milles entre Port-au-Prince et la ville du Cap Haïtien. La majorité des Haitiens, témoins de ce type de labeur, y virent le spectre de l’esclavage. Ils commençaient donc à nourrir de grands ressentiments contre les occupants. La résistance à la corvée s’est rapidement transformée en une révolte à grande échelle, en particulier dans la région du nord.
Les guerres des Cacos
Les Cacos existaient bien avant l’occupation américaine. Ils étaient donc des groupes de paysans aux liens lâches qui louaient leur service au plus offrant. Ils avaient attiré l’attention durant la présidence Sylvain Salnave, lors de ce qu’on vint à appeler « la révolte des Cacos de 1867 ». Des bandes armées du nord s’étaient levées pour s’opposer au président Sylvain Salnave (1867-1870).
Par la suite, ils sont devenus des mercenaires pour les chefs locaux et les familles d’élite. Les prétendants à la présidence se servaient souvent d’eux pour s’accaparer du pouvoir. Le transfert du pouvoir se produisait traditionnellement lorsqu’un candidat politique levait une armée de Cacos et marchait sur la capitale pour faire pression sur les parlementaires. Entre 1908 et 1915, ils ont aidé sept présidents en ce sens.
Aux premières années de l’occupation, les cacos devinrent une force de résistance, quoique chassés de la capitale. Plus tard, Charlemagne Péralte (1885 – 1919) et ensuite Benoît Batraville (1877-1920) se mettront à leur tête. Péralte qui leur donnait bien des soucis dans le plateau Central et le Nord fut trahi par un de ses subalternes, Jean-Baptiste Conzé, qui indiquait aux occupants sa position. Il fut tué et son corps exposé le 1er novembre 1919. Quant à Benoît Batraville, lieutenant de Péralte, qui reprit le flambeau de la lutte, après la mort de Péralte, il fut lui aussi trahi, quelques mois plus tard. Arrêté par les soldats américains, il fut exécuté le 20 mai 1920.
Louis Borno, l’homme de confiance
En l’absence des chambres législatives, il revenait au Conseil d’État la charge d’élire le nouveau président d’Haiti. Cette élection eut lieu le 10 avril 1922 dans une atmosphère opaque et malgré les protestations de trois conseillers. Louis Borno, devint donc président pour un mandat de 4 ans selon l’article 72 de la Constitution de 1918.
Un avocat de profession, Borno avait été membre de plusieurs cabinets ministériels comme ministres des relations extérieures. Son accession à la présidence sous la vigilance de l’occupant était possible grâce à sa promesse de collaboration étroite avec les occupants qui, après la défaite des cacos, utilisaient leur machine repressive contre les journalistes devenus des « cacos de la plume ».
Borno, durant sa présidence, essaya d’établir une paix de cimetières en Haiti. Il encouragea la répression contre la presse. Les journalistes jugés trop virulents étaient arrêtés ou soumis à de fortes amendes. Quand au peuple, il était encore timide et peureux pour se soulever en masse contre l’occupation. Il va falloir attendre l’automne de l’année 1929 pour voir les premières grandes manifestations publiques. Les voix des étudiants, des employés des douanes, des paysans firent écho un peu partout pour dénoncer l’occupation. Ce fut dans ce contexte qu’eut lieu le massacre de Marchaterre le 6 décembre 1929.
Entretemps, Borno, dont le premier mandat arrivait à sa fin (1), avait, été réélu le 12 avril 1926 et continuait, durant son second mandat, à jouer le rôle qu’attendait l’occupant de lui. On lui avait même permis de se parader aux Etats-Unis où il rencontra le président Calvin Coolidge et où il fut reçu par le congrès de ce pays. À la fin de son second mandat il décida de ne pas en chercher un troisième. La constitution de 1918 l’interdisait:
« Le Président est immédiatement rééligible. Un Président qui a été réélu ne peut l’être pour un troisième mandat jusqu’à ce qu’un délai de quatre ans ne soit écoulé. » (art. 72, §3)
La décision n’ébranla nullement les protestataires. Les abus des marines avaient attiré l’attention de l’opinion internationale et du président Hoover qui décida alors de créer une commission de revision de la situation d’Haiti. Après avoir recueilli les témoignages de plusieurs membres notables de l’opposition, du pr’sident et même de certains prélats de l’Eglise catholique, lors d’un séjour en Haiti, la commission rédigea son rapport et le remit au président américain le 26 mars 1930. Deux jours plus tard, ce dernier l’approuva.
