6610.- Forces Militaires en Haiti

Classification Histoire et Société

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Le général haïtien Raoul Cedras (2e à gauche) et quelques uns de ses hommes au Grand Quartier Général des FAD'h
Le général haïtien Raoul Cédras (2e à gauche) et quelques uns de ses hommes au Grand Quartier Général des FAD’h
© Getty Images, 1994

Les Forces Armées d’Haïti qui comprennent toutes les branches militaires ont joué un rôle central dans la vie politique haïtienne depuis l’indépendance du pays en 1804. Après l’indépendance, cette armée qui avait vaillamment combattu les soldats de la force expéditionnaire de Bonaparte, devint un ramassis de valets au service des élites bourgeoises composées en grande partie de mulâtres accapareurs de propriétés, de généraux ambitieux qui ne pensaient qu’à jouir des richesses du pays et à s’imposer dans la sphère politique. De ce fait, elle entama une exploitation des masses rurales en forçant les paysans à intégrer l’armée pour être au service des élites et généraux. Quelquefois, ces paysans recrutés auront refusé de se soumettre à ce type d’exploitation en se soulevant contre le pouvoir en place soutenu par cette élite mulâtre et les généraux. Ce fut le cas des Piquets menés par Jean Jacques Acaau, un commissaire de police rurale qui voulait défendre les droits de la paysannerie ou des petits propriétaires terriens.

Jusqu’en 1915, tous les chefs de l’Exécutif, à l’exception d’un seul (Michel Oreste [4 mai 1913-27 janvier 1914]), venaient de son sein et se rivalisaient pour prendre possession du palais national en marchant avec leurs troupes, du Nord ou du Sud, sur Port-au-Prince. Cette lutte intestine constante affaiblissaient l’armée qui n’arrivait pas à conserver l’intégralité du territoire, défendre le pays quand des forces étrangères l’humiliaient ou essayaient de le faire chanter sur simple appel de leurs ressortissants qui s’étaient enrichis au pays en contournant nos lois. Les échecs de toutes les campagnes de l’Est, après 1844, montraient dans sa laideur l’indiscipline de nos soldats. Certains présidents, comme Lysius Salomon, essayèrent sans succès de la réorganiser en la rendant plus professionnelle.

Quand l’armée fut démobilisée au début de l’occupation américaine, très peu d’Haitiens ont prit sa défense, quoique, pour un groupe, se faisant passer pour des patriotes, l’occupation longtemps annoncée et crainte fut l’ultime humiliation pour un peuple orgueilleux de son passé et de ses héros. Un groupe armé fut réorganisé une année après le débarquement de l’occupant comme une force constabulaire professionnalisée appelée « Gendarmerie ». Sous le commandement des officiers américains, la « Gendarmerie » devint la « Garde d’Haïti » en novembre 1928, avec le statut d’institution nationale.

La nouvelle armée créée par l’occupant de 1915 soutint la répression paysanne mise en place par celui-ci. Après le départ des marines en 1934, la Garde d’Haiti fut la seule force militaire du pays. L’ancien occupant continua toutefois à la soutenir de loin. Les vieilles habitudes revinrent  alors en son sein. Après un coup d’état raté contre le président Sténio Vincent pour, disait-on, sanctionner ce dernier qui n’avait pas défendu l’honneur du pays lors du massacre des Haïtiens en République Dominicaine dans les premiers jours d’octobre 1937, elle s’immisça ouvertement dans la politique en 1946 et y prit goût depuis lors. En attesta d’abord le coup contre le président Dumarsais Estimé le 10 mai 1950. Après le départ du général Paul Eugène Magloire, elle s’attribua le rôle d’arbitre et devint incontournable manipulant des politiciens cupides, sélectionnant et renvoyant des présidents provisoires comme Daniel Fignolé, et contrôlant tous les événements politiques en cette année 1957.

Changeant de nom et faisant du président son chef suprême elle devint l’« Armée d’Haïti »1 en mars 1947. Elle est à nouveau rebaptisée sous le nom de « Forces Armées d’Haïti » (FAD’H) en 1958, au début de la présidence de François Duvalier. Ce dernier, pour sa survie politique, mit fin à l’impulsion déstabilisatrice des militaires en plaçant l’armée sous la tutelle d’une autorité civile, et en créant une milice loyale comme force parallèle et contre-poids.

