« L’école haïtienne produira des citoyens créateurs ». Une prédiction du ministre Mario Dupuy
📅 Texte publié le vendredi 21 septembre 2012
Texte reçu le 19 septembre 2012
Par Robenson D’Haïti
« Eduquer les enfants et les jeunes haïtiens pour en faire des citoyens créateurs et consommateurs d’art et de culture », telle est l’ambition d’un projet d’éducation artistique et culturelle lancé par le ministre de la Culture, Mario Dupuy, le 13 septembre, dans le système scolaire haïtien. Deux autres ministères, celui de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle et celui de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique s’engagent auprès du Ministère de la culture pour donner corps à ce programme inspiré des recommandations et orientations des Assises nationales de la Culture tenues les 28,29 et 30 juillet 2011.
La mise en contact des enfants, dès la maternelle, avec l’art mérite encouragement et soutien; les ouvrir à diverses formes de culture est un travail noble. L’Etat peut dignement s’assigner cette tâche et s’y atteler pour aider les jeunes à se construire une identité positive, leur permettre de se constituer une culture particulière, forte, riche et harmonieuse, ceci mais pas uniquement dans leurs heures de recréation. Permettre aux enfants d’accéder à l’art, c’est leur ouvrir la porte de l’universel. Le citoyen créateur, si M. Dupuy parle de la même chose que nous, est celui qui sait non seulement lire, écrire et compter , mais aussi sentir, apprécier, observer, comparer, juger et critiquer. Pour y arriver, les arts, à travers certaines disciplines comme le dessin, la musique, la danse et le théâtre…, doivent être effectivement enseignées dans les écoles haïtiennes. Ils doivent être officiellement insérés dans les programmes d’étude, non en tant que matière de distraction, de détente ou de divertissement, mais comme des cours faisant l’objet d’une évaluation non rigoureuse, mais prudente. On ne devra pas le leur imposer. Il serait risqué de vouloir faire de l’art une matière scolaire. Daniel Widlöcher, docteur en psychologie, l’a signalé : « L’enfant qui dessine ne croit pas se livrer à un divertissement gratuit ».
Il faut aussi absolument éviter d’en faire des matières d’agrément ou de décoration si on veut vraiment arriver à amener nos écoliers à la connaissance des hommes et des civilisations. Somme toute, c’est bien de cela qu’il s’agit quand on parle sérieusement d’Education artistique et culturelle à l’école : faire connaitre aux enfants les hommes et les civilisations, leur apprendre à vivre avec l’Humanité. Sinon, même sous le haut patronage des 500 millions de gourdes dont dispose le ministre, ce programme peut malheureusement être une utopie vu l’ambiance scolaire aujourd’hui.
Inscrire l’éducation artistique et culturelle dans les missions des établissements scolaires haïtiens est une charge pratiquement insoutenable surtout pour les responsables d’école à cause des écueils qu’on n’a pas encore éliminés : le manque de professeurs d’art, de moyens et de matériel pédagogique, s’ajoute à tout cela une réduction indue des jours de classe. Aujourd’hui, professeurs et élèves devront prendre un raccourci pour pouvoir couvrir le programme scolaire à temps.
Quand on parle d’éducation artistique, on devra aussi se fixer pour déterminer s’il s’agit d’une éducation à l’art et par l’art ou s’il est question tout simplement d’une éducation de l’art. Pesant les alternatives, la première option est préférable à la seconde pour produire des citoyens créateurs, car elle ne fait pas de l’enseignement artistique une activité exclue du champ des motivations scolaires, une activité exilée sur les marges du cursus scolaire. Et, elle impliquera une double approche : la pédagogie par l’art et la pédagogie de l’art.
L’action culturelle en milieu scolaire a un grand ennemi : le temps. Comment s’organisera-t-on pour qu’on ne consacre pas seulement 30 minutes par semaine à un cours aussi important que le dessin, par exemple ? De la 1ère année à la 6ème année fondamentale, l’enseignement du dessin est souvent confié aux instituteurs et institutrices qui, il faut le reconnaitre, ne peuvent être que des distributeurs ou distributrices de papier et de crayons. Et les enfants généralement se livrent à de piètres exercices de copie. Les titulaires n’étant pas formés pour prendre en charge l’éducation artistique des écoliers profitent toujours de cette tranche horaire pour se reposer. En France, le 22 mars 1879, date à laquelle le dessin a été adopté par l’ensemble des établissements scolaires français, il a été mis en place un certificat d’aptitude à l’enseignement du dessin (C.A.E.D.) pour pallier le manque de connaissance des instituteurs dans cette nouvelle discipline. Des épreuves de dessin au certificat d’étude primaire et au brevet supérieur ont même été instaurées pour évaluer le niveau des élèves dans cette matière.
» (…) la fonction de l’art est de mettre au monde des interrogations qui ne se connaissent pas encore elles-mêmes. » écrit Alain Robbe-Grillet dans son essai intitulé » Pour un Nouveau Roman « . Si l’enseignement est mal dirigé, ces interrogations, qui ne se connaissent pas elles-mêmes et qui seraient très importantes pour le développement du citoyen créateur attendu, échapperont au traitement qu’en peut en faire l’imaginaire de l’enfant.
Enfin, les problèmes sont multiples. Heureusement que cela n’a été qu’une cérémonie de lancement au cours de laquelle le ministre de la culture, Mario Dupuy, n’a fait que « lancer » qu’il entend former des citoyens créateurs. Dans l’état actuel des choses, si les directeurs d’école doivent se mettre à l’œuvre pour produire des « citoyens créateurs »,
Robenson D’Haïti