Lettre ouverte de la COPAH aux membres du Core Group
📅 Texte publié le mardi 3 mai 2022
Texte reçu le 3 mai 2022
Mesdames et messieurs du cartel Core Group,
Profondément préoccupés par la détérioration globale du pays, nous, membres de la Conférence des Pasteurs haïtiens (COPAH), institution indépendante du secteur protestant haïtien, vous adressons cette correspondance, mesdames et messieurs du cartel dénommé «Core Group,» pour attirer votre attention et celle du monde entier sur les torts quasiment irréparables que vous avez causés à Haïti.
Il n’est un secret pour personne que, depuis la chute de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide en 2004, c’est vous qui, par personnes interposées, exercez le pouvoir réel en Haïti. Vous faites et défaites les gouvernements comme bon vous semble, vous imposez comme dirigeants au peuple haïtien, des individus sans relief ni dimension, entièrement dévoués à défendre les seuls intérêts de vos pays respectifs au détriment de ceux d’Haïti. Vous affectionnez particulièrement ceux qui viennent du milieu du crime organisé parce qu’ils sont plus vulnérables et plus manipulables pour exécuter vos sales besognes, brader l’indépendance et la souveraineté nationale et les maigres ressources du pays. C’est ce qui explique d’ailleurs votre soutien toujours inconditionnel aux régimes corrompus, totalitaires et incompétents haïtiens. Ce soutien aveugle révèle le degré de haine, de racisme et de cynisme qui caractérisent votre politique néocoloniale en Haïti-laquelle politique a conduit le pays au chaos que vous vous efforcez sans cesse de stabiliser à travers vos préfets qui, eux-mêmes, sont tout aussi cyniques que vous, s’exercent à bien entretenir un climat de terreur d’État en Haïti.
Les dirigeants que vous avez imposés jusqu’ici au pays, avec votre plein soutien, ont démantelé les institutions républicaines, démoli l’édifice identitaire de l’homme haïtien, interrompu le processus constitutionnel et démocratique et réduit le pays à sa plus simple expression. Le système de santé est inopérant, la justice dysfonctionnelle, les forces de police incapables de s’acquitter de leur mission fondamentale d’assurer la sécurité des vies et des biens des citoyens, bref, rien ne va dans le pays que vous dirigez avec beaucoup de mépris et de désinvolture.
Nous vous adressons cette correspondance pour souligner à votre attention que les droits humains les plus élémentaires sont violés systématiquement en Haïti et que les citoyens sont pris en otage, le pays est transformé en un véritable abattoir humain et un cimetière à ciel ouvert. De nombreux massacres sont perpétrés dans le pays au cours des cinq dernières années, d’honnêtes et paisibles citoyens sont assassinés en plein jour, d’autres sont enlevés contre rançon par de petits monstres sanguinaires ensauvagés et soutenus par ceux-là que vous soutenez aveuglément. Des fonds publics ont été dilapidés et en dépit des rapports d’audit de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) indexant des anciens fonctionnaires de l’État, aucun suivi judiciaire n’a été fait. Tout cela se passe sous vos regards passifs, mais amusés, sans doute puisque, c’est conforme à votre politique raciste et votre projet d’entrainer le peuple haïtien dans une guerre civile.
Votre gouvernance est maculée de sang des Haïtiens. Votre politique de soutien aux régimes associés aux gangs armés qui terrorisent la population, a causé et continue de causer encore d’énormes souffrances et de graves préjudices aux Haïtiens qui sont fatigués de votre arrogance, vos interférences dans la politique haïtienne et de votre jeu macabre.
Depuis bientôt un an, le quartier de Matissant, entrée sud de la capitale échappe à tout contrôle étatique. Des gangsters soutenus, pour la plupart, par ceux-là que vous avez placés au pouvoir, se livrent à des affrontements meurtriers et à toutes sortes d’atrocité et d’exaction sur la population de la troisième circonscription de Port-au-Prince. Quatre départements et une bonne partie de l’Ouest sont coupés du reste du pays avec toutes les conséquences que cela entraine pour les populations des départements du Sud, des Nippes, de la Grand-Anse et du Sud-Est. Nous constatons, indignés et l’âme attristée que vos préfets, ni vous d’ailleurs, ne faites rien pour mettre fin aux activités des bandes criminelles qui opèrent à visière levée.
La même situation se produit au nord de la capitale, précisément dans la commune de la Croix-des-Bouquets où des gangs rivaux s’affrontent depuis deux semaines pour, dit-on, le contrôle de territoire. A Martissant aussi bien qu’à la Croix-des-bouquets, les conséquences sont les mêmes. Des morts, des blessés, des familles déplacées massivement et d’autres qui sont prises en otage, étant dans l’impossibilité de s’exfiltrer des zones de guerre. Dans chacun de ces cas, votre réaction et celle de vos préfets, demeurent immuables, l’inaction. Pourtant, à travers les soi-disant autorités en place, c’est vous qui dirigez le pays. C’est de vous que les « dirigeants haïtiens » reçoivent des ordres et c’est à vous qu’ils rendent compte. Si tout cela a pu se passer sous votre direction, pendant que, c’est vous qui dirigez, en réalité, vous êtes incontestablement responsables des malheurs d’Haïti. Évidemment, nous ne nous faisons pas d’illusion, l’échec d’Haïti, c’est votre réussite. Avec la complicité des apatrides que vous avez placés au pouvoir, vous avez conduit Haïti à la chute pour assurer le succès de votre carrière diplomatique et garantir les intérêts de vos pays respectifs. Le malheur d’Haïti fait votre bonheur.
