Dixième symposium du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA): Introduction
📅 Texte publié le jeudi 13 août 2020
Par Wismick Jean-Charles, SMM, PhD
J’ai l’insigne honneur de vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à ce dixième symposium du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA). En effet, ce symposium annuel international qui se déroule cette année à l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH), là même où il avait commencé le 25 juin 2011, entreprend, une fois encore, une réflexion scientifique interdisciplinaire sur le concept « résilience ».
Le thème de la résilience avait déjà été étudié au cours du septième symposium annuel du 16 au 18 juin 2017 de CESSA, selon la formulation de la dyade trauma-résilience, en dialogue avec la spiritualité, dans le contexte d’Haïti. Il faut signaler que le deuxième congrès de l’Association Haïtienne de Psychologie (AHPSY) de janvier 2014 portait également sur la résilience avec son thème ainsi énoncé : Haïti : recréer la vie, des traumatismes aux processus résilients créateurs (Jean Jacques & Lecomte, 2015).
À ce dixième symposium annuel, en cette année du dixième anniversaire du séisme du 12 janvier 2010 et aussi de la naissance du CESSA, dans le contexte de la pandémie de la COVID-19, ce colloque revisite et examine à nouveau le thème résilience mais, cette fois, en relation avec l’espérance. Le thème général est ainsi formulé : Fortifier la résilience, raviver l’espérance dans notre Haïti traumatisée : la psychologie en dialogue.
Le concept « résilience », porté sur les fonts baptismaux par la psychologue américaine Emmy Werner (1984) au début des années quatre-vingt est un thème passionnant et très attractif, avec un énorme potentiel d’inspiration, en ce moment crucial pour l’humanité en général, et pour Haïti en particulier. Depuis sa genèse jusqu’aujourd’hui, en 2020, plus précisément avec la pandémie de la COVID-19, le concept a connu un triomphe aussi foudroyant qu’il est impossible de recenser le nombre de publications, de séminaires, ou de colloques consacrés au sujet. Toutefois, disons d’entrée de jeu, qu’il ne faut pas faire de la résilience une panacée qui résoudra tous les problèmes du monde et d’Haïti.
Parmi toutes les définitions merveilleuses attribuées à ce concept polysémique, j’aime particulièrement celle du plan étymologique où il vient du latin « salire » qui peut être traduit par « sauter en arrière, rebondir, être repoussé, jaillir » et du préfixe « re » indiquant la répétition, la reprise. Ainsi, résilier c’est bien rebondir, aller de l’avant, se remettre à vivre après avoir subi un choc, après une agonie psychique traumatique ou dans l’adversité (Anaut & Cyrulnik, 2014).
La résilience n’est pas une donnée immuable, acquise une fois pour toutes et pour toujours (Poilpot, 2005). Elle est une construction psychique qui s’élabore, se développe et se fortifie tout au long de l’existence. Pour s’édifier, la résilience doit reposer sur un jeu complexe et harmonieux de facteurs psychologiques de protection internes tels que l’aptitude aux relations, l’initiative, l’auto-efficacité, l’honnêteté, l’humilité, la créativité, l’humour, la flexibilité, l’adaptation, etc. et d’un écosystème multifactoriel externe incluant la famille, les éducateurs, les enseignants (Cyrulnik & Malaguti, 2005 ; Anaut, 2015). Ainsi, pour devenir résilients, les enfants et les jeunes ont besoin, entre autres, d’adultes de confiance, de professionnels, d’enseignants, d’éducateurs de conviction que Cyrulnik (1999) appelle des « tuteurs et des tricoteurs de résilience », et également de la communauté ou de l’environnement, conçu, selon le modèle écosystémique de Bronfenbrenner (Bronfenbrenner, 1979), comme un ensemble de structures imbriquées les unes dans les autres. C’est donc une attention à ne pas inscrire la résilience dans le seul chef du sujet en situation mais de l’envisager, de manière systémique, en relation avec sa communauté.
