Les leçons de l’événement du 6 janvier 2021 aux Etats-Unis
📅 Texte publié le vendredi 8 janvier 2021
Comme des téléspectateurs de partout dans le monde, Nous avons vu ces images d’abord tristes, devenues incroyablement inquiétantes et finalement effrayantes des événements qui se sont déroulés à l’extérieur et dans l’enceinte du Capitole, siège du congrès américain, à Washington DC.
Nous nous attendions ce jour-là à une protestation violente des partisans du président américain, mais nous n’aurions jamais pensé que le symbole de la démocratie américaine aurait subi un tel assaut et son enceinte violée à ce point. Pour avoir vécu en Haïti des moments similairement intenses en deux occasions, nous avons compris tout de suite ce qui se passait : ce n’était pas une protestation, c’était une émeute ou pire, une tentative de coup d’État.
Qui aurait cru qu’un tel évènement aurait eu lieu aux États-Unis? C’était un jour qui devrait marquer la consécration définitive du vainqueur des élections présidentielles du 3 novembre de l’année dernière à travers un processus purement cérémonial et qui généralement ne suscite aucun intérêt de la part du peuple américain dans sa majorité.
Les Haïtiens et les peuples qui luttent pour l’établissement d’une démocratie dans leurs pays sauront tirer de grandes leçons de cet événement qui est une preuve tangible que la démocratie est fragile et n’admet pas de complaisance, même quand elle a derrière elle une longue tradition et des institutions solides. Elle a ses exigences et quand ces dernières sont ignorées, des fissures se montrent au grand jour et peuvent même conduire à son écroulement.
Nous nous permettons de mentionner trois de ces exigences:
- La première exigence d’une démocratie saine est le respect et l’adhérence à un protocole social, civique et politique. Abhorrant l’individualisme, le narcissisme, le culte de la personnalité, la vulgarité et la contrefaçon, elle recommande une certaine délicatesse et un grand doigté aussi bien dans le comportement que dans le langage. L’histoire est parsemée de ces personnages qui ont pu accéder au pouvoir parce qu’évoluant dans un régime démocratique et qui deviennent de grands dictateurs parce qu’ils ont été des démagogues ou pire, de grands déséquilibrés mentaux et qu’ils ont refusé de se plier à ces protocoles.
- La démocratie exige non une virtuelle, mais la stricte séparation des pouvoirs. Elle repose donc sur le principe du débat civil et sur la recherche permanente de compromis entre les acteurs politiques pour le bien-être collectif. Ainsi le contrôle de toutes les scènes politiques par un groupe ou une frange de la société débouche sur l’impossibilité de mener une discussion saine et constructive.
La première démarche d’un autocrate, une fois arrivé au pouvoir, est de contrôler les autres pouvoirs, surtout le législatif, et ainsi les soumettre à sa volonté. S’ils résistent, leurs membres deviennent des ennemis ou des traites à la nation; et leur vie parfois constamment menacée par les hommes de mains ou les sbires de l’autocrate. - La démocratie exige, engendre des outils permettant la libre circulation et l’échange des idées et les protège. C’est le cas récemment du développement des réseaux sociaux, ces plateformes électroniques qui offrent, lorsqu’elles sont utilisées correctement, la possibilité de s’exprimer et de communiquer avec ou d’écouter les autres. Malheureusement, dans certains pays aux traditions démocratiques, ces derniers ont été abusés par des groupes extrémistes politiquement agressifs et irrationnels ou même par des élus.
Ces trois exigences n’ont pas été respectées aux États-Unis pendant ces quatre dernières années quand un populiste aux tendances autoritaires arrive aux timons des affaires.
Peu de jours après son investiture, nous avions prévu qu’il serait un piètre président, mais nous étions loin de penser qu’il mettrait en danger son pays en lançant une horde de fidèles sur le centre de la démocratie par excellence alors en pleine action. Ceux qui avaient le pouvoir de l’arrêter sur sa folle course de destruction pendant ces années ont minimisé son dangereux comportement pourtant manifesté quotidiennement dans des tweets agressifs et violents contre ses adversaires politiques, ses attaques personnelles contre les membres de son propre parti, ses prétendues dénonciations contre des élections truquées qui pourtant ne datent pas d’aujourd’hui. D’autres se sont rangés dans son camps pour se faire adopter par ses millions de partisans. Certains élus l’ont même encouragé dans sa tentative de vassalisation des deux autres pouvoirs. Déjà en août 2016, alors qu’il menait campagne contre l’ancienne première dame et secrétaire d’État du président Obama, Hillary Clinton, il avait soulevé la menace d’une émeute de la part de ses partisans. Sortant gagnant des élections présidentielles de cette année, il ne parlait plus d’élections truquées, mais de triomphe.
Quatre ans plus tard, il a perdu. Il refusa, comme il l’avait prédit, de reconnaître sa défaite et se lança dans une bataille pour renverser le résultat des urnes. Il sollicita l’aide des tribunaux qu’il avait truffés de juges de son parti. Après de multiples échecs de ce côté-là, il essaya de faire pression sur des officiels des États qui auraient fait de lui un gagnant. Finalement, dans un acte de désespoir, il a encouragé ses partisans, après les avoir chauffés à blanc quelques minutes plus tôt, à envahir le Capitol; une action qui, en Haïti et dans tout autre pays, aurait les couleurs et les contours d’un putsch.
A ce point, on peut dire que la démocratie dans ce pays ne fut épargnée que grâce aux solides institutions et au refus du Vice-président de le suivre sur cette dernière pente dangereuse. Toutefois, les Américains des États-Unis ont eu un choc, ce mercredi 6 janvier. Le monde observa en direct et avec incrédulité les images de cette attaque tout prenant note: Ceux qui accommodent les dérives de leurs élus et soutiennent leur positions anti-démocratiques contribuent au malheur de leur pays.
J.A.