Un scandale de plus
📅 Texte publié le dimanche 8 avril 2012
Dans les années ‘30 et dans les premières années des années ‘40, Trujillo régnant en maître dans la république voisine tentait, usant de plusieurs stratagèmes, d’influencer la politique et ainsi le cours de l’histoire en Haïti. Il se fit passer publiquement pour des amis personnels des présidents Sténio Vincent et Elie Lescot, après avoir encouragé le massacre des milliers d’Haïtiens sur son territoire au mois d’octobre 1937. Ces présidents, toutefois maintinrent, à l’époque, un grand secret sur les fonds reçus du caudillo pour faire avancer leur cause en Haïti et la politique du dictateur dominicain envers Haïti.
A lire les rapports provenant récemment de la République dominicaine où tous font mention d’un éventuel financement de la campagne électorale des candidats qui ont franchi le cap du premier tour des élections présidentielles de novembre 2010, on serait tenté de penser qu’on assiste à une réédition des relations scabreuses entre les deux pays durant ces années. Évidemment les désaveux pleuvent des deux côtés de la frontière.
Si ces allégations s’avèrent être fondées, ce serait pour le pays non seulement un scandale révélant une fois de plus le haut niveau de corruption de nos politiciens, même de ceux et celles qui dénoncèrent publiquement une telle pratique lors de la dernière campagne électorale, mais aussi et surtout un acte de haute trahison quand on pense aux conséquences.
La nation haïtienne, lors des dernières élections, attendait de ces futures leaders, une attitude indiquant un grand recul envers la corruption, cette plaie qui ronge notre société et empêche en partie notre développement. Elle espérait ainsi retrouver aux yeux d’une communauté internationale qui l’assimile à une faillite sociale et économique un certain respect au moins dans cet aspect.
On connait la suite.
Des élections escamotées organisées par un conseil électoral extrêmement partisan et des résultats suspects. On a donc eu ce qu’on a donc eu. Pour faire contre mauvaise fortune bon cœur, on s’était alors consolé à l’idée que le nouvel élu n’était pas un politicien traditionnel, malgré un passé artistiquement répréhensible. Il n’était pas de ceux qui se rendaient en république voisine pour tramer des coups, rencontrer des ennemis du peuple haïtien ou simplement recevoir des consignes de déstabilisation. Et tombent les allégations de la journaliste d’investigation Nuria Piera!
Pas étonnant que des compatriotes décident de revoir tous les actes récents de nos voisins, et surtout de remettre en question ceux apparemment empruntés d’un certain altruisme. Ils se disent avoir été des naïfs d’avoir pensé que dans leurs relations avec Haïti, les Dominicains se laisseraient guider uniquement par un certain altruisme. Dans le meilleur des cas, nos voisins assimilent toute aide politique à un investissement auquel ils espèrent obtenir un grand retour. S’ils apportent un soutien financier à un politicien ou un candidat, ils s’attendent bien entendu à ce que celui-ci ou celle-là soit non seulement à leur écoute, ferme leurs yeux sur les exactions commises sur les ressortissants haïtiens résidant ou en visite chez eux, mais surtout leur offre des avantages économiques alléchants. Faut-il les blâmer? C’est la règle du jeu dans les relations bilatérales. On profite de la faiblesse de l’autre, on documente les transactions louches, on maintient un dossier accablant sur lui, question de garantir le respect de la parole donnée dans les antichambres. Les allégations de Nuria Piera prêtent à toutes les interprétations.
Elie Lescot fut décoré de la Croix de l’Ordre de Mérite de Juan Pablo Duarte par Trujillo, qui finança son élection. Une décoration similaire a été octroyée le 26 mars dernier au président haïtien par son homologue dominicain. Assistons-nous à une répétition de l’histoire, plus de 70 ans plus tard? Si tel est le cas, il faudrait donc rappeler aux leaders qui pactisent impudemment avec les politiciens dominicains et recherchent leur bénédiction que Lescot, tombé en disgrâce aux yeux du caudillo, a été avili quand ce dernier publia leur correspondance.
Aux journalistes haïtiens, Nuria Peria offre une occasion en or de montrer leur compétence en entreprenant leur propre investigation et en essayant de découvrir la vérité au lieu de répéter verbatim les dépêches des médias provenant de l’autre côté de la frontière.
J.A.