Jean-Claude, l’unique garçon et le benjamin des enfants du Docteur François Duvalier et de son épouse Simone Ovide [† 26 Décembre 1997], fut le président d’Haiti du 22 Avril 1971 aux premières heures du 7 Février 1986.
Né à Port-au-Prince le 3 Juillet 1951, il était âgé de seulement six ans quand son père devint président d’Haiti à la suite des élections du 22 Septembre 1957. Il eut une enfance relativement calme et ne devait être l’objet de la curiosité de la presse et du public en général qu’au seuil de l’âge adulte, et ceci, malgré la tentative d’enlèvement du 26 Avril 1963. Ceux qui l’ont connu et l’ont suivi de près, l’ont décrit comme un jeune garçon timide et introverti, contredisant ainsi l’image de playboy et de coureur de jupes créée par la rumeur publique. Jean-Claude Duvalier fut, pendant son adolescence et les premières années de sa vie adulte un passionné des voitures de course et excellait dans l’art du tir.
Il fit ses études classiques notamment au Collège Bird, une école dirigée par les Méthodistes d’Haiti, et au Collège Saint Louis de Gonzague, l’une des plus prestigieuses écoles d’Haiti, dirigée par les Frères de l’Instruction Chrétienne. Il n’a jamais pu compléter les études de droits commencées à domicile sous la direction d’éminents juristes et professeurs de la Faculté de Droit de Port-au-Prince.
Autorisé par la Constitution de 1964 à nommer lui-même son successeur,François Duvalier ne laissa transparaître son intention, à ce sujet, qu’à la fin de l’année 1970, quand il commença à initier son fils aux affaires de l’état. C’est ainsi que le 18 Novembre 1970, durant la fête de Vertières et des Forces Armées d’Haiti, Jean-Claude Duvalier, alors âgé de 19 ans, reçut sur les podiums du palais national le salut des militaires, se substituant ainsi au président.
Le 2 janvier suivant, durant sa traditionnelle adresse du jour de l’an, Duvalier père fit connaitre publiquement son intention de désigner son fils, Jean-Claude Duvalier, comme son successeur. Hâtivement, la chambre mono-camérale approuva les 13 articles devant amender la constitution de 1964 et donner une façade légale et constitutionnelle à cette démarche. L’un des articles réduisit l’âge minimum d’un président Haitien à 18 ans, et le 31 Janvier 1971, le peuple fut invité à ratifier le choix et les amendements à travers un référendum.
Ainsi donc, quand François Duvalier rendit l’âme en Avril 1971, la succession s’opéra sans heurts et sans une ferme opposition de l’intérieur. Le 22 Avril 1971, Jean-Claude Duvalier prêta le serment d’usage et devint le 38ème chef d’état haitien.
Dans son premier cabinet on retrouva les faucons du régime de son père ou des duvaliéristes dont la loyauté demeurait indiscutable. On prétendit même, à cette époque que son père lui-même composa, avant sa mort, ce cabinet en vue d’une part, de lui faciliter la tâche et d’autre part, de garantir la continuité de son administration.
Toutefois, Jean-Claude Duvalier essaya, dès le début et malgré la présence des faucons dans son cabinet, de se démarquer des tactiques oppressives de son père. Dans l’un de ses premiers discours, il eut à déclarer que son père avait fait la « révolution politique » alors que lui est appelé à faire une « révolution économique ». Du même souffle, il invita les exilés à regagner le bercail. Le nombre de ceux qui le prit au mot demeura toutefois insignifiant.
Il s’efforça également, dans les premiers temps, d’attaquer certains problèmes du pays, aidé en ce sens par plusieurs facteurs. Les relations avec les Etats-Unis, tendues depuis la coupure de l’aide américaine par le président Kennedy, sont revenues au beau fixe. Les aides affluèrent d’un peu partout et les industries de sous-traîtance se multiplièrent. Les tensions avec la République Dominicaine ont été atténuées. Ces facteurs et ses démarches aérèrent un peu l’atmosphère étouffante des années 60 et facilitèrent une certaine libéralisation tant au niveau des esprits que du comportement.
Toutefois, parce qu’il fut incapable de gérer et de canaliser le courant de libéralisation, et poussé par les faucons duvaliéristes qui se sentirent menacés dans leur indiscutable autorité, son gouvernement entreprit, dès la fin des années 70, toute une série d’actes de représailles contre ses critiques et ceux qui osèrent remettre en question la présidence à vie.
