39ème président d’Haiti (voir la liste de chef d’État) et le premier de l’ère post-duvaliérienne issu d’une élection, quoique contestée par la majorité des groupements politiques d’alors, François Leslie Manigat, fils de François Saint-Surin Manigat, un professeur de mathématiques au secondaire et de Haydée Augustin, une institutrice, est né le 16 Août 1930 à Port-au-Prince. Descendant de la veille élite conservative du Nord, Manigat, en se lançant dans la politique, ne fait que suivre les sillons de quelques-uns de ses aïeux, dont son grand père, le général Saint-Surin François Manigat. En effet, ce dernier fut, sous le président Lysius Salomon (23 Octobre 1879 – 10 Août 1888), consécutivement ministre de l’Intérieur, délégué de la nouvelle Banque Nationale d’Haiti et ministre de l’Instruction Publique. Au tournant du XXè siècle. il fut de ceux nourrissant des ambitions présidentielles.
Leslie François Manigat fit ses études classiques au Collège Saint Louis de Gonzague dirigé par les FIC avant de se rendre à la Sorbonne où il compléta le curriculum d’études pour l’obtention du doctorat en philosophie.
Sa carrière politique débuta dans les années 50 au Ministère des Affaires Étrangères. Supportant la candidature et l’idéologie de François Duvalier en 1957, il fonda en 1958, à la demande de celui-ci l’Ecole des Hautes Etudes Internationales dont il fut le premier directeur. Toutefois, au début des années 60, ses relations avec le président du 22 Septembre 1957 se détériora à un point tel qu’il fut l’objet de poursuites de la part du gouvernement. Accusé de soutenir les grèves des étudiants du début des années 60, il fut emprisonné pendant deux mois en 1963 avant de s’exiler et de s’établir notamment aux États Unis, en France et au Vénézuela.
Reconnu pour ses solides connaissances en histoire et son expertise dans les questions relatives aux relations internationales, il fut appelé à enseigner dans plusieurs universités dont le John Hopkins University à Baltimore Maryland (USA), l’Institut d’Etudes Politiques à Paris, le West Indies Universities à Trinidad, le Yale University (pour une brève période) et à l’Université de Caracas qui porte aujourd’hui le nom de Universidad Central de Venezuela.
En exil, il se rangea du côté de l’opposition et devint, dans les années 70, un militant farouche; un militantisme qui le conduisit à fonder en 1979 au Vénézuela le Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes (RDNP). A la chute de la maison des Duvalier le 6 Février 1986, comme bon nombre de compatriotes qui ont milité dans l’opposition de l’extérieur, Leslie Francois Manigat reprit le chemin du bercail avec l’idée d’apporter sa part au processus de démocratie qu’on croyait commencer le 7 Février 1986. Il se porta, sous la bannière de son parti, candidat à la présidence aux élections présidentiellesdevant avoir lieu le 29 Novembre 1987. Quand, le CNG, s’appuyant sur les actes de violence et la tuerie dans un bureau de vote, annula ces élections et eut l’audace de dissoudre du coup le CEP, Manigat refusa de critiquer ouvertement le Conseil National de Gouvernement, et laissa même entendre que le CEP avait sa part de responsabilités dans le fiasco.
Affirmant que l’armée est incontournable et qu’on se devait de la prendre au mot quand elle se dit être en mesure d’organiser des élections libres et honnêtes, il se porta donc candidat aux élections du 17 Janvier organisées par cette dernière et devint ainsi président d’Haiti le 7 Février 1988.
Son accession, réprouvée par la classe politique haïtienne et jugée indigeste par la communauté internationale, se déroula dans l’indifférence, quoique beaucoup de compatriotes, adoptant l’attitude de l’observateur attentif, espérait, de sa part, une action intrépide prouvant sinon sa légitimité du moins son indépendance, sa maîtrise des affaires et un désir sincère de mettre fin à une crise qui semblait déjà, à cette époque interminable et époustouflante. Rien ne semblait bouger en ce sens, et le statu quo persistait jusqu’au moment où il limogea et mis aux arrêts le général Henri Namphy pour cause d’insubordination. Cet acte relevant de l’audace signala également la fin de sa présidence. En effet, dans la nuit du 19 au 20 Juin 1988, il est donc renversé par un coup organisé par certains membres des Forces Armées d’Haiti qui remirent, une nouvelle fois, à Henri Namphy les rênes du pouvoir exécutif. Leslie François Manigat, une fois de plus s’exila pour ne revenir qu’à la veille des élections de 1990.