Dans ce rapport, elle recommenda, entre autres, une transition politique entre Borno et un président élu par les chambres législatives préalablement constituées (Borno contemplait l’idée de reporter les élections législatives), la mise en place des mesures devant conduire à la remise des services mis en place par l’occupant aux Haitiens. La commission lança cependant un avertissement contre une possible résurgence d’une oligarchie dont les démarches claniques exposeraient tout future gouvernement à des harassements politiques et la société à des troubles.
Suivant ces recommendations, le Conseil d’État remanié(2), dans une ultime action, fit d’Eugène Roy le successeur de Borno à titre provisoire(3). Roy avait été auparavant choisi par un conseil fédératif de 24 membres le 30 mars(4).
La fin de l’occupation
Immédiatement après la prestation de serment du nouveau président provisoire, un vent de changement commença à souffler sur le pays. D’abord des changements au sein du haut commissariat avec le départ du général John Russell, Haut Commissaire en Haiti depuis 1922 qui non seulement avait autorité sur les fonctionnaires civils et les militaires américains, mais aussi et surtout contrôlait les actions du gouvernement haitien. Il fut remplacé par un civil devenu ambassadeur plénipotentiaire qui, suivant le protocole diplomatique, présenta ses lettres de créances au président.
Roy s’acquitta de sa tache et respecta fidèlement les engagements pris. Il organisa les élections législatives qui eurent lieu le 14 octobre 1930 et d’où sortit une nouvelle législature qui, le 18 novembre suivant, fit choix parmi neuf candidats de Sténio vincent comme président . Ainsi, deux des recommendations de la Commissions ont été suivies.
Sténio Vincent, devenu le quatrième président de l’occupation, avait devant lui deux interlocuteurs aux intérêts opposés. Le nouveau parlement décidé à passer au peigne fin ses actes et décisions et les fonctionnaires américains qui étaient bien conscients que la fin de l’occupation était imminent, mais qui tenaient à rester jusqu’au terme de leur mission.
Face au parlement, le président se montra tout aussi hostile, ce que l’opinion publique ne percevait pas d’un bon oeil. Apparurent alors les premiers signes d’une opposition qui se recrutait aussi bien dans la chambres des députés que parmi les intelllectuels et certains journalistes. Deux ans, après son investiture, Vincent ignora les députés et décréta l’état d’urgence. Avec les américains, il commença de sérieuses négociations en vue de l’haitianisation des services publics et leur départ progressif pour un fin virtuelle de l’occupation. La garde d »haiti fut la première institution à être haitianisée.
note
- Il avait un mandat de quatre ans qui expirait le 15 mai 1926
- Douze conseillers qui refusaient de signer une pétition de l’exécutif déclarant l’allégeance du Conseil à Borno furent revoqués et remplacés.
Source: Bernardin, Dr Raymond. Cinq siècles d’histoire politique d’Haiti. Tome III Vol 2: 1915-1986; pp. 113-114. - Le conseil lors de son élection lui avait dábord accordé un mandat de six ans, allant ainsi à l’encondre des recommendation de la Commission de revision, Roy déclina respectant ainsi la promesse faite au conseil fédératif.
Source: Bernardin, Dr Raymond. Cinq siècles d’histoire politique d’Haiti. Tome III Vol 2: 1915-1986; pp. 113-114. - « Décret de l’Assemblée des arrondissement de la République: Le Nouvelliste (Haiti), 33è Année, No 12112, Jeudi 20 et Vendredi 21 mars 1930; p. 1 , col 2.