Haïti: La marche à reculons
📅 Texte publié le jeudi 15 août 2013
Texte reçu le 15 août 2013
Par Jean L. Théagène
« Chaque Nation ne peut se civiliser qu’en créant des partis politiques. Ceux-ci créent la vitalité nationale par l’émulation. Tout gouvernement doit être reconnu par tous, à l’intérieur comme à l’extérieur. On n’a pas à tenir compte du parti politique qui gouverne puisque, dès l’instant que le parti devient gouvernement, du même coup, il devient la Nation ».
Funck-Bretano, L’Ecole des sciences politiques.
Contrairement à la France éternelle qui s’est toujours gardé de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays qu’elle assiste, le grand Voisin prend un malin plaisir à chercher « des os dans le calalou » des Etats réduits à solliciter et à recevoir son aide, une aide souvent assortie de conditions humiliantes. C’est que cette écuelle éternelle de pays assisté ne peut que nous mortifier. Prétendre vouloir la démocratie et ne pas se résoudre à l’appliquer et à l’épanouir n’enchante guère l’Américain entiché du respect des droits de l’homme, du suffrage universel et du libre jeu des institutions Républicaines. Le « travel warning », forme de sanction américaine dans un premier temps, avant de recourir en définitive à la suppression de l’aide tombe comme un cheveu sur la soupe face à des pratiques intolérables, cette bonne vieille habitude d’imputer des propos ou des intentions subversifs à des citoyens pour les inquiéter.
D’aussi loin qu’on remonte dans l’Histoire, on constate que les constitutions haïtiennes à quelques rares exceptions près ont consacré ce principe de Droit Public, savoir qu’Haïti est une Nation à vocation démocratique. Dans les Chartes de 1932, de 1946, de 1950, de 1957, de 1964 amendée en 1971, de 1983, de 1987 jusqu’à notre galimatias de Constitution amendée actuellement en vigueur. Elles proclament toutes que les Haïtiens ont le droit de s’associer, de se grouper en partis politiques, en syndicats et en coopératives et que l’exercice de ce droit ne peut être soumis à aucune mesure coercitive. En l’occurrence, nul ne peut être contraint à s’affilier à une association ou à un parti politique.
La loi réglemente les conditions de fonctionnement de ces groupements et en favorise la formation. Pourquoi dès lors enfoncer cette porte ouverte par la Constitution en s’interrogeant aujourd’hui sur la nécessité des Partis Politiques ? C’est la preuve que chez nous, on élabore souvent des principes pour ne point les appliquer. Pourtant, dans une démocratie indirecte et représentative, l’urgence de partis politiques doit s’imposer. Sinon, la fantaisie autocratique et démagogique trône au pouvoir au mépris des aspirations de la Nation. Or, le propre de tout gouvernement démocratique est d’assurer le bonheur du peuple. D’où, le droit légitime des citoyens de toutes les composantes sociales de contrôler l’action de leurs dirigeants au niveau exécutif, législatif et judiciaire. Car, puisque le pouvoir légitime reste l’expression d’un consensus populaire et majoritaire, on ne saurait imposer au peuple un système autocratique de gouvernement qui soit funeste à son évolution et à ses aspirations.
Dans le passé, l’Etat de l’Archipel des Antilles, le fils aîné de la Race Noire ne connaissait que deux partis : Le Parti National et Le Parti Libéral. Le pays étant fatigué des querelles byzantines, mesquines qui divisaient les membres du parti libéral et dont les effets ont eu des conséquences néfastes sur le commerce, l’agriculture, les finances affectant par ainsi son prestige en terre étrangère élisait à travers le Congrès, un patriote éprouvé, d’une haute culture intellectuelle et qui croyait que la chétive Haïti devait servir de modèle, d’initiateur, d’exemple et d’espoir. L’année 1879 a vu Haïti épouser cette femme capricieuse qu’est la DÉMOCRATIE en la personne de Lysius Félicité Salomon, cet érudit plein de fougue et de talent avec pour principaux témoins des intellectuels avisés, tels M. C. Fouchard au Ministère des Finances, du commerce et des relations extérieures, M. Michel Pierre au Ministère de la guerre et de la marine, M. François Manigat, pétillant d’intelligence et de malices méridionales au Secrétariat d’Etat de l’Instruction Publique et de l’Agriculture, M. B. Prophète au Ministère de l’Intérieur et des travaux publics, M. Ovide Cameau au Ministère de la Justice et des Cultes. Et après eux, le ciel politique haïtien n’a jamais pu retrouver sa sérénité démocratique.