Si l’on se réfère aux témoignages de ceux qui l’on connu ou ont vécu avec lui, on sera enclin de dire que Manigat est un personnage pour le moins énigmatique. Le New York Times par exemple, rapporta plusieurs témoignages abondant en ce sens. Dr. Anthony Maringot, ancien directeur du programme des études latino-américaines à Yale ou il a passé en 1971 une brève période comme chercheur, après avoir vanté son esprit critique et pénétrant, lequel fait de lui « un chercheur remarquable et exceptionnel » [outstanding in his field], le présenta comme un être ayant un certain penchant pour l’opiniâtreté et l’autoritarisme [traits of stubbornness and authoritarism] (1). D’autres, d’après ce même quotidien le décrivirent comme un être ambitieux, imprévisible et machiavélique [...some who have known him for year regard him as ambitious, unpredictable and macchivellian] (2) qui pensent qu’il lui suffit de prendre le pouvoir pour que le peuple haitien se mette à sa suite [« If I take power, the Haitian people will come to me »] (3).
Notons toutefois, qu’à cause de la brièveté de sa présidence (134 jours), le peuple haitien n’a pas eu le temps de vérifier ses traits de caractère. Un fait demeura donc certain, sa façon d’accéder à la première magistrature de l’Etat en 1988 et sa disposition manifeste à assumer, en 2004, la fonction de « président provisoire » dans le cadre de le formation d’un gouvernement provisoire lorsque certaines franges de la société se liguèrent contre le gouvernement Lavalas constituèrent des handicaps politiques majeurs quoiqu’il possèda plusieurs autres atouts. (4)
De son retour de l’exil jusqu’à sa mort, survenue le 27 juin 2014, Leslie Manigat milita dans l’opposition. Transfuge de la Convergence Démocratique, il a créé, avec d’autres membres de ce groupe et des opposant coriaces du parti Lavalas, le 21 Octobre 2002, une regroupement politique dénommé « Union Patriotique ». Candidat aux élections de 2006, le peuple et la communauté internationale lui préférèrent l’ancien premier ministre, René Préval. A la suite de cet échec, il se terra et ses interventions dans les affaires politiques se firent incroyablement rares.
En 1970, Mr. Leslie Francois Manigat avait épousé en secondes noces Mirlande Hippolyte, une compatriote experte en droit constitutional. Le couple a eu une fille nommée Béatrice. Les élections qui l’ont porté à la présidence consacrèrent également sa femme Sénatrice de La République. Représentant le département de l’Ouest, elle devint ainsi la première femme à faire partir de ce grand corps. De son premier mariage, Manigat a eu six filles: Marie-Lucie, Marie-Dominique, Viviane, Jessie, Roberte, Sabine.
✍ Note:
- « Haitian puzzle: where will new leader take nation » New York Times, 22 Février 1988, p. A5.
- « A paradox for Haiti’s presidency: Leslie François Manigat » New York Times, 26 Janvier 1988, p. A3. Le journal faisait référence au livret de Jean Marie Benoit, co-fondateur du RDNP, intituléProfil d’un candidat: mille et une raison de voter contre, publié à Caracas en 1987.
- « Haitian puzzle: where will new leader take nation » New York Times, 22 Février 1988, p. A5.
- Déclarations faites au micro de Rotchild Jean-François, journaliste de Radio Métropole à Port-au-Prince et correspondant de la « Voice of America », Octobre 2002.
📚 Publications de Leslie F. Manigat
- L’Amérique latine au XXe siècle: 1889-1929. [Paris], Editions Richelieu, 1973.
Note: Il fut re-publié en 1991 par les Editions du Seuil (ISBN 2020123738) - The Caribbean and world politics : cross currents and cleavages. / édité par Jorge Heine et Leslie Manigat. New York: Holmes & Meier, 1988.
- Le cas de Toussaint revisité : modernité et actualité de l’Ouverture. Port-au-Prince : [s.n.], 2001.
- Comment et pourquoi Haiti, pionnière du cycle historique de l’abolition de l’esclavage des noirs, et première à inaugurer l’ère de la décolonisation des peuples de couleur, a-t-elle pu chuter, après deux siècles de vie nationale, à ce niveau critique de sous-développement qui la fait situer aujourd’hui parmi les pays les moins avancés du globe (PMAS)? Port-au-Prince :RDNP, 1999.