Divers chercheurs (Duggal, Zimmerman, & Liberta, 2016 ; Avey, Luthans, Smith, & Palmer, 2010 ; Vergely, 2005) suggèrent qu’il existe une corrélation entre résilience et espérance (ou espoir). La psychologie utilise le thème espoir qui se différencie du concept de l’espérance, vertu théologale qui, sous le regard de la foi, s’inscrit dans une perspective d’éternité). Cet espoir de pouvoir recommencer, en référence à la résilience, est ce sentiment de confiance en l’avenir, cette capacité de « rebondir » après des événements négatifs sans succomber au désespoir, cette possibilité de prendre appui sur ses compétences, sur ses ressources pour se remettre à vivre dans l’adversité sévère et après des situations délétères. La résilience appelle à retrouver la force de vivre, à apprendre à vivre autrement, à continuer à se projeter dans le futur en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes sévères. La résilience invite à modifier le regard, à analyser les situations selon des perspectives différentes et nouvelles, à croire qu’au cœur des situations de grandes vulnérabilités, des traumatismes, des abus, il y a cette possibilité d’oser et de rêver. Il y a donc là une dimension d’espérance.
La résilience nous convie à positiver nos regards, à mieux observer, identifier, optimiser nos ressources, les forces de ceux que nous aidons ou qui nous sont confiés. Cette dimension du nouveau regard, d’esprit renouvelé dans notre façon d’être et de faire, sans qu’il soit question de tomber dans un optimisme béat ou d’une naïveté candide, pousse tout naturellement à l’espérance. Ainsi, tous ceux qui ont choisi des professions de soins, d’accompagnement, d’éducation sont tous des porteurs d’espérance. Conjuguer résilience et espérance recèle des nuances disciplinaires bien précises et des considérations méthodologiques très spécifiques. Mais le sujet est trop vaste et trop compliqué pour être étudié ici dans ces quelques pages. Il importe tout simplement de signaler que des liens entre résilience et espérance (espoir) sont significatifs. Si, autrefois, en psychologie, il était difficile d’étudier l’espoir de façon rigoureusement scientifique, avec les avancées de la psychologie positive, grâce aux méthodologies quantitatives expérimentales, il est maintenant possible de le mesurer et de le tester empiriquement.
Il y a beaucoup à faire pour construire, développer, favoriser, fortifier la résilience en Haïti. Il y a un long chemin à parcourir, un dur labeur à réaliser qui exige temps, énergie, effort et collaboration pour récréer la vie et raviver l’espérance dans notre pays. Aucune spécialité ne peut à elle seule indiquer le vrai chemin pour gagner ce pari. Il faut associer les chercheurs de disciplines différentes dans un effort de transversalité disciplinaire. Il faut connecter les meilleures intelligences dans les domaines des sciences humaines et sociales, de la santé mentale, de la théologie et de la philosophie pour nous aider à voir plus large et nous accompagner à aller plus loin. Dans une Haïti plongée dans l’obscurité, tant au sens propre qu’au sens figuré, nous avons besoin du caractère concret de la science. Les connaissances sur la résilience dans le contexte haïtien doivent être traduites en activités innovantes pratiques dans les domaines des interventions de terrain. Il ne s’agit pas de réciter des formules magiques, générales, applicables dans toutes les circonstances.
Il est question d’une véritable démarche interprofessionnelle et interdisciplinaire visant à partager les bonnes pratiques de chaque spécialité. Ainsi, dans ce symposium, CESSA met en dialogue la psychologie avec la théologie, la psychologie avec la philosophie, la psychologie avec la sociologie, la psychologie avec la psychiatrie, avec les sciences de l’éducation, avec la spiritualité pour une meilleure compréhension de la réalité.
Ce symposium ne met pas seulement les disciplines en dialogue, mais il vient aussi et surtout encourager chaque Haïtien à apprendre à accepter et à dialoguer avec ses limites, ses manques, ses fragilités, ses vulnérabilités, ses déficits, ses facteurs de risques, ses ressources, ses compétences, et ses facteurs de protection en vue de découvrir sa totalité et de se focaliser sur les facteurs qui rendent possible le retour à la vie.