Au moment de griffonner ces lignes, on nous rabat les oreilles avec du réchauffé : démocratie, élections, démission, mise en accusation, révocation du directeur général du CTCEP, etc…L’actualité politique est si chargée qu’on serait tenté de parler d’overdose politique : carnaval contesté, carnaval réussi, mort d’un Juge, organisation de bal réussi, mandat à l’encontre d’avocat par un juge entaché de suspicion légitime pour finalement déboucher sur la rencontre avortée du Président avec les Partis Politiques au regard des « élections » à venir. Ce rendez-vous manqué n’eût-il pas été l’occasion rêvé par les partis politiques de traiter directement de toutes ces questions avec le Président de la République en personne ? A l’heure du pluralisme politique, si la recherche du bien commun, le salut de la Patrie et le bonheur du peuple constituent le but que poursuivent les partis politiques, rien n’empêche que, autour d’une table, puissent se réunir à l’occasion les tenants du pouvoir, les représentants de nos formations politiques pour traiter, sans exclusive, des affaires du pays. Cela se fait aux Etats-Unis, en France et ailleurs. Une République prospère, forte et démocratique, n’est le monopole d’aucune oligarchie. C’est l’affaire de chacun et de tout le monde. Car, on ne peut pas arrêter la marche de l’Histoire ni par l’anarchie ni par l’intransigeance maladive.
Sans accroc au libre jeu démocratique, la perspective d’une telle rencontre est plus que vitale à la frétillante démocratie haïtienne pour l’empêcher d’être purement formelle et démagogique afin qu’elle devienne réelle et fonctionnelle. Un Chef de Parti a intérêt à privilégier l’intérêt général sur l’intérêt particulier en posant avec le Président toute question relative aux élections. L’obstacle de l’enregistrement, les bureaux de vote, les lacunes, les malices suprêmes, le temps d’antenne à accorder aux partis pour la présentation de leurs programmes électoraux, les débats d’idées sur les thèmes d’une campagne électorale pour ne pas verser dans la démesure, autant de sujets de préoccupations susceptibles de porter le Président à jouer le jeu jusqu’au bout pour bien mériter de la Patrie. Ce faisant, ces partis politiques, opposition comprise, auraient bien mérité de l’Histoire en rendant possible la cohabitation, en travaillant à créer et maintenir la convivialité sociopolitique que la Nation appelle de ses vœux. Ironie de l’histoire, le Pol Pot haïtien, persiste à faire danser ses rêves. Il choisit de rejoindre le front du refus, au lieu de faire comme les oiseaux : se cacher pour mourir, ou tout au moins se remémorer l’agonie de ses victimes pour partager le deuil de leurs parents, Que voulez-vous, nous sommes en Démocratie où les extrémistes, eux aussi, ont droit de cité.
Que vienne le temps où les Partis devront s’organiser moins autour d’une personnalité, fût-elle charismatique, qu’ en vue du bien collectif, par un programme d’action basé sur une philosophie politique cohérente, opportune et progressiste. Ils tiendront compte des desideratas de la grande majorité en faisant connaître au peuple leurs idées et leur ligne doctrinale. C’est à partir de tels critères qu’ils recruteront leurs adhérents qui, avec d’autres groupes de pression, participeront à des élections honnêtes pour offrir au pays des parlementaires dont le véritable rôle sera de contrôler la gestion de l’Exécutifs, au bénéfice, non d’un groupuscule, mais de la nation toute entière.
Dr Jean L. Théagène
Miami, le 14 Août 2013