- Au coeur complexe de la société traditionnelle : problématique et destins d’Haïti-Thomas. Port-au-Prince : Centre « Humanisme démocratique en action » CHUDAC, 1998.
- La crise haïtienne contemporaine : une lecture d’historien-politologue, ou, Haiti des années 1990 : une grille d’intelligibilité pour la crise présente. Port-au-Prince : Editions des Antilles, 1995.
- Une date littéraire, un événement pédagogique: compte rendu-critique de l’ouvrage de Pradel Pompilus et du Frère Raphaël « Manuel illustré d’histoire de la littérature haïtienne. » Port-au-Prince: Imprimerie La Phalange, 1962.
- De un Duvalier a otro : itinerario de un fascismo de subdesarrollo. Caracas (Venezuela) : Monte Avila Editores, 1972.
- Les deux cents ans d’histoire du peuple haitien, 1804-2004 : réflexions à l’heure du bilan d’une évolution bi-centenaire. Port-au-Prince : Editions Lorquet, 2002
- La diaspora haïtienne et la modernisation économique d’Haiti: occasions d’investissement et perspectives économiques en vue d’un plus grand rôle de la diaspora haïtienne dans le processus de modernisation économique d’Haiti. Port-au-Prince: RDNP, 1999.
- Le drapeau de l’Arcahaie et la deuxième phase des guerres d’indépendance. [Port-au-Prince] : Média-Texte, [200-].
- Ethnicité, nationalisme et politique : le cas d’Haïti. (s.l.):Editions Connaissance d’Haiti, 1975.
- Éventail d’histoire vivante d’Haiti : des préludes à la Révolution de Saint Domingue jusqu’à nos jours : (1789-1999). Port-au-Prince : CHUDAC, 2001-
- Un fait historique: l’avénement à la présidence d’Haiti du général Salomon; essai d’application d’un point de théorie d’histoire. Port-au-Prince: Imprimerie de l’Etat, 1957.
- Haiti of the sixties, object of international concern: a tentative global analysis of the potentially explosive situation of a crisis country in the Caribbean. Baltimore: School of Advanced International Studies, Johns Hopkins University Press, 1964.
- Introduction à l’étude de l’histoire de la diplomatie et des relations internationales d’Haiti : collection pédagogique, « le livre du maitre, guide de l’étudiant ». Port-au-Prince : Média-Texte, 2003.
- Maîtriser la conjoncture. (s.l.): Connaissance d’Haiti, 1975.
- Quelle démocratie pour Haïti?: éléments de réflexion pour une réponse. Port-au-Prince: Centre Humanisme démocratique en action, [1996].
- Les relations haitiano-dominicaines : ce que tout haïtien devrait savoir. [Port-au-Prince]: Publications du CHUDAC, 1997.
- La révolution de 1843 : essai d’analyse historique d’une conjoncture de crise. Port-au-Prince : Centre « Humanisme démocratique en action, » 1997.
- Une seule voix pour deux voies : « un seul lit pour deux rêves ».[Port-au-Prince] : Centre Humanisme démocratique en action : Editions des Antilles, [1994].
- La substitution de la prépondérance américaine à la prépondérance française en Haïti au début du xxe siècle : la conjoncture de 1910-1911 [S.l. : s.n., 19–]
- Toussaint Louverture : « les 12 facettes de son génie ». Port-au-Prince : Ministère de l’information de l’éducation populaire et du tourisme : Ministère de l’éducation nationale de la recherche scientifique et des sports, 2001.
- Visiones del Caribe : tres articulos / Leslie Manigat et autres. Traduction de Sylvia Lopez Pacheco. Porto Rico: [1990]
Note: Ces articles font partie de la thèse de la traductrice présentée à l’Université de Port-Rico.
📚 Publications sur Leslie F. Manigat
- Arcelin, Jacques. Haïti et la social-démocratie : critique des Impératifs de la conjoncture de Leslie F. Manigat. White Plains, N.Y., USA : Mouvement haïtien de libération, [1980].
- Benoit, Jean-Marie. Profil d’un candidat : mille et une raisons de voter contre. [s.l., Venezuela] : [s.n.], 1987.
- Desroches, Castro. L’avènement au pouvoir du Professeur Leslie Manigat. New York : Castro Desroches, [2017].
- Gilot, Rony. Leslie François Manigat, ou, Les infortunes du risque calcule. [Port-au-Prince] : L’Imprimeur 2015.