✍ Note de Haiti-Référence:
On prétend que l’idée de l’établissement d’une royauté devant remplacer constitutionnellement l’État du Nord, alors dirigé par Henri Christophe, reconnu par la constitution de 1807 comme le suprême magistrat, remonte au 26 mars 1811 et fut une réponse aux desiderata du peuple. Lors d’une fête organisée à Fort-Liberté ce jour-là en l’honneur de Mme Christophe et à laquelle étaient conviés la hiérarchie militaire et les grands commis de l’État, quelques têtes échauffées, lors de la revue des troupes par Christophe, se mirent à crier « Vive le roi! », « Vive la reine! », cri repris avec enthousiasme par l’assistance.La fête terminée, une assemblée fut immédiatement mise sur pied et en moins de deux jours accoucha d’une constitution qui fut présentée à Christophe le 4 avril suivant par le président, le lieutenant-général Paul Romain.
Au-delà de cette explication, si l’on veut bien l’admettre, on peut toujours en trouver d’autres, et la vanité du dirigeant de l’État du Nord n’en sera donc pas la moindre., un roi étant une projection de pouvoir, de splendeur. Christophe avait de grandes et positives idées qu’il mettra d’ailleurs en exécution.
La constitution royale de 1811 composée de seulement 35 articles divisés en huit titres octroya à Henri Christophe le titre de roi d’Haiti sous le nom de Henry (sic), instituant ainsi une dynastie qui pourtant ne se concrétisa pas.
Revêtue de la signature des huit membres rédacteurs et de celle de quarante (40) autres nobles du régime dont des prélats, des généraux, des intendants etc, la constitution fut publiée le 6 avril. La veille, un édit de douze (12) articles créant et réglementant la noblesse de la nouvelle monarchie avait été publié.
Texte de la Constitution:
Le Conseil d’État, extraordinairement assemblé à l’effet de délibérer sur les changements qu’il est nécessaire d’apporter à la Constitution de l’État d’Haïti et sur le meilleur ordre de gouvernement qui lui convient, considérant que, lorsque la Constitution du 17 février an IV fut promulguée, l’État se trouvait, à proprement parler, sans pacte social, et que les orages de la guerre civile grondaient avec une telle force qu’ils ne permettaient pas aux mandataires du peuple de fixer d’une manière irrévocable le seul mode de gouvernement qui nous convient réellement;
Que cette Constitution, cependant, toute informe qu’elle parait être, et dont ces mêmes mandataires ne se dissimulaient pas l’imperfection, convenait alors aux crises dans lesquelles elle avait pris naissance et aux tempêtes qui environnaient son berceau;
Que le petit nombre des principes sublimes qu’elle renferme suffisait néanmoins au bonheur du peuple, don elle fixait tous les droits dans ces temps déplorables;
Considérant qu’aujourd’hui, grâce au génie du suprême magistrat qui tient les rênes de l’État, et dont les hautes conceptions et la brillante valeur ont su ramener l’ordre, le bonheur et la prospérité, l’état florissant de la culture, du commerce et de la navigation, le rétablissement des mœurs, de la morale et de la religion, la haute discipline établie dans l’armée et la flotte, semblent promettre une éternelle durée a l’État;
Qu’il convient aujourd’hui plus que jamais d’établir un ordre de choses stable, le mode de gouvernement qui doit à jamais régir le pays qui nous a vu naître;
Considérant qu’il est instant de revêtir l’autorité souveraine d’une qualification auguste, grande, qui rende l’idée de la major te du pouvoir;
Que l’érection d’un trône héréditaire est la conséquence de cette puissante considération;
Que l’hérédité du pouvoir aux seuls enfants mâles et légitimes (a l’exclusion des femmes), dans une famille illustre constamment dévouée a la gloire et au bonheur de la patrie qui lui doit son existence politique, est autant un devoir qu’une marque éclatante de la reconnaissance nationale;
Que la nation qui fait en ce moment, par nos organes, l’usage de sa volonté et de sa souveraineté; en les confiant a celui qui l’a relevée de l’abîme et des précipices ou ses plus acharnes ennemis voulaient l’anéantir, a celui qui la gouverne maintenant avec tant de gloire que cette nation n’a pas a craindre pour sa liberté son Indépendance et son bonheur;
Qu’il convient aussi d’établir des grandes dignités, autant pour relever la splendeur du trône, que pour récompenser de signales services rendus a la patrie par des officiers qui se dévouent pour le bonheur, la gloire et la prospérité de l’État;
Le conseil d’État rend en conséquence la loi organique suivante:
TITRE PREMIER
De la Première Autorité
Article 1er. –
Le président Henri Christophe est déclaré roi d’Haïti sous le nom de Henri. Ce titre, ses prérogatives et immunités seront héréditaires dans sa famille, pour les descendant mâles et légitimes en ligne directe, par droit d’aînesse, à l’exclusion des femmes.
Article 2.-
Tous les actes du royaume seront publiés et promulgués au nom du roi, et scellés du sceau royal.
Article 3. –
A défaut d’enfants mâles en ligne directe, l’hérédité passera dans la famille du prince le plus proche parent du souverain, ou le plus ancien en dignité.
Article 4. –
Cependant il sera loisible au roi d’adopter les enfants de tel prince du royaume qu’il jugera à propos, à défaut d’héritier.
Article 5. –
S’il lui survient, après l’adoption, des enfants males, leurs droits à l’hérédité prévaudront sur ceux des enfants adoptés.
Article 6. –
Au décès du roi, et jusqu’à ce que son successeur soit reconnu, les affaires du royaume seront gouvernées par les ministres et le Conseil du roi qui se formeront en Conseil général, et qui délibérerons à la majorité des voix. Le secrétaire d’État tient le registre des délibérations.
