Un peuple pris au piège
📅 Texte publié le vendredi 14 mars 2014
C’était un dimanche matin. Une date qui ne revient que chaque quatre ans. Les Haïtiens apprenaient alors que le président Jean-Bertrand Aristide dont la seconde non-consécutive élection en novembre 2000 a été contestée par plusieurs secteurs formant une frange de la société civile, venait de laisser le pays avec sa famille.
Ce fut alors une victoire pour ces secteurs qui, en plus de leur turbulence sur place, ne s’étaient pas ménagés, faisant même le pied de grue dans les couloirs des ambassades, pour se rallier les conservateurs de l’international et supportaient même financièrement les groupes armés. Leur but était d’une simplicité viscérale: Le départ d’Aristide. Leur contrat social n’incluait aucun plan pour l’après-Aristide.
De donner suite à leur demande, les grands frères du Nord et la France s’en sont alors chargés en nous imposant un président soumis et un premier ministre dépoussiéré de la diaspora. Haïti tombait ce jour-là dans le piège de l’international qui, depuis 1963, lors du différend haitiano-dominicain cherchait à nous ravir notre indépendance et notre autonomie. Le madré François Duvalier avait alors déjoué leur plan.
En mars 2004, alors qu’on se trouvait en l’année du bicentenaire de notre indépendance, des soldats français foulaient à nouveau, les armes à la main, le sol de Dessalines. Ils furent cependant vite remplacés par des américains qui, trois mois plus tard, passèrent le bâton de commande à l’ONU qui déploie une force multinationale connue depuis lors sous le nom de Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).
Cette force qui avait pour mandat de restaurer la stabilité et la sécurité dans le pays(1) non seulement se transforma en une armée d’occupation virtuelle, ciblant surtout le petit peuple qui ne demandait qu’à vivre dans la tranquillité et qui, loin de se confier à l’État pour satisfaire ses besoins fondamentaux (nourriture, abri, santé, instruction, travail), faisait appel à son ingéniosité pour survivre au quotidien.
Massacré dans les bidonvilles, leurs enfants violés par les soldats pervers de cette force, terrassé par le choléra importé par l’un des contingents, le peuple pris au piège devint le dindon de la farce même lors des élections organisées par les responsables qui, à l’occasion se comporte comme des vrais proconsuls(2).
Entre-temps les secteurs déjà pourvus tirant leur jus de cette présence, s’opposent à leur départ et au retour des forces armées d’Haïti, alors que les élites affichent un silence déconcertant devant ses exactions et semblent même, à l’occasion cautionner ses actes.
Quant au gouvernement, il s’appuie sur cette force pour sa propre survie et se lance dans une propagande bien orchestrée, avec la complicité des médias acquis à sa cause, pour projeter une image d’un pays qui ne répond nullement à la réalité ou adopte une stratégie de diversion, pour cacher des problèmes de poids comme celui de la sécurité, de la corruption, du rationnement de l’électricité pour ne citer que ceux-là. Le peuple qui crève demeure le moindre de leurs soucis.
Il y a dix ans tous les espoirs étaient permis, aujourd’hui, ce peuple flagellé passe son temps à panser les blessures qu’on lui inflige quand il n’en succombe pas.
J.A.
✍ Note:
- Résolution 1542 (2004) Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4961ème séance, le 30 avril 2004. New York: Nations-Unies, 2004.
- Deux représentants spéciaux du secrétaire général de l’ONU se sont particulièrement illustrés dans ce rôle. Il s’agit du Chilen Juan Valdes qui déjà en 2005 déclara que la MINUSTAH est dans le pays pour au moins dix ans (« ‘Nous sommes là pour dix ans’, dixit Juan Gabriel Valdes. » Le Nouvelliste. 9 août 2005) et le Guatémaltèque Edmond Mulet.