Section I
Le Contrôle Finalement
Préludes de l’Occupation
Bien des décennies avant l’occupation, le gouvernement des États-Unis s’était intéressé à Haïti. Il manifestait d’abord un intérêt pour le Nord-Ouest et voulait établir au Môle Saint Nicolas, une base navale. Les démarches en ce sens, n’ont pas abouti. Ensuite, il se montra préoccupé, dès les premières années du 20è siècle par l’instabilité croissante dans le pays. Les responsables de la défense craignaient donc que cette instabilité ne déboucha sur une domination étrangère.
Voici donc quelques faits prouvant ces intérêts et préoccupations:
- En 1868, le président Andrew Johnson suggéra l’annexion de toute l’île, afin d’assurer une unité défensive et économique des États-Unis aux Antilles.
- De 1889 à 1891, le secrétaire d’État James Blaine demanda un bail du Môle-Saint Nicolas, une ville sur la côte nord-Ouest d’Haïti pour, vu sa position stratégique, établir une base navale.
- En 1910, le président William Howard Taft accorda à Haïti un prêt important pour rembourser sa dette internationale. Par ce geste, il pensait que l’influence européenne s’aménuiserait. La tentative s’est avérée vaine en raison de l’énormité de la dette et de l’instabilité interne du pays.
Qu’on se rappelle que la France avait conservé des liens économiques, diplomatiques et culturelles solides avec Haiti. En, 1825, cette ancienne métropole avait accepté de reconnaître l’indépendance d’Haïti moyennant le versement d’une idemnité qui a maintenu le pays dans un état constant d’endettement et a placé la France dans une position de pouvoir sur le commerce et les finances d’Haïti.
Bien que mécontents des liens étroits d’Haïti avec la France, le gouvernement américain était beaucoup plus préoccupé par les activités et l’influence allemandes dans le pays. De fait, au début du 20è siècle, la présence allemande en Haïti s’est accrue à un point tel que les natifs de ce pays établis en Haiti ou ceux nés de mère haitienne et optant opportunistiquement pour la citoyenneté dominaient toutes les sphères commerciales. Pour contourner les lois interdisant aux étrangers de posséder des biens fonciers, les affairistes allemands épousaient des femmes haïtiennes. Les États-Unis considéraient l’Allemagne comme son principal rival dans les Caraïbes et craignaient que le contrôle économique d’Haïti par ses ressortissants ne leur donne un puissant avantage dans la région.
L’instabilité de la deuxième décade du siècle (entre 1911 et 1915, sept présidents ont été assassinés ou renversés) augmentait les craintes des Américains qui attendaient le moment propice pour une invasion et rôdaient dans les eaux territoriales d’Haiti pour dissuader les autres puissances étrangère. L’administration de Woodrow Wilson avait fait un premier pas en cette direction en permettant, en décembre 1814, que des marines s’accaparassent de $500 000 de la Banque nationale pour les mettre en sécurité à New York, donnant ainsi aux États-Unis le contrôle de la banque.
Quand le 27 juillet 1915, le président Vilbrun Guillaume Sam fut assassiné, ils se trouvaient à quelques lieues de nos ports et trouvèrent un prétexte pour une invasion. Le président américain Wilson affirma alors que cette invasion n’était qu’une tentative d’endiguement de l’anarchie. En réalité, son administration protégeait les actifs américains dans la région et empêchait une éventuelle invasion allemande. Soit dit en passant que des bateaux de la flotte allemande se présentaient souvent dans nos ports pour réclamer, au nom de leurs ressortissants résidant en Haiti, des réparations, exiger des idemnités et dans bien des cas nous humilier(1).
La première année de l’occupation
Le 28 juillet 1915, le contre-amiral William B. Caperton, commandant de l’escadron de la flotte de l’Atlantique, débarqua avec ses marines à Port-au-Prince sans rencontrer d’obstacles(2). Un débarquement avait eu lieu au Cap-Haïtien quelques heures plus tôt. 340 « marines » débarquèrent ce jour-là. L’adjoint de Caperton, le capitaine Edward L. Beach, fut chargé plus tard de coordonner les activités militaires et superviser les services civils de l’administration haitienne.
