Jean-Pierre Boyer, né à Port-au-Prince(1) le 15 février 1776 d’un colon français et d’une esclave noire originaire du Congo, fut envoyé en France pour sa formation militaire. Il s’enrôla immédiatement dans l’armée républicaine et devint chef de bataillon après seulement deux ans de service.Comme presque tous les jeunes de sa condition résidant dans la métropole, il embrassa corps et âme la cause des affranchis à un moment où ces derniers luttèrent pour la reconnaissance de leurs droits civils.
L’envoi de la deuxième commission civile chargée de faire appliquer à Saint Domingue le décret du 4 avril 1792, lui fournit une occasion de retourner sur sa terre natale et de se lancer, avec ses acquis militaires, dans la lutte. Il accompagna donc les commissaires Sonthonax et Polvérel. Mais une fois dans la colonie, il rejoignit plutôt les troupes d’André Rigaud qui s’opposait aux entreprises de Toussaint Louverture.
Avec la victoire de celui-ci en 1800, Boyer reprit le chemin de la France en s’arrêtant aux États-Unis, un escale qui le marqua puisque, pris dans les méandres de la crise franco-américaine et de ses retombées diplomatiques, il fut retenu prisonnier et expérimenta les affres des préjugés raciaux de ce pays. Libéré quelques temps après, il a pu reprendre son voyage et resta en France jusqu’en 1801. On le retrouva alors parmi les membres de l’armée expéditionnaire de Leclerc avec le grade de
capitaine. Déserteur quand il comprit que la vraie mission de l’expédition était de rétablir le statu quo d’avant 1791 et de réduire
ainsi les acquis des mulâtres. Suivant l’exemple de Pétion, il collabora avec les noirs insurgés commandés par Jean-Jacques Dessalines, une collaboration qui conduisit au 1er janvier 1804.
Pendant l’administration de Dessalines et durant toute la présidence d’Alexandre Pétion, il resta dans l’ombre de ce dernier en tant qu’aide de camp, secrétaire personnel, confident et commandant de l’arrondissement de Port-au-Prince. Et quoique le président de l’Ouest ne laissa aucun testament désignant son successeur, les sénateurs pensèrent que la présidence lui revint de droit ayant été son protégé.
Élu président de la République le jour suivant la mort de son père spirituel, Boyer hérita d’une république pressée de toutes parts: dans le nord, Christophe régna en maître, dans la grande Anse, des bandits avec à leur tête un certain Gomar, refusèrent de se plier aux lois de la république et semèrent la panique. Dès son accession au pouvoir, il fit de leur destruction sa priorité. Il réussit, en peu de temps, dans la grande Anse en capturant Gomar. Avec cette victoire, il décida donc à se
tourner vers le nord. L’occasion lui fut donc offerte lors de la sédition de la garnison militaire de Saint Marc. Il se porta à la tête d’une armée forte de 20,000 au secours des rebelles. La rebellion faisant tache d’huile, il poursuivit son chemin et retrouva au Cap, la métropole du Nord, un royaume agonisant, le roi venant de se tuer d’une balle à la tête. Conquéreur sans livrer une seule bataille sérieuse, il mit ainsi fin à la scission vieille de 13 ans(2).
L’Ouest étant uni, Boyer tourna alors son regard vers l’Est. La Constitution de 1806 fit de l’île une et indivisible, mais préoccupés par les luttes intestines, les dirigeants avaient en quelque sorte négligé cette partie. Christophe, juste avant sa mort, se proposait de l’acheter. Boyer commença sa reconquête par une campagne de propagande très subtile pour contrecarrer l’idée d’annexation du leader Nunez de Càrceres. Ce dernier faisant face à une grandissante opposition dut abandonner son
projet et accepta à contrecoeur l’idée de la réunification. Le 9 Février 1822, il entra triomphalement à Santo Domingo où les clefs de la ville lui fut remise. L’unité politique de l’île est faite.
Sa politique envers l’Est se réduisit simplement à une haitianisation rapide et à la marginalisation des leaders de cette région: Le français fut imposé immédiatement quoique très peu de résidents maîtrisaient cette langue. Il ferma l’université de Santo Domingo. Mal guidée, cette politique fit bien de mécontents. S’il réussit à maintenir une fragile unité pendant sa longue présidence, et ce à coups de menaces, les Dominicains, à la première opportunité se dérobèrent et proclamèrent leur indépendance(3).
Plusieurs tentatives d’unifications échouèrent par la suite.
Boyer qui cherchait la reconnaissance de l’ancienne métropole se lança dans une négociation au détriment des intérêts d’Haïti. En effet, il accepta de compenser la France au prix fort et lui concéder même des avantages commerciaux en échange de la reconnaissance d’une indépendance pour laquelle nos ancêtres ont versé leur sang.