Vous prétendez défendre les droits humains et la démocratie, mais vous cautionnez les actes de ceux qui pactisent avec les gangsters qui violent systématiquement les droits fondamentaux du peuple haïtien. Nous constatons que vous vous servez de la question des droits humains juste comme un simple slogan pour faire avancer votre agenda. Au fond, vous ne croyez pas au respect des droits humains et vous n’avez aucun problème avec ceux qui font obstacle à la justice, qui commettent des crimes abominables. Au contraire, vous faites des tweets pour leur renouveler votre plein appui et votre attachement, ce qui les encourage à mieux s’organiser dans le mal en commettant plus d’exactions sur la population afin de déterminer le rapport de force politique en leur faveur. Vous avez imposé, donc, une dictature des gangs qui décapitalisent et appauvrissent les masses et les classes moyennes haïtiennes et accentuent la misère.
Depuis cinq ans, aucune élection ne s’est tenue pour renouveler le personnel politique du pays, ce qui constitue une violation grave de la constitution haïtienne. Vous l’avez cautionné. Cependant, même dans des pays que vous désignez comme étant dictatoriaux, des élections se tiennent régulièrement.
D’après la constitution du pays, le mandat constitutionnel de l’ancien président Jovenel Moïse a pris fin le 7 février 2021. Contrairement à la volonté populaire, il a décidé de prolonger son mandat jusqu’à son brutal assassinat dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Vous l’avez encouragé et cautionné toutes ses bêtises parce que c’est conforme à ce que vous voulez pour Haïti. Quelques jours après son meurtre toujours non élucidé, vous avez placé à la tête du pays, par un simple tweet, le Dr. Ariel Henry au poste de Premier ministre de facto.
Par votre seule volonté, constatons-nous, le pays est « dirigé, » en apparence, par un exécutif monocéphale, pendant que vous exercez le pouvoir présidentiel. Car, monsieur Henry n’obéit qu’à vos caprices et vos ordres. Il n’est redevable qu’envers vous et ce que vous lui ordonnez de faire, il l’exécute sans broncher. Depuis qu’il est là, le pays s’enlise dans la catastrophe. À part vous, personne ne sait véritablement pourquoi votre Premier ministre est à la primature, quelle est son utilité si ce n’est de stabiliser le chaos tel que vous le voulez.
Vous prétendez être favorable à une solution haïtienne à la crise que vous avez contribué grandement à fabriquer, mais vous avez tout fait pour saper les efforts haïtiens pour sortir le pays de l’impasse. Vous vous contentez de vous associer avec les forces du mal pour maintenir le pays dans le chaos total pour, le moment venu, vous puissiez mettre tout devant le fait accompli des élections truquées pour nous imposer de nouveaux dirigeants corrompus, sanguinaires et prédateurs des droits humains. Le peuple haïtien n’est pas dupe et sait très bien que vous travaillez contre ses intérêts. Il comprend votre jeu—lequel traduit avec éloquence l’hypocrisie qui caractérise votre comportement de néo-colons.
Nous vous adressons cette correspondance non pas pour implorer votre grâce ou votre pitié, mais en digne fils et héritiers du père fondateur de notre nation, Jean Jacques Dessalines, pour qu’au nom du droit à l’autodétermination des peuples et surtout de l’article 41 de la convention de vienne, nous demandions de cesser votre ingérence arrogante dans les affaires internes d’Haïti. Nous avons assez de votre politique absurde et contreproductive pour notre pays! Pendant trop longtemps vous nous avez fait endurer de souffrance. Certains d’entre vous nous ont colonisés et nous ont réduits en esclavage. D’autres nous ont occupés et nous portons encore les stigmas de ces périodes exceptionnellement douloureuses de notre histoire. Vous avez fait main basse sur la richesse de notre pays. Aujourd’hui, vous kidnappez notre système politique, électoral et freinez le développement économique et social de notre pays. Vous nous avez suffisamment humiliés et terrassés. Il est temps de vous tenir à l’écart de nos problèmes et nous laisser le soin de les résoudre par nous-mêmes. Vous nous avez déjà causé trop de torts. Nous savons que nous ne pouvons pas compter sur vous pour nous aider. Ce serait indigne de notre part, d’autant que nous savons qu’un peuple qui se laisse diriger par des néo-colons ne pourra jamais prospérer, se développer et se démocratiser. Il sera condamné à vivre dans l’indignité, la pauvreté, la misère abjecte et l’assujettissement.
Sachez enfin, membres du cartel Core Group, la guerre civile que vous attisez en Haïti peut ne pas avoir lieu, mais il est certain que, poussés par votre mépris et votre arrogance, comme en 1791, les Haïtiens finiront par se révolter, en légitime défense, pour renverser l’ordre néocolonial que vous avez établi dans le pays pour recouvrer leur souveraineté. Et jurons de vivre libre!
Recevez, mesdames et messieurs du cartel Core Group, nos salutations distinguées.
Port-au-Prince, le 2 mai 2022
Rév. Pasteur Dorvila Normil
Président a.i.
Rév. Pasteur Ismaël Baptiste
Secrétaire Exécutif