Accord de El Rancho signé le 14 mars 2014: Texte intégral
📅 Texte publié le samedi 22 mars 2014
✍ Introduction de Haiti-Référence
L’accord politique dit d’El Rancho fut le résultat de plusieurs rencontres entre l’Exécutif, les membres du Parlement et des partis politiques sous les auspices de la Conférence épiscopale qui s’était soustraite de la plateforme « Religion pour La Paix »(1).
Cet Accord qui contient quatre parties et 14 articles fut signé le 14 mars 2014 par le président Joseph Michel Martelly, les présidents du Sénat et de la Chambre des Députés, Desras Simon Dieuseul et Steevenson Thimoléon, le facilitateur principal, le cardinal Chibly Langlois.
Reçu avec optimisme et salué par divers secteurs de la société civile d’Haïti et des instances internationales qui y voient une volonté des secteurs politiques représentés de sortir de la crise électorale, il n’est pourtant pas bien vu par des secteurs de la classe politique dont certains relèvent son caractère inconstitutionnel.
Vu la Constitution haïtienne;
Vu la Déclaration Universelle des droits de l’homme;
Vu la loi électorale du 27 Novembre 2013, publiée le 10 Décembre 2013;
Vu la loi portant formation, fonctionnement et financement des Partis politiques publié le 16 janvier 2014 ;
Vu le Protocole de Médiation adopté à l’Hôtel Karibe Convention Center le 22 janvier 2014 et signé à l’hôtel El Rancho le 24 janvier 2014 par la Médiatrice et les trois Parties à savoir : l’Exécutif, le Parlement, les Partis Politiques;
Considérant qu’au regard de la situation politique du pays, la Conférence des Évêques d’Haïti (CEH), dans sa note pastorale du 27 Septembre 2013, a proposé ses bons offices pour aider les acteurs politiques et ceux des Pouvoirs de l’État à dialoguer;
Considérant que cette proposition a été favorablement accueillie par le Président de la République ;
Considérant qu’après consultation, les trois Parties susdites ont accepté la médiation de la Conférence des Évêques d’Haïti;
Considérant que le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), les structures organisées de la Société civile : le secteur syndical, la Fédération des Barreaux d’Haïti, les associations de médias, les Organisations de la société civile ont été invités aux assises à titre d’observateurs;
Considérant que les Parties se sont concertées dans les assises des trois phases du dialogue politique et institutionnel afin de parvenir à un accord politique sur la Gouvernance, l’organisation d’élections crédibles et l’amendement de la Constitution;
Considérant que ce présent accord est une contribution importante en vue du dialogue national prôné par plus d’un et prévu dans le protocole de médiation ;
Considérant qu’il y a lieu de clôturer les assises du dialogue de « EL RANCHO » par un accord politique obtenu librement et de bonne foi; un accord au bas duquel sont apposées les signatures respectives du :
- Président de la République pour l’Exécutif
- Président du Sénat de la République et du Président de la Chambre des Députés, les deux pour le Parlement ;
- Mandataires des Partis politiques pour les Partis Politiques ;
- Médiatrice.
LES PARTIES ONT CONVENU DE CE QUI SUIT :
I : DE LA GOUVERNANCE
Article 1 : Conduite de l’action gouvernementale
Les Parties s’accordent sur la mise en place d’un Gouvernement d’ouverture capable d’inspirer confiance et de créer les conditions nécessaires pour réaliser des élections libres, honnêtes et démocratiques.
Dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables à dater de la signature de l’accord, l’Exécutif intégrera dans l’appareil gouvernemental des personnalités inspirant confiance venant des partis politiques intéressés.
Article 2 : Séparation des Pouvoirs
Les Parties s’engagent à respecter le principe constitutionnel de la séparation des Pouvoirs. Elles s’accordent sur :
- Le respect de l’indépendance des pouvoirs.
- Le respect de l’indépendance des Institutions
- Le respect de l’indépendance des juridictions
- La résolution sans délai de la question de la publication de la liste des Membres de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) élus par le Sénat de la République ;
- La publication de toutes les lois votées par le Parlement, une fois écoulé le délai d’exercice du droit d’objection du Président de la République ainsi que celle de toutes les résolutions prises par le Grand Corps en application des articles 122 et 125 de la Constitution.
- Le vote des projets de loi jugés prioritaires par l’Exécutif et déposés au Parlement.
Pour la mise en œuvre des dispositions de l’article 2. d, le Pouvoir Exécutif s’accorde un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables à compter de la date de la signature de l’accord.
Article 3 : Garanties judiciaires et institutionnelles
En vue d’œuvrer au respect des garanties judiciaires, les Partis Politiques s’accordent sur l’opportunité de demander au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), dans le cadre de son pouvoir général d’information, de « s’enquérir de l’état d’avancement du dossier des frères Florestal », conformément à l’article 36 de la loi portant création dudit Conseil.
