Homélie de Mgr. Louis KÉBREAU à l’occasion de l’investiture du président Joseph Michel Martelly, le 14 mai 2011

Mgr Louis Kébreau prononçant une homélie• Excellence, M. le Président de la République d’Haïti et Mme la Première Dame,
• Honorables chefs d’Etat et de Gouvernement,
• Excellence, Mgr le Nonce Apostolique de la République dominicaine, Délégué extraordinaire du Saint-Père
• Distingués représentants des Délégations et des Organisations internationales.
• Excellence, Mgr le Nonce Apostolique d’Haïti et les membres du Corps diplomatique
• Distingués membres du Corps législatif
• Honorables membres du Gouvernement de la République
• Autorités judiciaires et policières
• Vénérés Frères dans l’Episcopat,
• Chers frères dans le Sacerdoce ministériel
• Religieux et religieuses,
• Frères et sœurs chrétiens et haïtiens
• Peuple de Dieu d’ici et d’ailleurs,

Tant de raisons nous rassemblent ce matin, à l’occasion de l’investiture du nouveau Président de la République d’Haïti.

Nous voyons dans la présence des invités internationaux, la volonté d’affirmer et d’affiner une solidarité, aujourd’hui plus que jamais, indispensable entre tous les peuples de la terre.- Tous les grands commis de l’Etat, ici présents, chaque Haïtien aux abords du Palais, devant la télé ou un poste de radio, manifestent à nos yeux la volonté ferme de tout un peuple qui veut aller de l’avant.

C’est pour soutenir toutes les raisons positives, tout à fait humaines et généreuses, que l’Eglise, dès la genèse de cette nation et à des évènements marquants de son histoire, accepte d’élever dans la prière et l’action de Grâce, par le rite solennel du Te Deum, les espérances et les projets de ce peuple.

L’Eglise, dans la ligne de la mission reçue du Christ, ne cessera jamais d’accompagner le peuple haïtien et d’aller à sa rencontre en quel que lieux où il se trouve. Aujourd’hui, unis à tous les prêtres, religieux et religieuses, présents dans les coins les plus reculés du pays, nous sommes ici pour dire encore qu’aucune porte ne doit être fermée au Christ et que sa parole doit parvenir, par les oreilles, au cœur de tous les hommes.

Cette parole nous invite, dans l’aujourd’hui de notre pays, à l’amour dans sa double dimension: l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Les idéologies politiques les plus saines, avec leurs programmes, passeront mais seul restera ce que l’amour a réalisé.

L’Eucharistie même que nous célébrons ce matin nous fait découvrir que la vie chrétienne comporte des passages, dans la ligne de Pâque qui est un passage des ténèbres à la lumière, du mensonge à la vérité, de la haine à l’amour. Le Christ, le samedi saint, est descendu aux enfers pour racheter tous ceux qui gisaient à l’ombre de la mort et pour les ramener à la vraie vie.

Cette descente aux enfers est nécessaire pour renaitre à l’amour et à la vérité. Le Pape Benoit XVI dans l’encyclique « Caritas in veritate », rappelle que : « L’amour dans la vérité est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de L’humanité entière ».

Plus loin, le Saint-Père clarifie encore mieux cette assertion: « L’amour est cette force extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité dans le domaine de la justice et de la paix ; cette force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et vérité absolue. Chacun trouve son bien en adhérant, pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a sur lui. En effet, il trouve dans ce projet sa propre vérité et c’est en adhérant à cette vérité qu’il devient libre ». Vous avez bien compris tout cela, M. le Président, en suggérant vous-mêmes les textes bibliques soumis à notre méditation.

Qu’avons-nous fait de concret pour promouvoir la vérité et l’amour, la justice et la paix ? La passion de l’argent et du pouvoir a donné naissance à cette société faite encore d’exclusion et de discrimination ; société en pleine crise sociale, économique et politique. Tout notre système se retrouve ébranlé dans ses racines les plus profondes. Voila pourquoi la crise n’est pas seulement conjoncturelle, elle est aussi structurelle, gisant dans les fondements de la société, minant sa logique, si ce n’est son ethos même : la haine s’est installée, le mensonge est instrumentalisé, la cupidité et la corruption grimacent ; l’on vit dans la crainte, dans la peur, dans l’angoisse. Tout ce qui constituait notre patrimoine historique, culturel et religieux semble volé en éclats et perdu irrémédiablement.

Dans la foulée, l’Etat voit son autorité affaiblie, car il récompense l’appartenance et non la compétence; la compétence n’est pas orientée au service du bien commun ; le bien commun devient la recherche des intérêts personnels et non ceux de la patrie ; et l’amour de la Patrie, un vain mot. Que dire donc devant ces faits criants : Véritable descente aux Enfers ? Devant une telle dégradation : s’accuser réciproquement ou battre chacun sa coulpe ?

