11ème symposium du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA): Propos d’Introduction

THÈME GÉNÉRAL

Santé mentale et humilité à l’ère du stress au quotidien en Haïti et du traumatisme à répétition de la population :
Psychologie et Spiritualité en Dialogue

 

Par Wismick Jean-Charles, SMM, PhD
Coordonnateur du symposium

Chères Participantes, Chers Participants,
Chères Intervenantes, Chers Intervenants,

J’ai l’insigne honneur et l’heureux privilège de vous accueillir à ce onzième symposium international du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA). Ce symposium annuel qui revient cette année à l’hôtel Montana, après sa tenue en 2020 à l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH), inaugure en Haïti une réflexion scientifique inouïe sur le binôme santé et humilité. En effet, le thème général est le suivant : « Santé mentale et humilité à l’ère du stress au quotidien en Haïti et du traumatisme à répétition de la population : Psychologie et Spiritualité en Dialogue ».

Humilité et santé : Quelle relation, se demandent, avec étonnement, plus d’un ? N’est-ce pas naïf, s’interrogent d’autres, dans un contexte socio-politique de crises récurrentes si profondes, dans un climat de violence et d’insécurité aggravé avec la résurgence de la COVID19, de convoquer un événement académique évoquant le concept de l’humilité ? Des intellectuels avisés et des activistes engagés peuvent, avec raison, questionner sur l’utilité aujourd’hui d’un symposium mettant en cause l’humilité, une valeur qui n’a rien de concret et de pratique à proposer dans ce besoin de solutions urgentes et de changements profonds en Haïti. Cela peut même sembler angélique dans ce contexte de souffrances atroces, de violence institutionalisée, de misère crasse, d’engager une réflexion sur l’humilité qui, en réalité, pourrait être considérée comme une vertu anachronique ou une relique historique. Nous vivons dans une société où l’individualisme est la norme, le narcissisme est la règle, l’exhibitionnisme est la consigne. Comment tenir alors un symposium qui met l’emphase sur l’humilité qui n’est ni utile, ni désirée, ni valorisée dans notre Haïti d’aujourd’hui où l’arrogance et l’agressivité l’emportent ? Quel rôle fondamental, l’humilité, cette vertu obsolète, pourrait-elle jouer dans la vie sociale haïtienne actuelle ?

Il est évident que, dans cette situation de traumatismes à répétition et de stress au quotidien, les émotions négatives les plus expérimentées aujourd’hui par la population haïtienne sont, entre autres, l’anxiété, l’angoisse, la solitude, la frustration, la peur, la culpabilité, la honte, le regret, etc. Cependant, il est de bon ton de rappeler que CESSA dans ses symposiums éduque la communauté et met l’accent sur les émotions positives appelées dans la psychologie positive caractères, forces et vertus, de l’anglais Character, Strenght and Virtues (CSV), en opposition aux symptômes et aux troubles mentaux. D’ailleurs, l’un des objectifs de ces assises scientifiques instaurées par CESSA, depuis plus de dix ans, est d’étudier ces valeurs de la psychologie positive, de les promouvoir dans le contexte haïtien et de montrer la contribution réelle et constructive que la science psychologique peut offrir à la vie publique en Haïti. C’est en ce sens que des forces et des vertus, comme l’empathie, la gratitude et l’espérance, ont été précédemment étudiées dans d’autres symposiums. À partir des recherches scientifiques disponibles dans le domaine, il a été démontré que ces valeurs préservent de la maladie mentale. Cette année, nous nous attelons à examiner une nouvelle valeur « humilité » et sa relation avec la santé mentale.

Mais que signifie humilité ?

L’humilité était un concept autrefois relégué au vocabulaire de la philosophie et de la théologie. Mais avec le mouvement de la psychologie positive, l’humilité, à la suite des autres valeurs comme la gratitude et l’espoir, s’est vu accorder sa lettre de créance en psychologie. L’humilité est, cependant, parfois confondue avec la modestie. Si la modestie est une facette de l’humilité, celle-là est néanmoins trop restreinte pour la définir.