Pendant ce temps, les combats entre les prétendants au pouvoir se poursuivaient, en particulier dans le nord où se trouvait encore l’armée gouvernementale qui affrontait les hommes de Rosalvo Bobo alors que dans l’Artibonite, les Cacos menaçaient.
Le premier ordre du jour de l’amiral Caperton était de faciliter l’élection d’un nouveau gouvernement. Mais avant, il fallait démanteler toute force de résistance y compris l’armée régulière et occuper les postes militaires les plus importants.
Pour organiser les élections, Caperton s’était approché de plusieurs prétendants au siège présidentiel et avait même réussi à tenir une réunion avec eux. Il avait essayé de piéger Rosalvo Bobo en envoyant auprès de lui une Commission chargée de le convaincre de se rendre à Port-au-Prince pour déclarer officiellement sa candidature à la présidence. N’ayant déjà aucune admiration pour Bobo, il devint alors ferme dans sa décision de l’écarter du pouvoir à la suite de cette réunion. Tous les candidats devaient accepter, une fois élu, de signer un traité entérinant l’occupation et donnant le controle des finances et des douanes aux Américains. Bobo refusa de lui donner cette garantie.
Le 12 août 1915, jour des élections, les marines assuraient la sécurité à Port-au-Prince et autour du parlement. Le candidat américain préféré, Sudre Dartigurnave fut élu par par 94 voix. Rosalbo Bobo n’en obtint que trois (3), et s’exila d’abord à la Jamaïque et ensuite en France où il finit ses jours. Un peu plus d’un mois plus tard, le 15 septembre, Le Traité d’occupation fut conclu et ratifié. L’occupation devint un fait. Le New York Time se gaussait de la situation en annonçant à ses lecteurs que “Toutes les affaires d’Haïti sont maintenant entre nos mains” et que “nous prenons en charge le contrôle administratif”(4) de ce pays.
Avec l’élection de Sudre Dartiguenave, les États-Unis opéraient par procuration. Les marines jouèrent un rôle de premier plan dans le gouvernement civil de Sudre Dartiguenave, et durant la première année d’occupation, étaient stationné dans tout le pays. En dehors des grandes villes, ils étaient les seuls représentants du gouvernement. ils administraient les douanes et les ports. À travers une loi martiale imposée sur tout le pays, Caperton fut celui qui gouvernait effectivement pendant cette periode. Avec le départ de celui-ci en avril 1916, la tache de consolidation de l’occupation revint au brigadier-général Littleton Waller, commandant des forces de l’occupation (marines) et Smedley Butler, chef de la gendarmerie, qui fit plus tard son acte de contrition dans un livre publié en 1935, War Is a Racket (New York, Round Table Press):
« J’ai été récompensé par des honneurs, des médailles, des promotions. En y repensant, j’ai l’impression d’avoir donné quelques indices à Al Capone. Le mieux qu’il pouvait faire était d’opérer sa raquette dans trois quartiers de la ville. Nous, les Marines, avons opéré sur trois continents. » (5)
✍ Notes:
- 6 décembre 1897: Affaires Luders;
6 septembre 1902: Destruction du navire « La Crête à Pierrot » avec, à son bord, l’admiral killick. - Le seul acte que certains ont qualifié de resistance, quoiqu’il n’en était pas un, vint d’un petit soldat stationné au poste de Bizoton. Suivant la pratique militaire, il tira pour avertir les américains qui s’approchaient d’une zone miliaire. Pour toute réponse, les envahisseurs l’ont abattu. Ni le Comité de Salut public qui avait remplacé le gouvernement de Vilbrun Guillaume Sam, ni le groupe de prétendants au pouvoir qui continuaient alors à se chamailler protesta la tuerie.
- Le capitaine Beach avait prévenu le candidat Bobo en ces termes: « Vous n’êtes pas candidat parce que les Ëtats-Unis l’interdisent. » (Gaillard, Roger. Les Cent-jours de Rosalvo Bobo ou une Mise à mort politique : 1914-1915. Port-au-Prince : Le Natal, 1987; p. 161.).
- « All Haiti’s Affairs now in our hands; We Take Over Administrative Control… » The New York Times, (New York) August 10, 1915.
- Butler, Smedley D. « America’s Armed Forces: ‘In Time of Peace' »Common Sense, Vol. 4, No. 11 (November, 1935).