En fait les 25 années du gouvernement de Boyer se révélèrent un gaspillage qui fit le malheur de la nation., avec un amoncellement d’échecs:
- Echec dans la diplomatie: Plusieurs tentatives de se faire reconnaitre par les États-Unis échouèrent et son projet de concordat avec l’Église catholique ne vit jamais le jour. Il provoqua l’hostilité des Anglais par une série d’actions.
- La détérioration de l’économie: Heritier d’une économie fragile, Boyer n’entreprit aucune action tendant à l’améliorer. Pire, il dilapida le trésor du royaume du Nord. Les conditions de Ordonnance de Charles X (1825) saigna à blanc le pays.
- Échec de sa politique agricole: Sous les recommendations de son secrétaire Inginac, il publia un code rural (21 avril 1826) qui assura la mainmise de l’état sur les productions agricoles, réduisit les paysans à l’état de serfs et limita même leur mouvements et déplacements. Comme conséquencem les paysans se révoltèrent en désertant les champs.
- Destruction d’un système éducatif encore balbutiant: Boyer accorda très peu d’attention à l’éducation. Dans l’Est, il ferma l’université. Dans l’ouest il refusa d’allouer des fonds à l’éducation.
- Persécution des opposants: Boyer voulait contrôler le parlement en favorisant uniquement l’émergence de législateurs à sa solde, se vit confronter à une force d’opposition au sein du corps législatif. Faisant appel à l’armée il expulsa en plusieurs occasions ceux qu’il qualifiait de dissidents dont Hérard Dumesle.
Au début de la cinquième décade du 19è siècle, Boyer ne laissait plus à ses compatriotes le soin de deviner ses intentions dictatoriales. Il imposa son autorité sur toutes les branches du pouvoir multipliant les décision arbitraires, et ainsi, multipliant ses ennemis et opposants.
Le mouvement de protestation qui avait débuté dès les années 30, s’amplifia et en 1843, un mouvement insurrectionnel parti de Praslin et ayant à sa tête Rivière Hérard finit par avoir raison de lui (13 mars 1843). Il s’exila à la Jamaïque, puis en France où il arriva le 29 septembre 1843(4) et où il expira le 9 juillet 1850. Dans sa lettre de démission, il écrivit:
« En me soumettant à un exil volontaire, j’espère détruire tout prétexte d’une guerre civile causée par mon moyen. »(5)
D’unions naturelles avec trois différentes femmes, Jean-Pierre Boyer engendra quatre enfants et adopta les enfants de Marie-Madeleine Lachenais, devenue publiquement sa concubine après la mort d’Alexandre Pétion.
✍ Note:
- Sur la propriété anciennement connue sous le nom de Boyer, et située entre les rues du Peuple et du Calvaire.
- Moins d’un an après son départ, le 27 février 1844.LI>
- Voir: La Proclamation du 26 Octobre 1820.
- Madiou, Thomas. Histoire d’Haiti: 1843-1846. Port-au-Prince : Imprimerie J. Verrollot, 1904; p. 68.
- Cité par Dantès Bellegarde. La Nation Haïtienne. Paris: J. de Gigord, 1938; p 111.
📚 Publications sur Jean-Pierre Boyer:
- De St.-Domingue : Moyen facile d’augmenter l’indemnité due aux colons de St.-Domingue expropriés. Paris : Imprimerie de Goetschy, 1825.
- Baur, John Edward. « Mulatto Machiavelli, Jean Pierre Boyer, and The Haiti of His Day ». The Journal of Negro History , Vol. 32, No. 3 (Jul., 1947, pp. 307-353.
- Elie, Louis E. Le président Boyer et l’empereur de Russie Alexandre Ier. (Une mission diplomatique à Saint-Pétersbourg en 1821). Port-au-Prince : Imprimerie du Collège Vertières [1942?].
- Guislain Wallez, Jean Baptiste. Précis historique des négociations entre la France et Saint-Domingue; suivi de pièces justificatives, et d’une notice biographique sur le général Boyer, président de la république d’Haiti. Paris : Ponthieu, [etc.] 1826.
- Hérard, Charles. Acte de déchéance. Au nom du peuple souverain, Charles Hérard aîné, chef d’exécution des volontés du peuple souverain et de ses résolutions. 10 mars 1843. Les Cayes: 1843.
- Justin, Joseph. Le péril dominicain. Paris : Albert Savine, [1895].
- Trouvé, Claude-Joseph, baron. De Saint-Domingue et de son independance. A Paris : Imprimerie et Librairie de C.J. Trouve, Rue des Filles Saint-Thomas, no. 16, Mai 1824.