La presse qui commençait à s’épanouir fut à nouveau bâillonnée ou recroquevillée sur elle-même, les membres des deux partis politiques qui opéraient sur le terrain se réfugièrent à nouveau dans la clandestinité, et les auteurs d’œuvres dramatiques censurés. Le 28 novembre 1980, par exemple, son gouvernement procéda à l’arrestation de plusieurs leaders politiques non alliés au régime et des journalistes qui osèrent afficher une certaine indépendance.
Marié à Michèle Bennett, fille d’un membre de la bourgeoisie marchande et mulâtre, le couple eut deux enfants: un garçon du nom de François Nicolas et une fille nommée Anya.
Ce mariage, célébré en grande pompe à la cathédrale de Port-au-Prince le 25 Mai 1980, suscita bien des mécontents au sein même des duvaliéristes de première heure, qui virent dans cette alliance et dans la nomination de jeunes technocrates sans passé révolutionnaire aux timons des affaires de l’Etat, sinon une trahison du moins un démarquage des idéaux du duvaliérisme. Ceux qui osèrent exprimer ouvertement leur mécontentement furent réduits au silence.
Contraint par les pressions populaires et abandonné par les supporteurs internationaux du régime, Jean-Claude Duvalier dut se démettre et s’en aller d’Haiti au matin du 7 Février 1986 après avoir mis sur pied un conseil de gouvernement (CNG)¹.
Avec sa femme Michele et ses enfants (Nicolas et Anya) il s’établit donc en France avec une fortune estimée à près de 120 millions de dollars et provenant des fonds de l’état haitien et transférés en partie dans des banques suisses. Cette dernière, à la demande de l’État haïtien, gela les comptes liés à ces fonds. Après juste quelques années, la partie disponible de sa fortune fut dilapidée suites aux extravagances de sa femme. Cette dernière se divorça de lui en 1992. On rapporta alors que l’ancien président d’Haiti faisait face à de grandes difficultés financières.
En mai 2007, le dossier de la restitution des fonds déposés dans les banques suisses fit à nouveau la une des dépêches des agences de presse, le blocage des fonds déposés dans les banques de ce pays, ne pouvant être, en vertu de sa Constitution, que provisoire et le gouvernement haïtien n’ayant pu donner des garanties qu’au moins une partie des fonds servirait à des fins d’intérêt public. Ces garanties furent exigées par la Suisse, pour faire d’Haïti un bénéficiaire de tout déblocage.
En exil, il essaya, à plusieurs reprises de se faire entendre du peuple haïtien. Après les élections avortées du 29 Novembre 1987, il émit une déclaration à travers son avocat invitant les Haïtiens au calme. En Septembre de l’année 2000, il posta sur le site officiel des Duvalier en ce temps-là un message où il se présenta comme le « garant des changements inéluctables qui doivent marquer l’avenir ».
En Juillet 2002 il revint à la charge à travers une note publiée par son avocat, Me Sauveur Vaisse, en indiquant qu’il était « prêt à regagner Haiti sa patrie ravagée par l’anarchie, l’insécurité, la pauvreté … et bien disposé à participer à la reconstruction du pays ». A la fin de la même année, dans une interview sur la chaîne de télévision américaine CBS, il dressa un sombre tableau de la situation économique en Haïti et, tout en souhaitant le départ du président d’alors, déclara qu’il est de son devoir de rentrer dans son pays pour aider à sa reconstruction.
Pendant ce temps, le Comité pour juger Duvalier formé en France s’activa autour de son dossier et voulut intenter contre lui un procès pour violations des droits de l’homme et crimes graves commis en Haïti de 1972 à 1986.
Toutefois, malgré une côte de popularité insignifiante en Haiti et dans la diaspora, malgré l’aversion qu’il continuait d’inspirer, certains compatriotes, écœurés par la situation qui prévalait alors en Haiti, éprouvaient le besoin de re-visiter son régime, et ce, avec une prédisposition beaucoup plus indulgente. Cependant ni ses ennemis acharnés ni ses amis ne pouvaient prévoir son retour en Haiti ce dimanche 16 janvier 2011 après 24 ans 11 mois et 9 jours.
Les uns et et les autres restèrent abasourdi considérant d’abord les charges à son encontre et l’atmosphère politique explosive du moment. On était en pleine période électorale, ce qui en Haiti constitue par elle-même une crise. Ils fut accueilli par des sympathisants et des compatriotes nostalgiques de la relative paix qu’ils jouissaient durant son gouvernement.
