Mgr Ducange Sylvain, un vrai fils de Don Bosco et de l’Église
📅 Texte publié le mardi 8 juin 2021
J’ai atteint ces âges où les précieuses amitiés cultivées pendant les années de formation académique semblent me déserter. Des amis s’établissent dans des contrées éloignées de la mienne. D’autres ont désormais un quotidien qui, sans les rendre paresseux, ralentit le rythme de leurs activités et diminue le nombre de leurs échanges avec d’autres. Pourtant il existe encore des amis qui me sont restés proches et dont la chaleur continue à s’irradier du brasier de nos rencontres, des contacts sur les réseaux sociaux, des coups de téléphone pour échanger des nouvelles et des réminiscences des jours d’antan, pour partager la joie des réussites ou se donner réciproquement des conseils.
Voir partir un de ces amis soulève en moi un sentiment d’angoissante tristesse que mes tripes et mon cœur n’arrivent pas souvent à départager. Mgr Ducange Sylvain était un de ces amis. Et il est retourné, ce mardi 8 juin, vers ce Père qu’il servait avec fidélité et avec cet esprit typique des fils de Jean Bosco. Il a été terrassé, comme tant d’autres en Haïti ces derniers jour, par ce « mal-pichon », devenu un diabolique globe-trotter depuis plus de 18 mois.
Nos amitiés remontent à plus de 40 ans. Nous nous retrouvions au complexe Dominique Savio qui abritaient, en plus du Collège, le petit séminaire et le post-noviciat. Nous caressions alors le même idéal, celui de se mettre au service exclusif du Christ en suivant les jalons laissés par Saint Jean Bosco. A une bifurcation, nous avons pris des voies différentes.
Mgr Ducange a suivi toutes les étapes requises par la Constitution salésienne et les règlements de la Société de François de Sales. Il a passé l’étape du noviciat, a suivi des cours de philosophie, fit l’expérience du stage pratique, et a eu sa licence en théologie avant son ordination sacerdotale. Prêtre salésien, on lui confia des grandes responsabilités : il fut professeur, directeur de communauté, membre du conseil provincial, délégué pour la pastorale des jeunes, délégué de formation, provincial avec un mandat qui débuta à un moment de grand désarroi, juste quelques semaines après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. À ce titre, il était non seulement chargé de l’épanouissement spirituel des confrères, mais aussi de la reconstruction des maisons effondrées. En 2016, alors qu’il s’apprêtait à suivre une nouvelle obédience au sein de sa congrégation, il obtint la confiance du Pape François qui le nomma Évêque auxiliaire de l’Archidiocèse de Port-au-Prince.
Quoique vivant à des distances l’un de l’autre, notre amitié ne s’est jamais effritée. On se communiquait au gré du temps disponible de part et d’autre.
Et, entre les communications, je le suivais de loin.
À chaque étape, à chaque responsabilité, il se donnait entièrement avec la boussole de l’Église dans une main, les règlements salésiens dans l’autre, les préceptes évangéliques gravés dans le cœur et le regard vers Marie. Je me souviens d’une de nos dernières conversations après avoir observé sa présence, non sans crainte, dans plusieurs récentes fêtes patronales en tant que célébrant et prédicateur. Je lui suggérais alors d’exercer un peu plus de prudence car nous vivons dans un monde en proie à une pandémie et qui exige de chacun d’entre nous une grande évaluation de nos interactions. Il m’avait alors répondu, sans hésitation :
« Jean, c’est mon travail, c’est mon apostolat et c’est la tâche que l’Église me confie. »
J’éprouvais à son égard une grande fierté. J’étais toutefois angoissé étant au courant de sa fragilité du point de vue médical avec des problèmes de santé qu’il essayait tant bien que mal de gérer, et qui l’auraient rendu très vulnérable.
En pensant à cette réponse qui ressemblait un tout petit peu au « Fiat » de la Très Saint Vierge Marie, le témoignage d’un salésien me vient à la mémoire. On demandait à ce dernier de parler de celui ou de celle qui inspira sa vocation salésienne. Il mentionna, sans hésitation, Ducange, alors abbé et qui faisait son stage pratique à la Communauté du Cap-Haitien, appelée affectueusement la Fonda. Et ajoutait que l’abbé l’avait marqué comme celui qui ne vit que pour les jeunes et qui semblait être prêt à donner sa vie pour eux. « Donner sa vie pour les jeunes », et selon la dernière charge apostolique de Mgr Ducange, donner sa vie pour ceux et celles qui se trouvent sur son chemin ou que le Seigneur lui envoie. C’est la traduction un peu élastique du logo salésien : « Da mihi Animas, Caetera tolle » (« Donne-moi des âmes, prends tout le reste » [Gen. 14:21]). C’est également traduire en réalité sa devise épiscopale «Caritas Christi urget nos» (« L’amour du Christ nous presse » [2 Cor. 5:14]).
Je ne saurai jamais combien de personnes devront leur salut à une rencontre même fortuite avec ce digne fils de Don Bosco et de l’Église. Ce dont je suis sûr, ils seront nombreux ses témoins devant le Père. Ce Père qu’il a servi fidèlement, à des moments difficiles de sa vie, et dans un pays qui semble se complaire dans des crises.
Aux Salésiens d’Haïti, à la famille de Ducange, au clergé de l’Archidiocèse de Port-au-Prince et aux Évêques de la Conférence épiscopale, je présente mes sincères condoléances. A tous, je souhaite le courage nécessaire pour surmonter cette douloureuse épreuve. Que les précieux souvenirs de Mgr Ducange Syvain les aide à regarder l’avenir avec optimisme et vivre selon le plan de Dieu.
Jean M. Antoine
Mardi 8 juin 2021
Boston, Massachusetts, USA