La célébration du dixième anniversaire de la naissance de CESSA se réalise dans le contexte de la pandémie de la COVID-19. CESSA, dans sa créativité, adopte un format inédit, en organisant, en ce vendredi 14 août 2020, son tout premier e-symposium, selon une version simplifiée d’une journée. Toute cette journée de ce 14 août, en direct sur Zoom et sur la chaîne des télévisions de Télé Radio Pacific, Télé Radio Soleil, Télé Radio Pitit Manman Marie de notre pays, les professionnels de la santé mentale, les enseignants, les chercheurs, les psychologues, les leaders religieux, les étudiants et le grand public peuvent participer de 9h 00 à 17h 00 aux 18 interventions des cinq panels.
Dix ans après sa création, les activités de CESSA ont évolué. Celles-ci ont d’abord été initiées à l’Hôpital de la Communauté Haïtienne de Pétionville, quelques jours après le 12 janvier 2010, puis se sont étendues à trois écoles et à quelques institutions qui servent les « restavèk », en particulier, Restavèk Freedom Foundation au niveau de Port-au-Prince, de Petit Goâve et de Jacmel. Dix ans après, le centre a progressé considérablement en amplifiant ses services d’intervention à douze écoles et à deux institutions de bienfaisance à Port-au-Prince par des services de thérapie individuelle et de thérapie de groupes aux enfants victimes, abusés et traumatisés. CESSA est aussi passé de l’intervention à la prévention. Nos programmes se sont ensuite élargis à l’accompagnement et à la supervision des étudiants stagiaires en psychologie, à la formation des professionnels et des enseignants, et, plus récemment, à la mise en place de « l’initiative de télé-psychologie » (une offre de services psychologiques en utilisant les technologies de la communication : zoom, téléphone) en vue de faire face à la situation de la pandémie de la COVID 19.
Tout ce développement rapide et positif du CESSA, en cette décennie, est rendu possible grâce à la collaboration de chacun de vous. Ainsi, CESSA exprime ses sentiments de gratitude aux différentes institutions qui ont contribué à sa naissance et à son développement, notamment:
- la Province Montfortaine d’Haïti (entité d’appartenance),
- l’Hôpital de la Communauté Haïtienne de Pétionville (berceau de sa naissance le 20 janvier 2010),
- la paroisse Saint-Louis Roi de France de Turgeau (espace d’inspiration de sa vision),
- la Maison Provinciale des Filles de la Sagesse à Pétionville (lieu d’inspiration de son logo) et l’Université Notre-Dame d’Haïti (institution d’accueil de son premier symposium international en 2011).
Il remercie les familles, les enfants, les moniteurs, les enseignants et directeurs des organisations, centres, instituts et écoles partenaires de ses programmes, plus précisément les douze (12) établissements scolaires et deux (2) institutions de bienfaisance de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, nommément :
- École St Gérard de Carrefour-Feuilles,
- École Nationale Esther Honorat,
- École Nationale de Tabarre,
- École Notre Dame de l’Assomption,
- Institut Montfort pour enfants sourds de Croix-des-Bouquets,
- École Notre Dame du Perpétuel Secours de Cité Soleil,
- École Marguerite Naseau de Cité Soleil,
- École Sainte Louise de Marillac de Cité Soleil,
- École le Bon berger,
- École Saint-Alphonse de Liguori,
- École Saint-Louis Marie Grignion de Montfort de Croix-des-Bouquets,
- École des Enfants de Notre-Dame de Bel-Air,
et les deux institutions caritatives :
- l’orphelinat Foyer Notre Dame du Perpétuel Secours et
- l’institution Timoun Kap Teke Chans (TIMKATEK) des Salésiens qui sont ses partenaires privilégiés.
CESSA est reconnaissant à ses valeureux thérapeutes, son dévoué conseil de coordination, son visionnaire conseil d’administration et son généreux staff.
Enfin CESSA entonne un refrain de gratitude à vous, fidèles participants de ses symposiums, les experts haïtiens et étrangers, les autorités sanitaires du Ministère de la Santé Publique et de Population (MSPP), en particulier l’Unité de Santé Mentale (USM), les autorités religieuses et universitaires, notamment celles de la Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH), de la Conférence Haïtienne des Religieux (CHR), du Centre Inter-Instituts de Formation Religieuse (CIFOR), et de l’Université d’État d’Haïti (UEH).