L’humilité n’est ni un déguisement d’un manque de confiance en soi-même, ni un maquillage d’une faible estime de soi. L’humilité ne consiste pas non plus à cacher ses talents ou à enterrer ses dons. L’humilité ne veut pas dire que ceux-là qui sont intelligents et beaux par exemple doivent se considérer idiots et laids. L’humilité n’est pas davantage une fausse modestie. Elle est cette capacité de reconnaitre ses talents et de proclamer également les talents des autres ; elle est cette habilité qui consiste à se voir soi-même d’une façon claire, exacte, objective, vraie, modeste et honnête. L’humilité invite donc à embrasser d’une part la vérité sur soi-même, qu’elle soit positive ou

négative, et d’autre part la vérité sur autrui. Il s’agit de reconnaitre et de valoriser ses propres talents en mettant, en même temps, honnêtement en lumière ses propres limites. En clair, l’humilité est une auto-évaluation exacte incluant ses forces et ses faiblesses (Toussaint &Webb, 2017). Le mot humilité vient de la racine latine humus : terre. Son étymologie indique que cette vertu a quelque chose à voir avec le sol et la terre. Elle nous rappelle que nous sommes situés sur le sol avec nos deux pieds et que nous sommes en contact avec la terre maternelle et fertile.

L’humilité est également associée à l’humour (Grün & Dufner, 2010). La vertu de l’humilité nous invite à ne pas nous prendre trop au sérieux. Elle nous interpelle à une connaissance sincère de nous-mêmes, à connaitre et à accepter notre propre réalité et nos propres limites et, partant, nous conduit à une paix profonde et à une joie sereine.

Alors que l’agressivité est un signe de faiblesse, l’humilité est un indicateur de force, mais une force silencieuse. D’ailleurs l’autre nom de l’humilité est vertu silencieuse (Worthington, 2007). Comment la psychologie et la spiritualité peuvent-elles contribuer à découvrir aujourd’hui en Haïti la « force silencieuse » de l’humilité ? Comment la psychologie, dans une perspective de prévention de la santé mentale en Haïti (Jean-Charles, 2021), peut-elle aujourd’hui promouvoir en Haïti l’humilité comme antidote pour combattre la pandémie du narcissisme et les virus de l’agressivité et de l’arrogance ?

Humilité et santé ?

La recherche suggère que celui qui est humble jouit d’une meilleure santé mentale que celui qui ne l’est pas (Lavelock, Worthington, Griffin, Garthe, Davis, & Hook, 2017 ; Sandage, Rupert, Paine, Bronstein, & O’ Rourke, 2017). La littérature psychologique, s’appuyant sur l’évidence empirique, indique que l’humilité contribue à l’acceptation de soi et favorise les relations positives. Elle conduit à une meilleure santé mentale dans le sens qu’elle n’encourage pas les tendances à la rumination des émotions négatives. Tandis que l’humilité est en corrélation négative avec certains vices comme le narcissisme, l’autoritarisme, le machiavélisme, l’agressivité et la vengeance (Leman, Haggard, Meagher, & Rowatt, 2017), elle est positivement associée aux vertus comme l’altruisme, l’empathie, le pardon, la générosité, la coopération et la gratitude (Toussaint & Webb, 2017 ; Exline & Hill, 2012 ; Jankowski & Sandage, 2014).

Alors que le narcissisme est lié à un taux de stress élevé (Orth & Luciano, 2015), l’humilité réduit le stress, promeut l’intégration sociale et accroit le soutien social. L’humilité, en ce sens, agit comme un modérateur de stress. La personne humble évalue avec objectivité et exactitude ses limites, a un plus grand souci pour les autres et par conséquence fait l’expérience de moins de stress. La recherche suggère que la personne humble est plus équipée des mécanismes de coping et est plus capable d’éviter des circonstances stressantes. Une vaste littérature psychologique sur l’humilité développée durant les vingt dernières années établit que l’humilité est bénéfique pour la santé du corps, de l’âme et de l’esprit et que sa pratique peut apporter des bienfaits mesurables à la personne en particulier, et à la communauté en général.

