Tout aussi coupable, mais avec un cœur qui saigne

Une rue de Port-au-Prince le 23 novembre 2018. Photo AP de Dieu NalioMon cœur saigne pour mon pays et pour sa capitale, Port-au-Prince, dont les rues s’apparentent ces jours-ci à une zone de guerre éprouvée, avec des fenêtres de grands magasins et de quelques banques cassées, des carcasses encore fumantes de véhicules et, dans certaines zones des corps gisant sur le sol. Les photos de policiers en treillis militaire brandissant des armes de guerre renforcent cette vision.

Mon cœur saigne pour mon pays où les institutions hier encore honorables deviennent chaque jour plus fragiles. Un pays qui se retrouve démuni de l’appui moral, juridique et de la vigilance que nombre de ces institutions lui pourvoyaient.

Il s’effrite, de ce fait.

Mon cœur saigne pour ce pays qui enlève à ses jeunes la perspective d’une vie décente et d’un avenir pas trop flou. Ses jeunes fuient et pour cause. Ceux qui ne peuvent prendre la route d’un exil forcé, s’arrangent pour survivre au quotidien allant même jusqu’à faire des choix criminels ou moralement douteux.

Pas donc étonnant qu’il soit condamné à une exsanguination rapide.

Mon cœur saigne pour mon pays trahi par ses élites. Des élites qui continuent à participer, au nom d’une suprématie mercantile, dans de visqueux actes de corruption; des élites qui, pour conserver leur place dans les sphères du pouvoir, n’hésitent pas à utiliser l’arme de l’extorsion politique quand elles ne se transforment, de façon impie, et pour avoir l’oreille de l’international, en agents débiles de ce dernier. Sans leur exemple de travail heureux, de succès matériel et moral, d’intelligence et de sensibilité, bref d’humanisme, le pays se retrouve donc dépourvu de ce phare aux lueurs de dignité, de prestige et de dépassement.

Pas étonnant qu’il soit si déboussolé.

Mon cœur saigne pour mon pays où ceux qui se disent membres de l’opposition politique sont si obsédés par la prise du pouvoir que leurs démarches deviennent opaques et tortueuses. Ils prennent des décisions scandaleuses et écœurantes qui exposent clairement, quoiqu’ils en disent, la pratique politique de « ôtes-toi que je m’y mette »; une pratique ressassée depuis environ trois décades.

Voilà pourquoi, après plus de 214 ans d’indépendance, la terre que nous a léguée Dessalines, Christophe et Capois-la-mort se retrouve plus que jamais embourbée.

Pauvre petit pays qui ne mérite pas ce chapelet de tribulations mais qui vit au quotidien des situations de désastres engendrées par ses propres fils et filles avec l’encouragement et la complicité de quelques étrangers.

Mon cœur saigne pour mon pays qui est devenu simplement un « endroit » avec des élus ou mal élus se souciant peu de son développement, de son honneur à l’extérieur et encore moins du bien-être des leurs compatriotes.

Aujourd’hui il explose entre leurs mains.

Sa déchéance, son exsanguination, sa perte d’orientation, son enlisement et sa dangereuse explosion exposent l’irresponsabilité de ses dirigeants, la trahison de ses élites et l’aveuglement de son petit peuple qui agit toujours en « mouton de Panurge ».

Et moi, où suis-je dans cet éventail?

Je suis de ceux et celles qui, de loin, ruminent les souvenirs d’antan, se donnent souvent un fauteuil d’observateur et qui prétendent n’être d’aucun des groupes ou des clans cités plus haut. Je ne suis pourtant pas moins coupable.

Je suis coupable du défaitisme collectif des expatriés Haïtiens.

J.A.