Mais en même temps, il nous faut paisiblement nous interroger sur l’influence réelle de la présence de l’aide externe ou extérieure dans nos affaires et sur nos affaires ; bienfaits et méfaits sont à peser et soupeser froidement, car souvent, dans le cadre de ce qu’on appelle de nos jours le devoir d’ingérence, Haïti risque de devenir un produit mis aux enchères.

Je crois, Monsieur le Président, que l’heure est venue de nous réapproprier notre destin hypothéqué, la souveraineté nationale mise à mal, notre identité noyée dans des cultures qui nous déracinent des valeurs qui, dans le passé, favorisait la liberté et la prospérité de la nation. Ce sont ces mêmes valeurs qui nous gardent toujours debout malgré les vicissitudes de notre histoire : la foi en Dieu, l’espérance en un lendemain qui finira par être meilleur, et une charité dont la misère ne saurait entraver le chemin.

Mais, l’heure est venue de faire place aussi à la raison pour établir des critères de discernement et rechercher les voies et moyens qui nous permettent de sortir d’une totale dépendance politique et socioéconomique. L’heure est venue de construire nos propres capacités pour susciter et faciliter un nouveau leadership, pour affronter les défis des temps présent et futur.

L’heure est venue pour une vraie renaissance de l’haïtien et de l’haïtienne en vue d’une nouvelle Haïti ou mieux d’une Haïti renouvelée. Il est de toute urgence que l’Etat s’engage à construire un nouveau protagonisme haïtien sur la scène nationale et internationale.

L’heure est venue d’enclencher un véritable dialogue national : pour bâtir un plan national de développement durable, pour réconcilier la nation avec elle-même, pour établir un code d’éthique politique et un pacte de gouvernabilité du pays, pour définir le profil du nouveau type d’haïtien, d’haïtienne et le profil de la nouvelle société recherchée. Et conclure ainsi ce que l’on peut bien nommer un Pacte social aux contours et aux aspirations marqués au coin du respect mutuel, de la transparence, de la solidarité, de la justice. Vous direz alors, votre volonté d’être à l’écoute de chaque Haïtien, et spécialement, puisqu’il s’agit d’écouter, de ceux qui n’ont jamais eu la voix au chapitre ou qui n’ont plus de voix. C’est seulement après les avoir bien écoutés, qu’il faudra parler en leur nom. Et là, il ne faudra pas avant tout leur dire ce qu’ils veulent entendre, mais ce qui doit être dit. Vous avez envers ce peuple, le devoir de la vérité, de l’honneur, du respect de la parole donnée.

Comprenez bien tout cela, Monsieur le Président, parce que votre investiture à la Magistrature suprême de l’Etat est un signe, un symbole exprimant le désir de tous ceux qui ont placé en vous leur confiance et, en général, de tous les haïtiens, haïtiennes indistinctement, dont vous êtes le président. Ils ont besoin vraiment de respirer un air de liberté et de sécurité indispensable à leur plein épanouissement.

Nous retrouvons ainsi, en votre personne, le désir profond de tout un peuple, de notre peuple, votre peuple, d’un changement radical, mais authentique dans la gouvernance de ce pays ; un pays où nous ne cessons de rappeler que chaque haïtien doit avoir sa place. Chaque membre de cette nation a une pierre à apporter à sa reconstruction physique, économique, sociopolitique, culturelle et religieuse qu’il faut accueillir et déposer à sa juste place.

L’Evangile de Matthieu (Mt 20, 17-28) que vous avez écouté soulève une question exigeante. C’est celle que Jésus pose aux deux fils de Zébédée, Jacques et Jean: « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire » ? Ils répondent : « oui » ! Mais ils n’ont aucune idée de ce dont il parle. Prenez pour vous-même aussi, M. le Président, cette même question. Je veux croire que votre réponse sera certainement positive avec, bien sûr aussi, des conséquences auxquelles vous ne vous attendrez pas.

Durant votre tournée du pays, vous avez constaté la coupe à laquelle s’abreuve ce peuple meurtri, humilié et bafoué : coupe remplie de souffrances physiques, morales et spirituelles ; coupe de la privation, de la solitude, de l’exclusion, de l’abandon et de l’angoisse. Une coupe remplie d’amertume. Comment transformer cette coupe de chagrin et de tristesse en espérance, joie et amour? Le Christ qui a bu cette coupe jusqu’à la lie, avait la confiance pleine et entière de son Père qu’il appelait « Abba, Papi » ! Le coeur blessé d’amour, il s’est livré, s’est donné pour le salut de ce peuple. Puisqu’Il dit qu’« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».