L’humilité est aussi examinée en psychothérapie. Il est démontré que l’humilité est une vertu qui imprègne tout le processus de la psychothérapie. Pour vraiment aider son client, le thérapeute doit avoir l’humilité de l’écouter et non pas prétendre qu’il le connait du simple fait qu’il dispose de son diagnostic.

Enfin, il est important de signaler que l’humilité peut être cultivée. La littérature psychologique fournit certaines stratégies pour développer cette force. On peut citer, entre autres, l’importance du feedback et de l’auto régulation. Solliciter le feedback des sources dignes de confiance est essentiellement l’une des meilleures stratégies recommandées. Considérant notre propension à nous voir avec un biais positif, une des meilleures façons pour développer l’humilité est de chercher le feedback d’une source crédible : demander à des personnes avec qui vous interagissez de vous donner un feedback sur comment améliorer votre humilité. De même, la pratique de l’auto-
régulation est une autre stratégie importante.

Force est donc d’admettre que, selon les recherches disponibles, des vertus comme la compassion, le pardon, l’espérance, l’altruisme, la générosité, la gratitude, l’empathie et l’humilité favorisent le fonctionnement sain de l’être humain. Puisque ces forces préservent de la maladie mentale, CESSA a choisi de les optimiser et de les promouvoir dans le but d’améliorer la qualité de la vie en Haïti. CESSA s’inspire du mouvement de la psychologie positive, en s’appuyant sur les ressources individuelles et communautaires (ressources matérielles, spirituelles et psychologiques) et en appelle à les mobiliser, à les valoriser et à les cultiver pour faire face au stress au quotidien et au traumatisme à répétition dans ce contexte d’insécurité, de violence et de kidnapping en vue d’agir et de transformer ce cercle vicieux de la société haïtienne en un cercle vertueux. Nous ne sommes ni naïfs, ni simplistes. Nous savons bien évidemment que le chemin est long, très long. S’il est évident que nous ne sommes pas totalement responsables de ce contexte de traumatismes généralisés et de stress aigu, il est cependant admis que nous sommes tous pleinement responsables de la façon dont nous pouvons les vivre et devons les gérer.

L’approche de la santé mentale adoptée par CESSA est de se focaliser davantage sur les vertus que sur les troubles, de mettre l’accent sur les forces plutôt que sur les pathologies. Certes, il est important d’intervenir sur les traumatismes et sur les pathologies. Mais il semble plus bénéfique de développer les vertus des personnes et d’amplifier leurs forces que de mettre en avant leurs traumatismes et leurs limites. Voilà ce qui justifie notre option de la psychologie positive. Il n’est question ni de promouvoir l’illusion, ni d’encourager la naïveté. Il n’est pas non plus de l’intention de CESSA de nier les aspects désagréables de la vie en Haïti, ni d’édulcorer la souffrance ou de fuir la misère infrahumaine dans laquelle patauge la population. Il cherche tout simplement à mettre en évidence l’autre côté de la médaille par l’éducation, la mobilisation, la sensibilisation et le développement des forces et des vertus.

Une chose est d’élaborer des réflexions de grandes envolées théoriques, une autre est de passer de la théorie à la pratique, du discours à l’action. C’est dans cette optique que CESSA travaille avec les écoles, les organisations communautaires et les institutions nationales pour mettre en place des programmes qui favorisent la réduction des risques et qui permettent à la population de mieux faire face aux difficultés de l’existence en Haïti. À ce titre, il est utile, de rappeler que, en plus de son programme de thérapie de groupe dans les douze écoles et deux orphelinats et institutions de bienfaisance du pays, une initiative de télépsychologie a été mise en place par CESSA, en mai 2020, au bénéfice de la population de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ce programme, initialement offert au département de l’Ouest, a été étendu, grâce à un partenariat avec Catholic Relief Service (CRS), à trois autres départements du pays (Nord, Sud, et Artibonite). Avec cette initiative de télépsychologie, un total de 701 membres de la population a pu bénéficier du service de soutien psychosocial sur la période de mai 2020 à janvier 2021. Ces initiatives, qu’il s’agisse de la thérapie de groupe dans les écoles, du programme de télépsychologie ou des symposiums annuels de CESSA, rendent compte de l’importance de la santé mentale qui se doit de continuer à « sortir du bois » pour aller à la rencontre des Haïtiens. Il est plus que temps de mettre en place dans le pays un service régulier d’assistance psychologique, qui ne soit pas seulement disponible et accessible dans les situations d’urgence et de crise humanitaire ; d’investir et de s’impliquer activement à faire de chaque Haïtien un « citoyen de la santé mentale ».

