9ème symposium international du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA): Mot de Bienvenue
📅 Texte publié le dimanche 1er septembre 2019
Texte reçu le 10 août 2019
Chers participants,
Chers intervenants,
J’ai le grand honneur et l’heureux privilège de vous accueillir à ce neuvième symposium international du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA). En effet, ce symposium annuel, qui se déroule, encore une fois, à l’hôtel Montana, en ce week-end du 16 au 18 août 2019, inaugure en Haïti, une réflexion scientifique inouïe sur la dyade trauma-spiritualité. Le thème général de notre symposium de 2019 est le suivant : « Traumatismes et Santé mentale en Haïti : Mise en sens du vécu traumatique, intégration de la spiritualité dans le traitement du trauma et pratique de la gratitude ».
Ce symposium est très unique de par son thème et aussi particulier en référence au contexte actuel de notre pays.
Il est unique de par son thème car il cherche à examiner la relation entre traumatisme et spiritualité. C’est ici une grande nouveauté car cette intégration est rarement examinée ou peu suffisamment considérée dans la pratique clinique dans le monde, en général, et en Haïti en particulier. Les premiers travaux des psychologues, de grande renommée dans le domaine du trauma, tels que Resick (2001), Foa and Rothbaum (1998), Briere and Scott (2006) ne faisaient presqu’aucune mention de l’aspect spirituel des traumatismes. Il est évident que beaucoup d’ouvrages de psychologie sont maintenant disponibles sur l’intégration des questions religieuses et spirituelles en thérapie et en counseling. On peut, par exemple, citer: Religion and the clinical practice of psychology de Shafranske (1996); The psychology of religion and spirituality for clinicians de Aten et al., (2012); Religion, spirituality, and positive psychology de Plante (2012); et Evidence-based practices for christian counseling and psychotherapy de Worthington et al. (2013). Mais ces productions ne se sont pas nécessairement intéressées à l’expérience spécifique du traumatisme et à sa relation étroite avec la spiritualité.
Depuis quelques années, une plus grande attention est accordée, dans la littérature scientifique, à l’intersection entre traumatisme et spiritualité. En effet, en 2015, Walker, Courtois, et Aten (2015) ont publié un livre extraordinaire intitulé, Spiritually Oriented Psychotherapy for Trauma, mettant en évidence cette relation entre traumatisme et spiritualité. CESSA a eu le privilège d’accueillir en Haïti et de travailler, dans la mise en œuvre de son programme de thérapie, avec ces deux experts (Dr. Walker et Dr. Aten) en traumatismes et spiritualité. Dr. Walker était au premier symposium de CESSA en 2011, à l’Université Notre Dame d’Haïti. Dr. Aten avait lui-même animé, en juillet 2012, durant une semaine, une session de formation en psychothérapie pour les thérapeutes de CESSA, avant d’avoir commencé notre programme de thérapie en septembre 2012 au bénéfice de ce qu’on appelle communément dans notre pays les « Restavèk ». Dans ce programme de santé mentale pour ces enfants restavèk, CESSA utilise le modèle d’intervention thérapeutique du nom Anglais : Spiritually-Oriented Trauma Focus-Cognitive Behavorial Therapy (SOTFCBT). Le choix de cette psychothérapie se justifie par le fait qu’une vaste recherche suggère l’efficacité de cette modalité d’intervention pour traiter les enfants traumatisés (Cohen, Mannarino, & Deblinge, 2016 ; Walker, Reese, Hughes, & Troskie, 2010) avec une considération de la dimension spirituelle, si dans le pré-test, on découvre que les questions religieuses et/spirituelles sont importantes pour le client.
Dans le contexte d’Haïti, pays à la fois religieux et traumatisé, un service de santé mentale intégrée, intégrale et contextualisée, ne peut pas ne pas tenir compte du binôme traumatisme-spiritualité. La recherche actuelle suggère que la dimension spirituelle doit être considérée dans une approche du traumatisme vu que les deux sont étroitement liées dans l’expérience humaine. Le traumatisme, pour certains, représente une violation spirituelle ou religieuse. Il met le survivant en face de l’incertitude et de la fragilité de l’existence humaine et l’oblige à remettre en question ses croyances profondes concernant la confiance, la culpabilité, l’angoisse, la honte, la responsabilité, le contrôle et la souffrance. Face à cette souffrance physique et psychique résultant de ces événements douloureux, le survivant essaie d’y trouver un sens. Cette attribution de sens et de cohérence à l’expérience traumatique constitue, selon Parent (2006), une étape décisive pour appréhender le trauma. Cette mise en sens de l’événement traumatique, cette relecture ou cette réévaluation de l’existence humaine, à partir de cette expérience traumatique, est aussi, en quelque sorte, une des dimensions profondes de la spiritualité. La recherche scientifique indique que l’être humain, en général, se tourne d’abord et avant tout vers les moyens et stratégies spirituelles pour faire face à ses situations traumatiques.
