Une Époque revisitée: Souvenirs personnels
📅 Texte publié le lundi 6 octobre 2014
Jean-Claude Duvalier, l’ancien président à vie d’Haiti, décédé ce samedi 4 octobre, a été un personnage inspirant, en Haïti, la peur parmi la grande majorité, l’admiration parmi une petite minorité et suscitant l’adulation de ceux de son entourage qui voulaient rester dans ses bonnes grâces.
Dans la diaspora, il inspirait, dans les premiers temps de son gouvernement, la méfiance parmi ceux qui voudraient bien le prendre au mot, et une attitude de « Je t’avais mis en garde » parmi les opposants radicaux durant les cinq dernières années de son gouvernement.
Pendant 15 ans il éloignait tour à tour les inconditionnels et les duvaliéristes de première heure, rappelaient quelques-uns tombés en disgrâce à la fin de la vie de son père, invitaient de jeunes technocrates à intégrer son gouvernement; ces derniers, par un instinct de survie, n’hésitant pas à marcher sur les sillons des anciens tortionnaires.
Il a voulu, à un moment, entrebâiller les portes aux partis politiques, leur refusant toutefois les garanties inhérentes à la pluralité politique et à l’alternance en s’attachant fermement au principe de la présidence à vie.
Jean-Claude Duvalier, le personnage craint, qui essayait de se ré-inventer toute sa vie, à la fois héritier et victime du duvaliérisme, a tiré sa révérence. D’un point de vue purement politique, il a su, pendant son gouvernement se montrer à la hauteur de l’héritage reçu de son père alors qu’il venait juste de vivre les affres associées aux années de puberté, sans une éducation universitaire et sans aucune expérience dans les affaires de l’État. Hésitant des fois, mais montrant finalement une fermeté implacable contre ceux jugés ennemis de son gouvernement ou dénoncés comme tels, il émulait en ce sens son père. Ses meilleurs conseillers ont été aussi divers qu’hétéroclite : Sa mère, Roger Lafontant, le trio des super-ministres, sa femme pour ne citer que ceux-là.
Ceux qui, comme moi, ont grandi sur son régime, nous ne perdions pas notre temps à analyser son comportement, à interpréter ses longs et indigestes discours. C’était là des exercices que nous jugions dangereux donc futiles.
Les jeunes de ma génération, du moins ceux qui nourrissaient un certain idéal, non les fils à papa, nous faisions nos devoirs, nous étudions, nous nous informions en lisant les revues étrangères et des auteurs comme Jean-François Revel qui passaient alors la censure. Nous nous permettions ça et là des moments de distraction avec des camarades, des voisins, des parents. Nous étions bien sûr sur nos gardes, mais ne vivions pas avec cette peur chronique que semble habiter les compatriotes vivant aujourd’hui en Haïti. La politique ayant été un champ miné, nous mesurions nos propos en public ou dans les salles de classe et affichions même un air frôlant l’introversion face aux étrangers et aux connaissances qui ne nous inspiraient pas confiance quand le sujet était discuté et que nous ne pouvions nous dérober; nous hésitions même à mentionner son nom dans les échanges entre camarades.
Pour accomplir nos devoirs, nous pouvions cependant, du moins dans les villes, compter sur la continuité des services pourvus par l’État comme l’électricité, le téléphone, l’eau et vaquer à nos occupations avec sécurité.
Sur le plan social, les fils des grandes familles se respectaient. On condamnait bien sûr leur arrogance. Les filles ne se prostituaient pas au vu et su de tous. La drogue ne constituait pas un appât du gain facile ou un échappatoire pour les jeunes. Et la modestie était de rigueur. Les extrêmement rares braquages faisaient la une des journaux et soulevaient l’indignation de tous.
Sur le plan diplomatique, les étrangers ne nous humiliaient pas publiquement en nous traitant d’irresponsables qui méritent une constante supervision et une mise sur tutelle virtuelle.
A bien y penser, pour la majorité des Haïtiens vivant ou grandissant dans les années 70, la situation sociale était bien meilleure que celle que vivent nos compatriotes aujourd’hui. Et je l’affirme sans vouloir me lancer dans un révisionnisme tendant à saper le travail des historiens honnêtes, remettre en question la réalité des crimes commis sous son régime ou discréditer les plaintes des victimes ou parents de victimes.
J.A.