L’agonie de l’opposition
📅 Texte publié le dimanche 8 avril 2012
Texte reçu le 29 mars 2012
Dr Jean L. Théagène
« L’opposition est sans force alors qu’elle est sans discernement et des hommes dont la vocation serait de résister à l’établissement des lois utiles ne seraient bientôt écoutés qu’avec indifférence, lors même qu’ils en combattraient de dangereuses. »
Benjamin Constant
Sous une vague phraséologie démocratique, utilisant à fond les ressources offertes par les procédés de la représentation (avis, notes de presse, déclarations, interviews, pamphlets, tracts, chairs d’Église, meetings) ces individus, convertis en candidats au moindre signe d’élections, ne manquent pas d’afficher leur volonté opiniâtre d’accéder au timon des affaires. L’absence d’idéologie ou de conviction politique fait place alors à des slogans à connotation démocratique qui, d’inspiration religieuse, qui, sociale même socialisante, ne reflétant en rien, le socialisme, colonne vertébrale de la gauche, exception faite du défunt parti communiste haïtien avec le départ prématuré de son Secrétaire Général René Théodore et le lever de table de Max Bourjolly.
Autocratique, demeure leur mode de fonctionnement car, leurs Chefs sont inamovibles. Sans le sou du pauvre, pour la plupart, ils comptent sur l’aide financière des magnats locaux. A l’encontre des partis politiques d’outre-mer, en ce qui a trait à leur financement, tout vient du Directoire, la base, loin de contribuer reste figée dans un parasitisme, sorte de clientélisme débouchant sur un mercenariat. Par contre, dans ce morceau d’île où l’on vit pour le ventre et le bas ventre, les partis au pouvoir, le PNP de M. Duvalier, Lavalas d’Aristide, le Frap de Cédras, l’Inité de Préval, se sont retrouvés puissants mais solitaires, car leur financement reposait sur le dos du pauvre contribuable haïtien. La fin de l’année 2011 a, donc, fourni à tous l’occasion de voir qu’au pays de Dessalines et de Christophe, l’opposition a déposé les armes. Non pas celle des batailles de tranchée qui font tant de sanglantes trouées dans les rangs des frères ennemis. Non pas celles utilisées par les hordes barbares qui professent à côté de « La raison du plus fort », « la philosophie du plus grand nombre ». Mais de ces armes spirituelles que ne peuvent concevoir les cerveaux pragmatiques des Mikhaïl Kalachnikov ou des Anton Mauser ; de ces munitions imparables qui atteignent la pensée des hommes appelés à se démarquer de la bêtise originelle.
L’opposition a donc failli, elle, si subtilement efficace du temps des Duvalier et qui a fini par induire dans le calendrier historique la date-charnière et hautement symbolique du 7 Février. La voici, subitement forclose, malgré la montée des périls qui ont noms : occupation prolongée du territoire national, l’immixtion flagrante et humiliante de l’ambassade américaine dans les affaires internes haïtiennes, problèmes d’ordre administratif, troubles sociaux intempestifs, remontée de l’insécurité, chômage permanent, reconstruction hypothétique. Et pour couronner le tout, la proximité stratégique du pays, sa dépendance commerciale, son partenariat avec le voisin le plus proche, reposant uniquement sur des intérêts et non des valeurs partagées font d’Haïti une province économique de la Dominicanie. Après s’être enterrée dans un silence complice de la mascarade électorale, elle s’est fait entendre durant la fin de l’année dans des propos de circonstance incapables de modifier d’un iota la dérive de la Nation.
Tous, ils ont émis des vœux à l’adresse de la Nation en faisant montre de réticence à l’endroit du Président, puis ils sont retournés à leur silence comme si le corps social haïtien pouvait se contenter de quelques soubresauts de nationalisme fatigué d’une opposition quasiment inexistante. Habitué depuis vingt-six ans à la soudaineté des « projets coup-de-poing », le peuple semble récuser aujourd’hui l’attentisme des candidats traditionnels. Même, il manifeste la tendance de mettre dans un seul panier les candidats défaits aux dernières élections et les autres qui, a-t-il toujours prétendu, ont trompé sa bonne foi pendant trop longtemps.