TITRE II
[De la Famille Royale]
Article 7.-
L’épouse du roi est déclarée reine d’Haïti.
Article 8.-
Les membres de la famille royale porteront le titre de princes et princesses; on les qualifiera d’altesses Sérénissimes. L’héritier présomptif de la couronne sera déclaré prince royal.
Article 9.-
Ces princes sont membres du conseil d’État sitôt qu’ils on atteint leur majorité.
Article 10.-
L es princes et princesses du sang royal ne peuvent se marier sans l’autorisation du roi.
Article 11.-
Le roi fait lui-même l’organisation de son palais d’une manière conforme à la dignité du trône.
Article 12.-
Il sera établi, d’après les ordres du roi, des palais et châteaux dans les parties du royaume qu’il jugera convenable à cet effet.
TITRE III
De la Régence
Article 13.-
Le roi est mineur jusqu’à l’âge de 15 ans accomplis; pendant sa minorité il sera nommé un régent du royaume.
Article 14.-
Le régent aura au moins vingt-cinq ans accomplis. On le choisira parmi les princes les plus proches parents du roi (à l’exclusion des femmes) et, à leur défaut, parmi les grands dignitaires du royaume.
Article 15.-
A défaut de désignation du régent, de la part du roi, le grand Conseil en désignera un de la manière prescrite dans l’article précédent.
Article 16.-
Le régent exerce jusqu’à la majorité du roi toutes les attributions de la dignité royale.
Article 17.-
Le régent ne peut conclure aucun traité de paix, d’alliance et de commerce, ni faire aucune déclaration de guerre qu’après une mûre délibération et de l’avis du grand Conseil; l’opinion sera émise à la majorité des voix; en cas d’égalité de suffrages, celles qui s’accorderont avec le sentiment du régent emporteront la balance.
Article 18.-
Le Régent ne peut nommer les grands dignitaires du royaume, ni les officiers généraux des forces de terre et de mer.
Article 19.-
Tous les actes du régent sont faits au nom de roi mineur.
Article 20.-
La garde du roi mineur est confiée à sa mère et, à défaut, au prince désigné par le feu roi. Ne peuvent être élus pour la garde du roi mineur, ni le régent, ni ses descendants.
TITRE IV
Du Grand Conseil et du Conseil Privé
Article 21.-
Le grand Conseil se compose de princes du sang, des princes, ducs et comtes nommés, et au choix de S. M. qui doit aussi fixer leur nombre.
Article 22.-
Le Conseil est présidé par le roi, et quand il ne le préside pas lui-même, il désigne un des dignitaires du royaume pour remplir cette fonction.
Article 23.-
Le Conseil privé est choisi par le roi parmi les grands dignitaires du royaume.
TITRE V
Des Grand-Officiers du Royaume
Article 24.-
Les grands officiers du royaume sont les grands maréchaux d’Haiti; il sont choisis parmi les généraux de tous les grades et selon leur mérite.
Article 25.-
Leur nombre n’est pas limité; le roi le déterminera à chaque promotion.
Article 26.-
Les places des grands officiers du royaume sont inamovibles.
Article 27.-
Quand, par ordre du roi, ou par cause d’invalidité, un des grands officiers du royaume viendrait à cesser ses fonctions, il conservera toujours ses titres, son rang et la moitié de ses traitements.
TITRE VI
Des Ministres
Article 28.-
Il y aura quatre ministres, au choix et à la nomination du roi:
- Le ministre de la guerre et de la marine;
- Le ministre des finances et de l’intérieur;
- Le ministre des affaires étrangères;
- Et celui de la justice.
Article 29.-
Les ministres sont membres du Conseil, et ont voix délibérative.
Article 30.-
Les ministres rendent compte directement à S. M., et prennent ses ordres.
TITRE VII
Des Serments
Article 31.-
A son avènement ou à sa majorité, le roi prête serment sur l’Évangile, en présence des grands autorités du royaume.
Article 32.-
Le régent, avant de commencer l’exercice de ses fonctions, prête serment, accompagné des mêmes autorités.
Article 33.-
Les titulaires des grandes charges, les grands officiers, les ministres et le secrétaire d’État prêtent aussi leur serment entre les mains du roi.
TITRE VIII ET DERNIER
De la Promulgation
Article 34.-
La promulgation de tous les actes du royaume est ainsi conçue:
Nous, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi d’Haïti, à tous présents et à venir, salut.
Ces actes se terminent ainsi qu’il suit:
Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues de notre sceau, soient adressées à toutes les cours, tribunaux et autorités administratives pour qu’ils les transcrivent dans leurs registres, les observent et les fassent observer dans tout le royaume; et le ministre de la justice est chargé de la promulgation.
Article 35.-
Les expéditions exécutoires des jugements des cours de justice et des tribunaux sont rédigées ainsi qu’il suit :
« Nous, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi d’Haïti, à tous présents et à venir, salut. »
(Suit la copie de l’arrêt ou jugement).
Mandons et ordonnons à tous les huissiers sur ce requis, de mettre ledit jugement à exécution; à nos procureurs près les tribunaux d’y tenir la main; à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi le présent jugement a été signé par le président de la Cour et le greffier.
Fait par le conseil d’État d’Haïti.
Au Cap-Henri, le 28 mars 1811, an VIII de l’Indépendance.
Signé:
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📚 Sources:
- Mackenzie, Charles. Notes on Haiti made during a residence in that republic.. London : Henry Colburn and Richard Bentley; pp. 268-274.
- Janvier, Louis Joseph, 1855-1911. Les constitutions d’Haïti (1801-1885). Tome 1. [Port-au-Prince] : Éditions Fardin, 1977; 91-98.