En clair, le rêve de CESSA, à travers toutes ces initiatives, est de parvenir à installer une culture de service de santé mentale dans notre Haïti. Si cette culture arrive à s’instaurer dans les pratiques et dans les représentations, alors ce symposium de 2021 commencera véritablement quand il prendra fin, car la culture de la santé mentale ne disparait pas avec un programme ou une activité. La route est certes longue et ardue, mais le voyage est déjà commencé et les quelques initiatives en place dans certaines régions du pays sont prometteuses. Alors « Faisons route ensemble ».

HEUREUX ET FRUCTUEUX SYMPOSIUM À CHACUNE ET CHACUN DE VOUS.

  1. Exline, J. J., & Hill, P. C. (2012). Humility: A consistent and robust predictor of generosity. The journal of Positive Psychology, 73, 208218.
  2. Grün, A., & Dufner, M. (2010). La salute come compito spirituale. Brescia: Queriniana. Jankowski, P. J., & Sandage, S. J. (2014). Attachment to God and humility: Indirect effect and conditional effects models. Journal of Psychology and Theology, 42, 7082.
  3. Jean-Charles, W. (2021). Prévention et promotion de la santé mentale en Haïti : La force de la gratitude et de l’espérance. Pompano: Educavision.
  4. Lavelock, C. R., Worthington, E. L. Jr., Griffin, B. R., Garthe, R. C., Davis, D. E., & Hook, J. N. (2017). Humility intervention research. In E. L. Jr., Worthington; D. E. Davis, & J. N. Hook (Eds.), Handbook of humility; theory, research, and applications (pp. 274285). New-York: Routledge Taylor and Francis Group.
  5. Leman, J., Haggard, M. C., Meager, B., & Rowatt, W. C. (2017). Personality predictors and correlates of humility. In E. L. Jr., Worthington; D. E. Davis, & J. N. Hook (Eds.), Handbook of humility; theory, research, and applications (pp. 137-149). New-York: Routledge Taylor and Francis Group.
  6. Orth, U., & Luciano, E. C. (2015). Self-esteem, narcissism, and stressful life events: Testing for selection and socialization. Journal of Personality and Social Psychology, 109, 707-721.
  7. Sandage, S. J., Rupert, D., Paine, D. R., Bronstein, M., & O’ Rourke, C. G. (2017). Humility in psychotherapy. In E. L. Jr., Worthington; D. E. Davis, & J. N. Hook (Eds.), Handbook of humility; theory, research, and applications (pp. 301315). New-York: Routledge Taylor and Francis Group.
  8. Toussaint, L. L., & Webb, J. R. (2017). The humble mind and body: A theoretical model and review of evidence linking humility to health and well-being. In E. L. Jr., Worthington;
  9. D. E. Davis, & J. N. Hook (Eds.), Handbook of humility; theory, research, and applications (pp. 178191). New-York: Routledge Taylor and Francis Group.
  10. Worthington, E. L., Jr. (2007). Humility: the quiet virtue. Philadelphia: Templeton Foundation Press.
  11. Worthington, E. L., Jr., Davis, D. E., & Hook, J. N. (2017). Handbook on humility: Theory research, and applications. New York : Routledge Taylor and Francis Group.