Il est admis que la religion occupe une place importante dans le fonctionnement quotidien des Haïtiens, notamment dans le domaine du gouvernement, des normes de socialisation et du bien-être personnel et communal (WHO, 2010). En Haïti, on le sait et on le voit, la religion est partout. Cette dimension religieuse de l’identité des Haïtiens se manifeste, entre autres, à travers leurs croyances et leurs pratiques religieuses.
Ainsi donc dans le contexte actuel des traumatismes complexes et répétés d’Haïti, dans cette situation de stress traumatique secondaire de notre pays, ce neuvième symposium international annuel de CESSA sur ce binôme trauma- spiritualité vient à point nommé.
Ce symposium est non seulement très unique mais il est aussi particulier dans ce contexte socio-politique dans lequel il se déroule. CESSA offre en cette année scolaire 2018-2019 des services de thérapie au bénéfice de 317 enfants répartis dans douze (12) établissements scolaires et deux (2) institutions de bienfaisance, notamment : École St Gérard, École Nationale Esther Honorat, École Nationale de Tabarre, École Notre Dame de l’Assomption, Institut Montfort pour enfants sourds de Croix-des-Bouquets, École Notre Dame du Perpétuel Secours de Cité Soleil, École Marguerite Naseau de Cité Soleil, École Sainte Louise de Marillac de Cité Soleil, École le bon berger, École Saint-Alphonse de Ligori, École Saint-Louis Marie Grignion de Montfort de Croix-des-Bouquets, École des Enfants de Notre-Dame de Bel-Air, et deux institutions caritatives : l’orphelinat Foyer Notre Dame du Perpétuel Secours et l’institution Timoun Kap Teke Chans (TIMKATEK) des Salésiens.
Il est regrettable de signaler que CESSA, en raison des turbulences politiques, a dû être forcé de discontinuer ses services psychologiques auprès de ces enfants avant la fin du calendrier normal des séances de thérapies.
Il est aussi triste de mentionner, qu’en raison de l’insécurité grandissante qui sévit actuellement dans notre pays, six intervenants des USA, initialement confirmés à participer à ce symposium dont Jocelyn McGee, PhD, qui devait animer l’atelier sur les pratiques contemplatives, ont dû annuler leur voyage. Voici un extrait de la lettre de Dr McGee:
Dear Wismick :
Here is the abstract for the plenary session and the workshops:
My heart is heavy about not being able to attend the CESSA Conference in person this year due to the travel ban.
Jocelyn
D’autres psychologues ont bravé le danger, ont choisi d’ignorer les instructions et les restrictions de leurs universités pour être avec nous. Nous leur en sommes très reconnaissants.
Force est donc d’admettre que la situation actuelle en Haïti est traumatisante, particulière, stressante et complexe. C’est dans ce contexte traumatisant que cet espace de formation continue en santé mentale est offert, durant ces trois jours, aux enseignants, étudiants, éducateurs et aux parents pour leur apprendre à reconnaitre, comprendre le traumatisme développemental complexe, les comportements traumatiques en salles de classe et leur impact sur l’apprentissage et la relation. C’est au cœur de cet environnement particulier que ce podium de réflexions ouvertes et de débats libres, dans le respect bien sûr, est aménagé pour les psychologues haïtiens, les leaders religieux et communautaires, les professionnels de la santé et les spécialistes de l’éducation afin de leur permettre d’examiner la relation entre traumatisme et spiritualité. C’est dans ce paysage stressant et d’épuisement professionnel accablant que CESSA offre aux serviteurs et servantes des plus vulnérables de notre nation, cette oasis de contemplation et de méditation pour s’arrêter et analyser ce qu’ils sont en train de vivre, s’armer d’outils psychologiques nouveaux pour faire face au stress traumatique secondaire auquel ils sont quotidiennement confrontés afin de se prendre en charge en vue de mieux prendre soin des autres et continuer à servir, dans la pratique de la gratitude, notre pays blessé.
La situation de notre Haïti chérie est, sans conteste, complexe. C’est en raison même de cette complexité des problèmes de notre nation que CESSA, dans sa vision de santé mentale globale, demeure fidèle à son modèle interdisciplinaire combinant psychologie, éducation, théologie et spiritualité. Il nous apparait logique qu’une perspective interdisciplinaire qui implique l’intégration, la pluralité, l’hétérogénéité, la complémentarité, l’accueil de paradoxes, en incluant la contribution de diverses spécialités, bien évidemment dans le respect de l’identité de chaque discipline, constitue la meilleure approche pour proposer, au cœur de ce chaos, des voies et moyens innovants et de dégager des perspectives nouvelles.