Vouloir ce changement radical implique de votre part une option claire et nette de vous mettre au service de chaque haïtien, de chaque haïtienne, peu importe sa condition sociale, économique, politique et religieuse. Tout en étant attentif à tous ces niveaux d’intervention, il faut se rappeler la mise en garde du Pape Benoit XVI dans Caritas in Veritate (CIV), numéro 29: « Les pays économiquement développés exportent vers les pays pauvres …, une vision réductrice de la personne et de sa destinée. C’est le dommage que le surdéveloppement inflige au développement authentique quand il s’accompagne d’un sous-développement moral ». Prenez garde à ne pas vous laisser influencer par des idéologies qui ne favorisent pas l’intégration des valeurs, de nos valeurs culturelles et religieuses.

Monsieur le Président, la tâche est immense. Mais, je vous encourage à ne laisser rien, ni personne, vous faire perdre cet élan de confiance qui vous porte à la charge suprême de l’Etat, qui apporte l’espérance à un peuple par trop désabusé. Que ni rien ni personne ne vous fasse abandonner votre rêve de voir un jour ce pays se relever de ses souffrances.

Connaissez-vous aujourd’hui un Président ou un Chef de Gouvernement qui arrive au pouvoir sans avoir des défis à relever et des décisions importantes à prendre ? Le cas d’Haïti dévasté par les catastrophes, intempéries et épidémies, semble être particulier. Mais, je ne vous apprendrai rien en vous disant que c’est un peuple fort qui se met sous votre commande.

Ou te mèt wè pèp sa a pliye e li pliye ba anpil wi jodia, men li pap kase, paske li pap dekouraje. Toujou sonje ou se Presidan tout Pèp sa a, san distenksyon. Sa ki fè fos peyi sa a, se tèt ansanm ; yon tèt ansanm kote tout ayisyen ap mete men ; yon tèt ansanm kote pa gen diferans ant rich ak pov, ant nwa, rouj, jonn ak blan. Sonje nan batistè peyi nou keksyon sa a, zansèt nou yo te reglel pandan yo te asume devan tout nasyon sou tè a : nou se yon sèl pèp, e pèp sa a se yon pèp nèg li ye. Fok nou toujou sonje sa pou nou ka vanse sou chimen tèt ansanm nan ; yon tèt ansanm kote ni tèt ki kale, ni tèt ki pa kale genyen menm dwa ak menm devwa.

A chak fwa yon presidan tou nef monte sou pouvwa nan peyi sa a, gen anpil kè ki toujou ap sote. Yo pè pou avni yo, pou pozisyon yo. Pinga okenn fonksyonè ki konpetan trakase yo, depi yo fè travay yo byen epi ak konsyans yo. Men pinga tou okenn moun ki anpeche peyi sa a vanse pi devan, nan mete ensekirite, injistis, kidnaping kontinye chita kè popoz, paske problem sa yo dwe fini.

A chak fwa yon nouvo gouvènman ap monte, anpil projè ki te komanse ap bay rezilta konn kanpe epi moun ki te konn mete tout tan yo ak tout fos yo ladanl konn pran gwo desepsyon. Legliz la envite presidan an ak tout moun pèp la bay manda kontinye tout program ki bon e ki bay rezilta. Li envite nou tou, nan menm misyon profetik li genyen, kanpe tou swit tout aktivite ki pap mennen ni Ayisyen ni Ayiti okenn kote : aktivite dilatwa, dezod, divizyon, piyay ak dechepiyay epi tout lot kalite briganday.

Nou lapryè Bondye pou l delivre nou anba tout sa ki anpeche Ayiti mache epi pou li banou fos pou nou ankouraje nan sa nap fè ki bon pou nou ak pou tout lot pep.

Som 34, vèsè15 ede nou lapriyè konsa : « Sispann fè sa ki mal. Fè sa ki byen! Chache jan pou nou viv byen ak moun. Fè tou sa nou kapab pou nou viv byen ak tout moun. Se sa mande nou ».

Notre prière, Mr le Président de la République, continuera à attirer la bénédiction de Dieu sur cette terre pour l’aider à sortir du gouffre du désespoir vers la lumière de l’espérance.

Que le Christ Ressuscité vous bénisse et vous aide à réaliser tous les projets et bons voeux que vous formulez pour ce pays.
Que Notre Dame du Perpétuel Secours vous apprenne, la fidélité, la persévérance dans les bonnes décisions.
Que Saint Joseph, le Père Nourricier de Jésus, vous aide à avoir une attention singulière pour chaque membre de cette nation.
Que Saint Michel Archange, votre patron, défende et protège la nation haïtienne. AMEN !

Mgr. Louis KÉBREAU, sdb
Archevêque métropolitain du Cap-Haïtien,
Président de la Conférence Épiscopale Haïtienne
14 mai 2011