Aussi, les Parties demandent fermement que les pouvoirs compétents activent le processus de résolution du problème de la détention préventive prolongée. A cet effet, la Commission de Suivi du présent accord écrira au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique et lui demandera d’adopter telles mesures que de droit.
Les Parties demandent l’analyse objective de la résolution relative aux trois (3) Juges contestés à la Cour de Cassation.
En outre, dans l’optique d’une saine distribution de la justice, les Parties s’accordent sur la régularisation du cadre institutionnel du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. A ce titre, les Parties conviennent de la mise en place d’une Commission tripartite de techniciens tirés du Parlement, de l’Exécutif et des Partis Politiques qui se penchera sur la révision de la loi portant sur le fonctionnement du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ainsi que sur la question de la détention préventive prolongée et de l’évaluation du personnel judiciaire national.
Article 4 : Respect du cycle des mandats
Les Parties s’accordent sur l’organisation d’élections libres, transparentes, honnêtes et démocratiques, ce, avant la fin de l’année 2014 préférablement le dimanche 26 octobre au plus tard pour la tenue du premier tour.
Les Pouvoirs Exécutif et Législatif ainsi que le Conseil Electoral Provisoire se chargeront de la mise en œuvre de la présente disposition.
Article 5 : Décentralisation
En vue d’une décentralisation effective caractérisée par « le transfert de pouvoir et de compétences du niveau de l’Administration centrale aux collectivités territoriales », les Parties au présent instrument s’accordent sur :
- Une mise à jour du document intitulé « Le cadre de la politique nationale d’aménagement du territoire » et l’application des recommandations contenues dans ce document.
- Un projet de loi « portant sur l’aménagement du territoire et le développement local » à déposer au Parlement.
- La tenue d’Élections locales et indirectes. A traiter au niveau de l’organisme électoral.
- Le vote de la loi pour la mise en place et le fonctionnement des Collectivités Territoriales.
- La création d’un institut d’accompagnement des Collectivités Territoriales en vue de la mise en place de l’Administration publique communale et de celle de la section communale.
Les Pouvoirs Exécutif et Législatif se chargent de la mise en œuvre des points a, b, e de cet article. L’organisme électoral se charge de la mise en œuvre du point (c). Le Pouvoir Législatif en Assemblée séparée se charge de la mise en œuvre du point d. A cet effet, des pourparlers interinstitutionnels sont prévus.
Article 6 : Indépendance et souveraineté nationales
Sur la question de l’indépendance et de la souveraineté nationales les Parties au présent instrument s’accordent sur :
- Le retrait planifié et ordonné de la Mission des Nations Unies de Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) dans les cinq autres départements du pays;
- L’augmentation de l’effectif de la Police Nationale d’Haïti (PNH) ;
- La redéfinition des termes de la coopération internationale ;
- La restructuration des représentations diplomatiques ;
- Le repositionnement d’Haïti sur la scène internationale ;
- La redéfinition du mécanisme de perception des taxes pour sortir le pays de la dépendance internationale ;
- Le renforcement des Partis Politiques ;
- Le vote de la loi sur le fonctionnement des ONGs.
Le Pouvoir Exécutif se charge de la mise en œuvre des points (a) à (f) du présent article. Le Pouvoir Législatif se charge de la mise en œuvre du point (h) de l’article. Les Trois (3) Pouvoirs de l’Etat ainsi que la Société civile se chargent de la mise en œuvre du point (g).
II : DES ÉLECTIONS
Article 7 : Cadre institutionnel
Les Parties s’accordent pour que le Collège Transitoire du Conseil Électoral Permanent (CTCEP) soit renommé « Conseil Électoral Provisoire (CEP) ». Chacun des trois Pouvoirs de l’État, à savoir l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire peut procéder, après évaluation au retrait d’au maximum un de ses membres et pourvoir à son remplacement, dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours après la signature du présent accord.
Les Pouvoirs Exécutif, Législatif et Judiciaire se chargent de la mise en œuvre de cet article 7.
Article 8 : Loi électorale
Les Parties s’accordent sur l’opportunité d’amender la loi électorale. Une liste non exhaustive d’articles considérés comme irritants est déjà disponible. Les Pouvoirs Exécutif, Législatif (La Chambre des Députés et le Sénat), le CEP ainsi que les Partis Politiques pourvoiront à la mise en œuvre de la présente disposition dans un délai ne dépassant pas dix (10) jours ouvrables après la signature du présent accord.
Article 9 : Processus électoral
Les Parties s’accordent sur la nécessité de :
- Introduire graduellement l’urne électronique dans les compétitions électorales (possiblement dans les prochaines élections avec un cadre légal approprié) ;
- Réaliser des élections citoyennes et souveraines avec la participation bénévole de toute personne ayant atteint l’âge de la majorité ;
- Permettre graduellement aux Haïtiens vivant à l’étranger (diaspora), détenteurs d’une Carte d’Identification Nationale (CIN), dûment inscrits sur la liste électorale et répondant aux exigences de l’article 16 de la Constitution amendée, de voter lors des prochaines élections (cadre légal à établir).
