La poursuite de la richesse à travers le pouvoir politique

Fritz William Michel
PM désigné

Je me suis demandé ces derniers temps pourquoi un citoyen Haïtien jouissant de toutes ses facultés mentales se lance dans la politique, et veut de surcroît devenir président de la république ou premier ministre, deux postes apparemment aux contours ingrats, où l’autorité qu’on croit détenir ou que les autres pensent qu’on détient n’est qu’un leurre.

En devenant président de ce pays qui semble patauger depuis plusieurs décennies, on peut toujours penser qu’on fera finalement une différence dans la vie de ses concitoyens, ce qui est en soi une noble démarche, mais l’administration politique haïtienne qui  peut être assimilée à une de ces araignées venimeuses aux toiles apparemment pas complexes mais rigides avec chaque fil représentant un secteur qui ne défend que ses propres intérêts, constitue toujours un piège pour les bien-pensants.

Ils deviennent, quoiqu’ils entreprennent, sa proie. Elle peut faire d’eux de simples pantins ou des otages en leur injectant son venin qui les laissera moralement fracturés ou avec une probité dissoute. Et s’ils se débattent trop et risquent de détruire partiellement sa toile, elle peut les laisser partir mais avec des éclaboussures qui feront d’eux la risée de la rue et le dédain des électeurs.

Alors pourquoi on prend le risque de courir après ces postes?

Un esquisse de réponse à cette question se retrouve probablement dans les événements de cette semaine, avec le processus de ratification de Fritz William Michel, le premier ministre désigné, au Sénat, les nouvelles circulant durant cet été sur la collusion de certains sénateurs et des membres influents du palais avec des chefs de bandes armées(1) et l’affaire de Pétrocaribe qui fait couler depuis des années encre et sang(2): la poursuite de la richesse à travers le pouvoir politique.

En fait, les médias rapportent que plusieurs sénateurs ont accepté d’échanger leur vote en faveur de la ratification du premier ministre pour la rondelette somme de $100.000 US(3). Évidemment ce dernier dément les informations l’impliquant dans cette affaire de corruption(4). Mais des sénateurs admettent avoir été approchés et certains d’avoir sans scrupules accepté le pot-de-vin(5).

Tout Haïtien doit maintenant se poser ces deux questions: De qui vient l’offre et de quel fonds proviendra cet argent? Quand on sait que le pays souffre d’un déficit budgétaire et qu’on ne peut même pas alimenter le marché en carburant, quand nos écoles sont abritées dans des bâtiments délabrés, quand le ministre de l’Éducation ne peut même subventionner adéquatement les ouvrages scolaires etc… Alors d’où vient cet argent? Un sénateur de la République demande une investigation(6). On sait bien comment finissent les investigations de type politique en Haiti: Chantage de puissants individus impliqués sur les investigateurs, menace de mort, par l’intermédiaire de tiers sur les enquêteurs(7), fuite de ces derniers et finalement abandon total de l’investigation.

Alors pourquoi un citoyen Haïtien jouissant de toutes ses facultés mentales se lance dans la politique, et veut de surcroît devenir président de la république ou premier ministre? On peut devenir riche du jour au lendemain moyennant un pacte avec des secteurs influents et/ou la communauté internationale. Tout ce qu’on doit faire c’est de promouvoir leur plan, de respecter leur agenda et d’user de son pouvoir pour mettre un obstacle à tout effort qui déboucherait sur un bien-être collectif, bref, d’abdiquer ses responsabilités de mandataire. En cas de refus, on devient l’objet d’un coup (militaire, parlementaire) ou simplement victime d’intrigues de palais. Les candidats ou les appliquants aux postes politiques de haut niveau et qui recherchent le support de ces secteurs me feraient pitié si le peuple qui paie toujours cher leur farce n’était pas réduit au simple rôle de dindon.

J.A.

  1. Roberson, Alphonse. « Communications téléphoniques fréquentes entre le chef de gang Arnel Joseph et le sénateur Garcia Delva » Le Nouvelliste, 24 avril 2019.[https://lenouvelliste.com/article/200860/communications-telephoniques-frequentes-entre-le-chef-de-gang-arnel-joseph-et-le-senateur-garcia-delva] Dernière visite: 14 septembre 2019.
  2. Thomas,  Frédéric. « Haiti, le scandale du siècle: Le dossier petrocaribe. » Cetri, Belgique, 20 février 2019 [https://www.cetri.be/Haiti-le-scandale-du-siecle-1-le?lang=fr], dernière visite: 14 septembre.
  3. « Le sénateur Willot Joseph ne refuserait pas les 100 000 dollars… » Le Nouvelliste, 13 Sept. 2019, [https://lenouvelliste.com/article/206937/le-senateur-willot-joseph-ne-refuserait-pas-les-100-000-dollars] Dernière visite: 14 septembre 2019.

    Sénat, Jean Daniel. “« Il y a toujours de l’argent qui est distribué pour les ratifications de premier ministre », Selon Le Sénateur Kedlaire Augustin.” Le Nouvelliste, 13 Sept. 2019, pp. 1.
  4. « Fritz W. Michel dément avoir versé des pots-de-vin aux sénateurs » Loop, 14 septembre 2019 [http://www.loophaiti.com/content/fritz-wmichel-dement-avoir-verse-des-pots-de-vin-aux-senateurs] Dernière visite: 14 septembre 2019.
  5. Lemaire, Sandra. « Haiti Senator Admits Accepting Bribe for Parliament Vote » Voice of America (VOA), 13 septembre 2019 [https://www.voanews.com/americas/haiti-senator-admits-accepting-bribe-parliament-vote] Dernière visite: 14 septembre 2019
  6. « Corruption au Sénat: la commission Éthique et Anticorruption se manifeste » Le Nouvelliste, 13 Sept. 2019, p.3.
  7. « Des juges de la CSC/CA menacés de mort auraient quitté le pays » Haiti Libre, 28 juin 2019. [https://www.haitilibre.com/article-28096-haiti-flash-des-juges-de-la-csc-ca-menaces-de-mort-auraient-quitte-le-pays.html] Dernière visite: 14 septembre 2019.