À vous tous, et à chacune et chacun en particulier, CESSA souhaite un heureux symposium ; et vous, en retour, souhaitez à CESSA un joyeux dixième anniversaire de naissance.
Père Wismick Jean-Charles, SMM, PhD.
Directeur Général du CESSA
📂 Références bibliographiques
- Anaut, M., & Cyrulnik, B. (2014). Résilience : De la recherche à la pratique : 1er Congrès Mondial sur la résilience. Paris : Odile Jacob.
- Anaut, M. (2015). Psychologie de la résilience. Paris : Armand Colin.
- Avey, J.B., Luthans, F., Smith, R.M., & Palmer, N.F. (2010). Impact of positive psychological capital on employee well-being over time. Occupational Health Psychology, 15, 17-28.
- Bronfenbrenner, U. (1979). The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design. Cambridge, MA : Harvard University Press.
- Cyrulnik, B. (2002). Un merveilleux malheur. Paris : Odile Jacob.
- Cyrulnik, B., & Malaguti, E. (2005). Costruire la resilienza, la riorganizzazione positiva della vita e la creazione di legami significativi. Trento: Centro Studi Erickson.
- Duggal, D., Zimmerman, A, S., & Liberta, T. (2016). The Impact of Hope and Resilience on Multiple Factors in Neurosurgical Patients. Monitor on Psychology : Washington : APA.
- Jean Jacques, R., & Lecomte, Y. (2015). Haïti, recréer la vie, des traumatismes aux processus résilients créateurs. Montréal: Éditions Gauvain.
- Malaguti, E. (2005). Educarsi alla resilienza: Come affrontarsi crisi e difficoltà e migliorarsi. Trento : Centro Studi Erickson.
- Poilpot, M. P. (2005). La résilience : le réalisme de l’espérance : Ramonville-Saint-Agne : Éditions Érès.
- Vergely, B. (2005). Approche philosophique de la résilience. In Fondation pour l’Enfance (Ed.), Le réalisme de l’espérance (pp. 67-86). Ramonville-Saint-Agne: Éditions Érès.
- Werner, E. (1984). Resilient Children. Young Children, 40, 68-72.
👨 Sur l’auteur
Wismick JEAN-CHARLES, prêtre de la Compagnie de Marie, a enseigné la méthodologie de la recherche, la psychologie à l’Université Notre Dame d’Haïti (UNDH) et au Grand Séminaire Notre-Dame. Il détient un Doctorat en Psychologie de l’Université Fordham des Jésuites à New-York et une spécialisation postdoctorale en santé mentale globale à Harvard University, Medical School, à Massachusetts.
Il a aussi enseigné à Fordham New York City Jesuit University, à New York, et à Montclair State University, à New Jersey. Actuellement professeur invité à l’Université Notre-Dame d’Haïti, il est membre de l’Association Américaine de Psychologie (APA) et fait également partie de l’équipe de recherche de l’Association Internationale de Psychologie Appliquée aux Nations-Unies
Wismick est l’auteur d’un livre intitulé Sexualité Humaine : Merveille et Mystère, d’un nouvel ouvrage paru en anglais sous le titre Immigrant Adolescent Perceptions of Parental and Teacher Autonomy : Effects on Intrinsic Motivation, Engagement and Self Regulated Learning récemment publié en Allemagne par Lambert Academic Publishing et plusieurs articles scientifiques parus dans des revues internationales.
Il est aussi co-auteur de nombreux chapitres de livres dont les cinq plus récents sont : «Ecopsychology : Advances from the intersection of psychology and environmental protection», «Human strenghts and resilience : Developmental, cross-cultural, and international perspectives», Disaster mental health case studies : Lessons learned from counseling in chaos, «Santé Mentale et Psychothérapie en Haiti : Approches intégratives et Traitements multimodaux», et Empathie en Haiti : de la recherche à la pratique, à la croisée de différents regards.
Ancien-Vice-recteur aux Affaires Académiques et Scientifiques de l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH), il est actuellement à Rome le Vicaire général de sa Congrégation Internationale, les Missionnaires Montfortains.