Les Pouvoirs Exécutif et Législatif ainsi que le Conseil Électoral Provisoire (CEP) se chargent de la mise en œuvre de cet article.
Article 10 : Renouvellement des mandats
Les Parties au présent instrument (Exécutif, Législatif, Partis Politiques) s’accordent sur l’organisation d’une seule élection avant la fin de l’année 2014 préférablement le dimanche 26 octobre pour la tenue du premier tour, pour le renouvellement des 2/3 du Sénat, de la Chambre des Députés et pour les Collectivités Territoriales.
Le Conseil Électoral Provisoire sera chargé de mettre en œuvre cet article. La durée des mandats des prochains sénateurs sera déterminée par la Constitution et par la loi électorale à amender.
III : CONSTITUTION
Article 11 : Amendement
Les Parties s’engagent à faire amender la Constitution conformément à la procédure tracée et dans le délai imparti par la Constitution.
A cette fin, il est créé une Commission spéciale ci-après dénommée Commission de suivi, composée de représentants de l’Exécutif, du Parlement des Partis Politiques et de la Société Civile.
IV : DISPOSITIONS SPÉCIALES
Article 12 :
Dans le cas où les amendements à la loi électorale prévus et proposés dans le cadre du dialogue ne sont pas votés par les deux branches du Parlement dans le délai imparti à l’article huit (8) du présent accord, les Parties constatent avec le Conseil Electoral Provisoire (CEP) l’impossibilité matérielle d’appliquer les articles visés. En conséquence les Parties conviennent que ces dits articles entrent automatiquement en veilleuse et l’organisme électoral est autorisé à y passer outre.
En conséquence les Parties conviennent que ces dits articles entrent automatiquement en veilleuse et l’organisme électoral est autorisé à y passer outre.
Article 13: Commission de suivi des accords
Conformément à l’article 7 du Protocole de Médiation et au présent instrument, les Parties conviennent de mettre en place la Commission de suivi des accords. Cette Commission est supervisée par la Médiatrice. Elle rend compte directement à celle-ci Elle est constituée de :
Quatre (4) membres venant des partis politiques ;
- Un (1) membre de l’Exécutif ;
- Un (1) membre du Parlement ;
- Un (1) membre des Observateurs indépendants.
Article 14 : Droit de réserves
Les Parties signataires du présent accord ont le droit de formuler des réserves sur une ou plusieurs clauses du présent instrument.
Des réserves ont été émises par l’Exécutif :
- Sur l’article 2 alinéa (e) portant sur la publication des résolutions votées au Parlement;
- Sur l’article 3 portant sur la question des frères Florestal.
Des Réserves ont été émises par le Sénat sur les articles suivants:
- Article 1 sur le gouvernement d’ouverture demandant d’inscrire dans le présent accord un gouvernement qui inspire confiance;
- Article 7 portant sur le Conseil Electoral Provisoire. Le Sénat demande qu’on applique l’article 289 de la Constitution de 1987 amendée portant sur la composition du Conseil Electoral Provisoire.
- Article 9 le Sénat est favorable aux votes de la diaspora mais émet des réserves quant à la possibilité d’établir un mécanisme fiable de contrôle du processus électoral. .
Des réserves ont été émises par le Parti « RESPE » sur la manière dont les Parties aux assises entendent constituer le Conseil Electoral Provisoire. Ces réserves se justifient par le fait que la manière de constituer l’organisme électoral est contraire à la Constitution en son article 289. Ainsi, RESPE conditionne sa signature par lui de cet accord moyennant l’insertion et la prise en compte de ses réserves dans ledit accord.
Toutes les Parties signataires et chacune d’elles s’engagent à respecter et à appliquer en ce qui le concerne, le présent accord en tout et dans toutes ses parties.
Fait à Port au Prince et signé de bonne foi, le 14 mars 2014 à l’hôtel « El Rancho ».
Suivent les signatures de:
- Joseph Michel Martelly
.- Président de la République - Cardinal Chibly Langlois
.- Evêque des Cayes et Président de la CEH - Desras Simon Dieuseul
.- Président du Sénat de la République - Steevenson Thimoléon
.- Président de la Chambre des Députés »
✍ Note:
- Une plateforme interreligieuse regroupant les secteurs religieux catholique, protestant, vodou, anglican et musulman, « Religions pour la paix » qui avait pris naissance le 24 mars 2010 s’était donné pour tâche de faciliter le dialogue entre les différents protagonistes haïtiens. La Conférence Épiscopale d’Haïti avait justifié sa décision d’abandonner cette plateforme dans une adresse à la nation le 24 décembre 2013. La charge de faciliter le dialogue incomba donc au président de la CEH, devenu plus tard cardinal.