Kidnapping: ce mal qu’il faut à tout prix extirper
📅 Texte publié le lundi 12 avril 2021
Ces derniers mois, il ne se passe pas un jour sans qu’on ait entendu parler d’un cas d’enlèvement. Les otages se comptent parmi des écoliers et écolières, des étudiants, des chefs d’entreprise, des couples qui avaient la malchance de se trouver sur le chemin des malfrats, et de paisibles citoyens et citoyennes sans ressources financières. Il n’y a aucune logique dans le choix des victimes. Le rapt le plus spectaculaire ou l’enlèvement d’une personne jouissant d’une grande notoriété ou d’un membre d’une organisation internationale arrivait jusqu’ici à faire la une de médias haïtiens.
Celui du dimanche 12 avril par apparemment un groupe criminel basé dans la Plaine du Cul-de-Sac dénommé “400 mawozo” et qui a déjà, à son actif, plusieurs meurtres et bien de séquestrations dont des écoliers, suscite un certain intérêt de la part de la presse internationale. L’affiliation des victimes et l’emblème sur les passeports de deux d’entre eux explique cet intérêt.
En effet, ce dimanche, une semaine après Pâques, vers 9:00 du matin, dix personnes dont cinq prêtres, deux religieuses et trois membres de la famille du Père Jean Arnel Joseph, un membre de la Société de Saint Jacques et un curé qui devait, lors d’une messe solennelle, prendre possession de sa nouvelle paroisse, l’Immaculée conception de Galette Chambon de l’Archidiocèse de Port-au-Prince, ont été pris en otage par ce groupe de malfaiteurs. Parmi les otages figurent deux ressortissants français, une religieuse de la communauté des Sœurs de la Providence de la Pommeraye (Maine-et-Loire), Agnès Bordeau, et un prêtre de la Société de Saint Jacques originaire de Bretagne, Michel Briand. La somme d’un million de dollars en devise des États-Unis a été réclamée comme rançon pour garantir leur libération.
Immédiatement, l’Archevêché de Port-au-Prince et la Conférence Haïtienne des Religieux/ieuses (CHR) ont fait sortir des notes respectives dénonçant cet ultime acte d’insécurité et demandant la libération sans condition des otages.
La presse internationale en veut des détails et se démène pour faire parler les membres de la Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH). Le Quai d’Orsay (Ministère des Affaires Étrangères de France) se remue. Et le peuple haïtien retient son souffle.
Mais au-delà de ces démarches et des sentiments de révolte suscités chez la majorité après cet acte criminel, plus d’uns se posent hautement cette question murmurée et ruminée depuis quelques années déjà: Comment Haïti ait pu arriver à un niveau si lamentable, un niveau qu’il n’avait pas atteint même au sommet de la barbarie politique de Duvalier père et fils.
Kern Délince nous en donnerait la réponse. “Lorsqu’il est libre de s’exprimer par le bulletin de vote, le peuple haïtien se montre peu avisé ou joue de de la malchance”, écrit-il dans Les forces politiques en Haiti: manuel d’histoire contemporaine. (Paris: Editions Karthala, 1993; pp. 98-99). Par son choix, il a le gouvernement qu’il mérite. Un gouvernement qui, par sa complicité avec le monde de la criminalité ou son incompétence dans la gestion des affaires de l’État, engendre une société où les droits humains les plus élémentaires et le respect de l’autre sont absents, où les groupes criminels profitant de cette absence, poussent comme des champignons sauvages, où la police affiche son impuissance, quand elle ne se lance pas dans des opérations vouées à l’échec. Alors, elle est paralysée, perd toute motivation à un moment où ses membres, frustrés, réclament de meilleures conditions de travail.
C’est un peu sadique de dire que le peuple a le gouvernement qu’il mérite, car il est le premier à faire les frais de l’insécurité, ne pouvant se payer le luxe de voitures blindées, de hautes murailles autour de leurs propriétés ou d’escorte de sécurité. Et quand il découvre que son attrait pour un candidat de grande gueule, vulgaire de surcroît ou qui menait campagne à coups de slogans tendant uniquement à frapper l’imaginaire haitien, était une erreur, il est déjà trop tard. Le candidat, une fois élu fera tout pour rester au pouvoir, dût-t-il gouverner par procuration en choisissant un successeur facilement manipulable qui finira lui-même par prendre goût au pouvoir mis désormais à son service et à sa survie politique.
Voilà donc ce qui explique la situation d’aujourd’hui. Une situation tellement pourrie qu’elle infectera tout citoyen arrivé après eux au timon des affaires, même quand il ou elle a une bonne volonté, un grand savoir, à moins bien sûr que sa première démarche ne soit une extirpation jusque dans la racine de ce mal qui ronge le pays, même s’il lui faut revenir à des formes archaïques de punition et de condamnation.
Ces groupes criminels doivent être enjugués, leurs commanditaires exposés, avant que le peuple qui peut bien jouer à la malchance avec son bulletin de vote, se mette alors en colère et se montre implacable.
Pour le moment, portons tous les otages dans nos prières en souhaitant leur retour chez eux ou dans leurs communautés, sans délai et surtout sains et saufs.
J.A.