L’armée fut contrôlée, cantonnée et parfois humiliée pendant la dictature. François Duvalier avait fermé l’Academie militaire en 1961 pour changer la physionomie du haut-état major en y plaçant des fils de la classe montante. Il avait même eu l’audace un peu plus tard de faire fusiller des officiers qu’il soupçonnait de complot contre le gouvernement et de tentative d’assassinat contre sa personne et ce, en présence du haut État-major, des soldats de la garde présidentielle qui assurait sa protection, des miliciens (tontons macoutes) et de quelques civils.

Toutefois, certains refusèrent d’accepter passivement les diktats du président et préparaient secrètement des coups; mais les espions du dictateur infiltrés dans toutes les institutions de l’État et dans l’armée veillaient et l’informaient de toutes manigances pouvant déstabiliser son gouvernement. Et avant que les coups se matérialisaient, le gouvernement arrêtait, questionnait, suppliciait et condamnait. Ceux qui se voyaient démasquer et qui avaient encore le temps, se réfugiaient dans les ambassades.

La révolte d’Octave Cayard, colonel dans les forces armées haïtiennes et commandant des garde-côtes d’Haïti, le 24 Avril 1970, s’inscrit dans cette démarche. Sur le point d’être démasqué, et ne pouvait en toute sécurité atteindre une ambassade, il a décidé de jouer le tout pour le tout en s’insurgeant avec les moyens et les hommes à sa disposition2. Certains disaient à l’époque que cette infructueuse insurrection précipita la mort de François Duvalier déjà souffrant et dans un état débilitant. Son successeur, son fils Jean-Claude Duvalier, réouvrit l’Academie militaire qui admettait uniquement les fils robustes des loyalistes du régime. Le nouveau président créa en 1973 une nouvelle unité au sein de l’armée connue sous le nom de « Corps des Léopards ». Cette unité, spécialisée dans la lutte contre la guerilla urbaine, fut impliquée dans une mutinerie contre le président provisoire Prosper Avril, un général des Forces Armées d’Haiti, dans les premiers jours du mois d’avril 1989. Le Corps des Léopards fut dissous peu de temps après la tentative de coup d’État3.

Ce fut donc une armée longtemps humiliée qui revint sur l’échiquier politique, après le départ de Jean-Claude Duvalier en février 1986. Malgré la présence en son sein de quelques hauts-gradés intègres et compétents, elle a vite appris ou réappris à jouer un rôle considérable dans l’arêne politique. Implicitement ou ouvertement impliquée dans la sélection, la destitution ou tentative de destitution des chefs d’État haïtiens dont des frères d’armes (le général Henri Namphy 4, le 17 septembre 1988; le général Prosper Avril, le 1er avril 1999); et des civils tels que François Leslie Manigat, le 20 juin 1988 et Jean-Bertrand Aristide. Celui-ci élu démocratiquement le 16 décembre 1990 fut victime d’un coup d’état le 30 septembre 1991; un coup orchestré par le colonel Michel François, assumé par le général Raoul Cédras, alors chef d’état-major.

De ce dernier coup, elle avait non seulement repris son rôle d’arbitre, mais se lança à nouveau dans la repression avec l’aide de civils armés nommés attachés. Certains de ses membres, pour s’enrichir rapidement, ne se contentèrent plus de s’approprier les biens d’autrui comme au XIXe siècle, mais se lancèrent dans le marché lucratif des produits illicites. Jean-Bertrand Aristide, revenu en Haïti, après avoir passé trois ans en exil, la démobilisa pour ainsi mettre fin à l’instabilité politique dont elle était responsable. On était alors loin de cette armée indigène dont la formation, les actions l’engageaient dans un combat anticolonialiste et antiesclavagiste.

De 1995, année de sa démobilisation5, jusqu’au milieu de la décade 2010, elle resta une comateuse, maintenue uniquement en vie par la validation que lui procurait la Constitution du 29 mars 1987 qui la reconnaissait comme une force instituée « pour garantir la sécurité et l’intégrité du Territoire de la République » (Titre XI, Chapitre I). Le vide qu’elle avait laissé fut rempli par des soldats de différentes forces multinationales dont la Minustah, présente en Haiti de juin 2004 à octobre 2017. Cette force composée de casques bleus de l’ONU fut responsable de la ré-introduction en Haiti du choléra qui fit des milliers de victimes, de viols d’adolescents des deux sexes et qui laissa, au départ des derniers contingents, des milliers de petits bâtards surtout dans les provinces. Pire, elle n’avait pas réussit à remplir sa mission qui consistait à aider le pays à se relever, à se reconstruire et à retrouver le chemin de la stabilité. Par exemple, en octobre 2017, Haiti ne jouissait pas d’un climat sûr et stable parce qu’elle avait imposé des leaders peu honorables mais qui accepteraient ses désidérata.