Face à l’arrogance du pouvoir renforcé par la couardise de l’occupant, les armes de la pensée critique se sont tues pour permettre à la bêtise humaine de s’installer dans toute sa hideuse luminescence. Alors, tout est donc clair qu’Haïti a toujours été sur la bonne voie conduisant à l’implantation de la démocratie, telle que comprise, adoptée et imposée à la Nation. Fort de la ligne que nous défendons devant les Haïtiens, toujours condamnés à passer de l’euphorie à la désillusion, nous tenons à rappeler que les élections n’incarnent pas forcément la démocratie. Qu’ils pensent à Adolf Hitler en Allemagne ! Une démocratie, ça se vit et ne fait pas peur. La situation épouvantable que connait ce pays aujourd’hui peut toutefois trouver sa justification dans les soixante ans de pouvoir sans partage. Aussi vrai qu’ on ne saurait passer de l’ombre à la lumière ,un pouvoir autoritaire ne se démocratise pas sans secousse.
Au fort de nos lancinantes tribulations, devons-nous aussi admettre que notre fameuse Constitution reste notre véritable source d’instabilité avec cette dyarchie à la tête de l’Etat : la double casquette de Président et de Premier Ministre. Dès l’instant où plusieurs coteries ou chapelles politiques se disputent le Pouvoir, deux hypothèses se produisent : quand l’une d’elles dispose de la majorité la gouvernance tombe ipso facto dans une dictature légale démocratique, dans le cas contraire, quand le gouvernement doit être formé sur la base d’une coalition, on se retrouve en présence d’un gouvernement hétérogène sans programme défini et voué à l’échec. Et comme toute forme de terrorisme nous inquiète, nous ne saurions oublier que la démocratie prevalo-lavalassienne éteignait chez l’interlocuteur politique toute velléité de dialogue en brandissant le spectre de l’assassinat ou autre mesure cœrcitive. Au moment de griffonner ces lignes, nous ne saurions nous empêcher de penser à Mireille Durocher, lâchement assassinée, dont nous saluons la mémoire. Edmond Burke n’écrivait-il pas déjà dans sa « Lettre à Thomas Mercier » que « la tyrannie de la multitude est une tyrannie multipliée ».
Une démocratie qui fait peur n’est donc pas une. Elle peut momentanément servir les desseins obscurs des nations expansionnistes toujours en quête de vérifier des théories qui ne leur conviennent pas. Tout aussi bien, elle peut faire office de point d’appui à un homme ou à une équipe décidés à vassaliser leurs semblables sous couvert d’une légitimité immorale et inacceptable. Et c’est encore la Comtesse de Blessington qui affirme que « le despotisme soumet une Nation à un seul tyran, la démocratie à plusieurs ». Un mot de 1830, d’une cuisante actualité en 2012 ! Si , « le pire des Etats, c’est l’Etat populaire », comment comprendre que la communauté internationale déploie autant d’efforts pour imposer une telle caricature à la réalité haïtienne ? Comment peut-elle accepter de gaieté de cœur la disparition d’une opposition pourtant indispensable à l’exercice d’une démocratie fonctionnelle ? Où est cette démocratie que les medias occidentaux parlaient de restaurer en Haïti ? Se tiendrait-il dans l’absence de partis politiques et dans l’anéantissement de l’opposition ? Si oui, mission accomplie, Gentille Communauté Internationale. Si non, le maître d’œuvre d’une telle forfaiture doit se préparer à payer, à côté d’autres dols, la piteuse agonie de l’opposition haïtienne.
Dr Jean L. Théagène
Miami, le 27 Mars 2012