Le populisme gagne du terrain. Mais quel populisme?

Vote et bulletin de vote populisteIl y a un peu plus d’un an, un magnat de l’immobilier, sans aucune expérience politique, est élu président des Etats-Unis. Depuis lors, on n’a pas cessé  de parler de la victoire du populisme aux États-Unis. En Italie, ce dimanche 4 mars, des partis, des ligues politiques d’extrême-droite ont pu convaincre l’électorat de ce pays et évincer les partis traditionnels. L’un de ces groupes est dirigé par un jeune Napolitain de 31 ans, Luigi Di Maio, Il sera probablement le prochain premier ministre. Encore une fois, les journalistes et commentateurs politiques du monde entier n’hésitent pas à parler d’une vague populiste pour expliquer ces victoires.

L’Haïtien qui a vécu les événements politiques et sociaux de 1986 à 2010 a toutes les raisons de se montrer perplexe devant cette notion et se demander de quel populisme on parle. Et pourquoi on tend à glorifier ces populismes alors qu’on vilipendait chez nous les partis politiques se réclamant de ce mouvement.

En fait, le populisme est simplement un mouvement et n’a jamais été, en Haïti ou ailleurs, un courant d’idée voire une idéologie cohérente. Certains l’ont qualifié même de “syndrome”(1).

Un mouvement qui, en Amérique du Nord et en Europe, avec Les Le Pen du Front national en France, la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Étoiles en Italie, Le Tea party et le phénomène Trump aux États-Unis, est embrassé par les plus vocaux des classes dominantes, et ceux aux idées saugrenues mais qui s’identifient à ces classes sans pourtant en faire partie. Il pensent que, par leurs démarches, leur pays retrouvera le lustre d’antan affaibli par les compromis, la neutralité et une politique d’immigration décousue. Pensez un peu aux slogans « Make America great again » De Trump, « La France et les Français d’abord » du Front National en France, « un nuovo miracolo italiano » (Pour un nouveau miracle italien) de Forza Italia,.

En Haïti cependant, le populisme est l’espace des classes dominées qui veulent se frayer un passage pour s’installer également dans cet espace politique qui leur avait été interdit depuis si longtemps. Elle ont voulu participer en citoyen intégral et dans la dignité aux affaires, et, bien sûr, profiter des bénéfices de cette participation. Le slogan “Bò tab la” nous vient en mémoire.

L’un et l’autre suscite la peur chez les opposants parce que l’un et l’autre présuppose non un partage mais un écart des adversaires, voir leur disparition. On l’a vu aux États-Unis pendant ces derniers temps, Les partisans du président américain s’enhardissent à un point tel qu’ils font tout pour rendre insignifiant l’autre parti d’importance du panorama politique américain et intimider ceux qui s’en sentent proches. Pour ce, tous les moyens sont bons.

  1. Ils les affublent de tous les noms allant même jusqu’à les qualifier d’anti-américains.
  2. Ils les attaquent physiquement parfois.
  3. Ils traitent de nouvelles fausses (fake news) tout travail journalistique dont les résultats exposent leurs faiblesses, leur cruauté, leur incohérence et leur exsangue moralité.

En Haïti, dans les années 90 et la première décade du nouveau siècle, les opposants au « populisme des classes dominées » avaient utilisé le mêmes stratégies pour entacher la crédibilité du mouvement. Ils avaient même fait appel aux forces obscures de la communauté internationale(2) pour financement et support logistique. Ironie politique, ce sont des groupes appartenant à ces forces obscures qui utilisent aujourd’hui le langage populiste pour s’accaparer de l’espace politique chez eux.

Malgré les approches différentes, le populisme, qu’il soit de chez nous ou d’ailleurs, se laisse imprégner par les mêmes synergies:

  1. Il est embrassé et dirigé par des démagogues dangereux.
    Des démagogues qui courtisent et séduisent le peuple en qui réside un pouvoir suprême même quand il a toutes les peines du monde à le reconnaître, ou l’utiliser à bon escient. Après avoir dénoncé une frange de la population et faire des promesses faciles pour arriver à ses fins, le démagogue finit toujours par exposer sa carapace de tyran. Voilà pourquoi, la ligne de démarcation entre populisme et fascisme se révèle plutôt mince.
  2. Les leaders populistes sont généralement de grands observateurs des choses publiques.
  3. Ils détectent et prennent en compte les bouillonnements populaires.
  4. Ils tendent à prendre le peuple au mot, en faisant mouvoir les ressorts inconscients de ces bouillonnements. Leur réussite leur donne une certaine légitimité.
  5. Ils condamnent sans appel les “élites politiques”.
    Pour eux, ces élites sont les dirigeants traditionnels, ceux qui font primer la diplomatie et les compromis sur l’inflexibilité. Ces derniers sont, à leurs yeux, des entrepreneurs politiques dont l’inanité des programmes conduit toujours à des échecs.
  6. Le mouvement et ses leaders projettent un désir de défendre ou de revenir à une certaine identité nationale considérée menacée.
  7. Finalement, qu’il soit en Haïti ou dans les pays occidentaux, le populisme rejette tout ce qui est étranger considéré comme l’Autre.
    L’autre est un concurrent qui menace la vie des natifs, un accapareur qui vient troubler la fabrique de la société. Donc, on n’en veut pas. Voilà pourquoi le populisme affiche toujours une certaine xénophobie.

Ce qui pourtant distingue le populisme de chez nous de celui des pays occidentaux, c’est que le populisme en Haiti n’avait pas les moyens de sa politique surtout dans sa tentative d’écart des élites politiques et de son rejet de l’étranger, alors que le populisme américain et européen peut se permettre d’écarter l’autre sans créer des crises permanentes. Crises, il y en aura bien sûr, mais elles dureront probablement le temps d’un mandat.

J.A.

  1. Peter Wiles, “A Syndrome, Not a Doctrine: Some Elementary Theses on Populism,” in Ghita Ionescu and Ernest Gellner (eds.), Populism: Its Meaning and National Characteristics. London, Macmillan (1969), pp. 163–179.
  2. On se souvient de la présence de l’IRI (Institute Republican International) en Haiti à la fin des années ’90.
    Dirigé alors par des néo-conservateurs et des décideurs politiques  spécialistes en coups d’état et déstabilisation. Après avoir avoir échoué dans leur tentative de faire de l’opposition une force incontournable, ils se tournent alors vers les groupes paramilitaires. En février 2004, de la République dominicaine, une armée une unité paramilitaire bien armée, équipée et entraînée traversa la frontière. La suite est bien connue et documentée.