Le gouvernement PHTK dirigé, par procuration, par Jovenel MoÏse, essaya de faire revivre l’armée, malgré une mise en garde de ses patrons américains qui, par la voix de John Kelly, alors Secrétaire à la Sécurité intérieure (Secretary of Homeland Security), aurait déclaré, lors d’une visite en Haiti en mai 2017, que cette décision se révélera un désastre parce que l’institution deviendra un « atelier de fabrication de demons ».

Sa remobilisation, malgré la mise en place d’un état-major en 2017, resta un vœu pieux. Cinq ans plus tard, elle n’arriva pas à s’imposer faute de crédibilité, d’armements et d’organisation. On nota d’ailleurs son absence au temps fort de l’insécurité (2021-2022). Aucune force militaire n’affrontait les gangs qui imposaient leurs lois dans certaines régions du pays et qui enrichissent des êtres tapis pendant longtemps dans l’ombre et qui supportaient l’activité des gangs(raquettes, prises d’otages, règlements de compte) ou s’adonnaient à des traffics malhonnêtes et/ou illicites. La police nationale fut la seule à affronter et rechercher les criminels, avec le peu de ressources dont elle dispose et le mangue de préparation des policiers dans la lutte contre la guerrilla urbaine. De temps en temps, la police faisait les frais des actions criminels des gangs.

 

  1. Article 133 de la Constitution de 1946.
  2. « La rébellion du colonel Cayard » in: Dupuy, Charles, Le coin de l’histoire. Tome III. [n.l] : Éditions la Périchole, 2006; pp. 195-202.
  3. Avec le corps des Léopards, fut également dissoute l’unité cantonnée aux Casernes Dessalines. Ces deux corps avaient un effectif d’environ 1600 hommes.
  4. Le bénéficiaire, Prosper Avril, dira de ce coup qu’il fut le « déclenchement d’une action de grande envergure savamment planifiée par les stratèges de la gauche radicale qui avaient réussi à infiltrer avec succès un secteur important de [l’armée] » (Vérités et révélations> Vol. 1: Le silence rompu : 16 septembre 1988 au 17 septembre 1991. Port-au-Prince : Bibl. Nationale, 1993; p. 20)
  5. Peu d’années avant cette démobilisation, Le général Prosper avril, parla d’une armée où « l’indiscipline et le non respect de la hiérarchie régnaient dans presque toutes les unités » (op.cit; p. 95), mais n’a pas mentionné qu’à la tête de cette institution se trouvaient des chefs dont les intérêts particuliers primaient sur ceux de la collectivité.
  • Avril, Prosper. Vérités et révélations. 3 volumes Port-au-Prince: Bibliothèque Nationale d’Haiti, [1993-].
  • Id. L’armée d’Haiti, bourreau ou victime?. Port-au-Prince : Bibl. Nationale, 1997.
  • Charles, Francis. Haiti, essence du pouvoir martial: la domestication de l’armée. Éditions Henri Dechamps, Port-au-Prince, Haiti, 2009.
  • Delince, Kern. Armée et politique en Haiti. Paris: L’Harmattan, 1979.
  • Delince, Kern. Quelle armée pour Haïti?: militarisme et démocratie Paris; Karthala, USA, 1994.
  • Laguerre, Michel S. The military and society in Haiti. Knoxville: University of Tennessee Press, 1993.
  • Gaino, Bernard. La révolution des esclaves : Haïti, 1763-1803. Paris: Vendémiaire, 2017.
  • Le Glaunec. L’armée Indigène La défaite de Napoléon en Haïti. Québec: Lux, editeur, 2020.
  • Rébu, Himmler. L’armée dans l’oeil du cyclone. Port-au-Prince: [n.p.], 1994.
  • Sanchez, W Alex. Don’t Recreate Haiti’s Army. Washington [DC]: Inter-Hemispheric Resource Center Press, 2012.
  • Toussaint, Hérold. L’armée et la presse écrite en Haiti: Une approche psychologique. Port-au-Prince: Collectif des Universitaires Citoyens, 2009.
  • Toussaint Louverture, Desormeaux, Daniel. Mémoires du général Toussaint Louverture. Paris: Classiques Garnier, 2011.
  • Tucker, Phillip Thomas. Martyred Lieutenant Sanité Bélair : Haiti’s revolutionary heroine: a new look at the fighting « tigress » of the struggle for liberty. [United States]: [Phillip Thomas Tucker], 2019.

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