Se reprenant de l’effet de surprise, ses ennemis immédiatement mirent en branle l’action publique et le 18 janvier, il fut emmené au Parquet pour être entendu. Depuis lors, malgré certaines restrictions et plusieurs convocations devant le cabinet d’instruction pour être interrogé, Jean-Claude Duvalier qui proclamait alors à qui voulait bien l’entendre qu’il n’est rentré en Haiti que pour aider et n’avait aucune ambition politique, mena une vie tranquille dans son pays.
Un an après son retour d’exil, un juge d’instruction de Port-au-Prince rejeta les poursuites contre l’ancien président pour crimes contre l’humanité.. Mais ses ennemis ne chômèrent point et portèrent l’affaire devant la Cour d’Appel qui prit près de trois ans pour casser l’ordonnance du juge d’instruction reconnaissant la nécessité de prendre en considération les accusations portant sur la violation des droits de l’homme et crimes contre l’humanité.
Malgré une décision judiciaire restreignant ses déplacements, il se faisait remarquer, en plusieurs occasions, à l’extérieur de la capitale. Le 1er janvier 2014, il fut l’un des invités de marque du président Joseph Martelly aux cérémonies marquant le 210è anniversaire de l’Indépendance d’Haiti aux Gonaïves.
Alors que ses proches disaient que sa santé, jusqu’à son retour très fragile, s’était considérablement améliorée, Jean-Claude Duvalier, qui portait un peu plus que le poids de ses ans, eut à faire face à plusieurs paniques médicales suivies de courtes périodes d’hospitalisation, mais on était loin de penser, aux premières heures de ce samedi 4 octobre 2014, que sa mort serait imminente. Il rendit l’âme ce jour-là, victime apparemment d’une crise cardiaque.
✍ Note:
- Désirant rentrer dans l’histoire la tête haute, la conscience tranquille, j’ai décidé de passer le destin de la nation, le pouvoir aux forces armées d’Haïti en souhaitant que cette décision permette une issue pacifique et rapide à la crise actuelle. » [Jean-Claude Duvalier, dans un communiqué publié au moment de son départ. Cité par Bonnardot, Martin-Luc; Danroc, Gilles
📚 Publications sur Jean-Claude Duvalier:
- Jean-Claude Duvalier portrait collection / by Gaby (Montreal, Canada). (197-?).
Collection de la Bibliothèque Publique de la ville de New York (New York Public Library) - Abbott, ElizabethHaiti : the Duvaliers and their legacy. Haiti : the Duvaliers and their legacy.
- Bonnardot, Martin-Luc; Danroc, Gilles La Chute de la maison Duvalier : 28 novembre 1985-7 février 1986 : textes pour l’histoire. Paris : Karthala ; Montréal : Editions Cidihca, 1989.
- Chopin,Olivia Jones . Remembering and Forgetting the Duvaliers: Grappling with Haitian Memory in the Works of Marie-Célie Agnant and Dany Laferrière. Journal of Haitian Studies, v25 n1 (2019): 154-177.
- Condit, Erin. Francois & Jean-Claude Duvalier. New York : Chelsea House, 1989.
- Ferguson, James. Papa Doc, Baby Doc : Haiti and the Duvaliers. Oxford : Basil Blackwell, 1987.
- Franjul, Miguel. Somoza y Duvalier : la caida de dos dinastias. Santo Domingo ; Franjul, Analistas & Asesores, 1998.
- Guerre, Rockefeller. Mon mandat sous Jn-Claude Duvalier : témoignage pour l’histoire. [Port-au-Prince : s.n., 1987]
- Jallot, Nicolas. Haiti : dix ans d’histoire secrète. Paris : Editions du Félin, 1995.
- Jean, Eddy Arnold Jean; Honorat. Jean Jacques. Le Duvaliérisme, l’Aristidisme : ça suffit! [Port-au-Prince:] : Éditions Haiti Demain, 2017.
- Jean-Louis, Raphaël. Jean-Claude Duvalier, rédempteur béni. S.l. : s.n., 1974.
- Lehmann Gérard. Babydocratie et presse écrite en Haiti : considérations sur le règne de l’Illustre Héritier du Père de la Nouvelle Haïti de décembre 1980 à juillet 1981. [Odense : Odense universitetsforlag, 198-?].
- Manigat, Leslie François. De un Duvalier a otro : itinerario de un fascismo de subdesarrollo. Caracas, Venezuela : Monte Avila Editores, 1972.
- Manigat, Leslie François. Statu quo en Haïti? : d’un Duvalier à l’autre : l’itinéraire d’un fascisme de sous-développement. Paris : Technique du livre, [1971].
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- Nérée, Bob. Duvalier : le pouvoir sur les autres, de père en fils. Port-au-Prince : Henri Deschamps, [1988]
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