Dans cette ambiance d’interdisciplinarité, il est donc essentiel de préciser, d’entrée de jeu, que les points de vue divergents qui seront présentés au cours de cette assise scientifique n’engagent que leurs auteurs et ne représentent, en aucune manière, la position officielle de CESSA, ni celle de la Province montfortaine d’Haïti.
Il est enfin heureux de souligner que ce symposium de 2019 demeure un événement collectif regroupant, au niveau national, des partenaires et des ouvriers de l’éducation, des experts de la santé, des étudiants en sciences humaines, des leaders religieux et communautaires, des spécialistes de la psychologie, des autorités religieuses et universitaires, notamment de la Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH) , la Conférence Haïtienne des Religieux (CHR), le Centre Inter-Instituts de Formation Religieuse (CIFOR), l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH). Il est donc question ici de continuer, à travers cette initiative, à promouvoir une culture et une éthique de l’entraide, à encourager la collaboration au niveau des institutions et à célébrer la richesse de la diversité dans notre pays.
Ce symposium, au niveau international, est aussi organisé en collaboration avec des centres de psychologie et de santé mentale, comme the Jung Center, de Houston, Texas, le principal partenaire de cet événement, Institute for Disaster Mental Health (IDMH), de New Paltz, New York, Association of Trauma Outreach and Prevention (ATOP) Meaningfulworld, Personnalité et Relations Humaines (PRF) International- Réseau Haïti. Je rends hommage à tous ces cliniciens et professeurs-chercheurs venant de Mercer University de Atlanta, de Westchester Community College, de New York, de State University of New York (SUNY), de Morehouse School of Medecine, Atlanta, de la Pontificia Facoltà di Science dell’Educazione, Rome, Italie, de Colombia University de New-York et de Baylor University, Texas.
Je souhaite vivement que ce colloque scientifique international et interdisciplinaire qui examine la relation entre traumatismes et spiritualité, qui enseigne des stratégies de traitements et qui propose des outils d’intervention et de prévention du traumatisme en Haïti soit l’occasion d’échanges dynamiques et de réflexions fécondes. Je veux enfin exprimer mes sentiments de profonde gratitude à chacun des participants de ce neuvième symposium pour votre présence et vous invite à faire preuve, comme chaque année, d’esprit d’ouverture et de capacité de tolérance, pour le plein succès de cet événement. Tolérez s’il vous plait la différence ! Osez être différents. A tous et à chacun, je souhaite un EXCELLENT SYMPOSIUM.
Père Wismick Jean-Charles, SMM, PhD.
Références Bibliographiques:
- Aten, J. D, O, Grady, A.K. & Worthington L. E. (2012). The psychology of religion and spirituality for clinicians: Using research in your practice. New York: Routledge.
- Briere, J., & Scott, C. (2006). Principles of traumatherapy: A guide to symptoms, evaluation, and treatment. Thousand Oaks: Sage.
- Cohen, J. A. & Mannarino, A. P., & Deblinge, E. (2016). Trauma-Focused CBT for children and
adolescents treatment applications. New York: Guilford Press - Foa, E. B., & Rothbaum, B.O. (1998). Treating the trauma of rape: Cognitive-behavioral therapy for PTSD. New York: Guilford Press.
- Parent, A. (2006). Trauma, témoignage et récit : la déroute du sens. Protée, 34(2-3), 113-125.
- Park, C.L., Currier, J.M., Harris, J-I., & Slattery J.M. (2017). Trauma, meaning, and spirituality: Translating research into clinical practice. Washington DC: American Psychological Association.
- Plante, G. T. (2012). Religion, spirituality, and positive psychology: Understanding the psychological fruits of faith. Santa Barbara: Praeger.
- Resick, P.A. (2001). Stress and trauma. New York: Taylor & Francis.
- Shafranske, P. E. (1996). Religion and the clinical practice of psychology. Washington DC: American Psychological Association.
- Walker, D. F., Reese, J. B., Hughes, J. P., &Troskie, M. J. (2010). Addressing religious and
spiritual issues in trauma-focused cognitive behavior therapy with children and adolescents
Professional Psychology: Research and Practice, 41, 174-180. - Walker, D.F., Courtois, C.A., & Aten, J.D. (Eds.). (2015). Spiritually oriented psychotherapy for trauma. Washington DC: American Psychological Association.
World Health Organization (2010). Culture and Mental Health in Haiti: A Literature Review. Geneva. - Worthington, E.L., Johnson, E.L., Hook, J.N., & Aten, J.D. (2013). Evidence-based practices for Christian counseling and psychotherapy. Downers Grove: Intervarsity Press.