Les voies insondables de l’avenir Haïtien
📅 Texte publié le dimanche 25 mars 2012
Texte reçu le 24 mars 2012
Dr Jean L. Théagène
A partir du moment où, dans un pays, s’établit un divorce entre l’orientation du régime et les aspirations de la jeunesse, alors, oui, la catastrophe est proche- alors, le totalitarisme menace à plus ou moins long terme.
Pierre Mendès France.
La semaine écoulée, certains bonzes éternels de la politique haïtienne, sur les ondes d’une station de radio de la capitale, sont montés au créneau et ont sorti leur verve des grands jours d’exaltation pour fustiger le comportement des hommes au pouvoir. Il est vrai que de 86 à nos jours, ils ont été de tous les combats, toujours en position d’arrière-garde et surtout prêts à brandir en absence de tout danger, l’oriflamme des victoires faciles. Mais, de leurs propos et de leurs critiques, qu’en ont fait l’Exécutif et le Législatif ? Encore, c’est le mutisme d’une agonie prolongée comme seule sait en infliger l’ethnie nègre. Et c’est dommage pour un pays de griots coutumiers des longs palabres, à l’ombre des mapous feuillus.
Dommage que dans leur superbe de politiques grotesques, les Haïtiens ne prennent plus le temps de se parler, de discuter et de s’entendre, préférant ostensiblement les rigueurs du déchoucage et des tueries collectives aux subtilités des arguments de poids. Quoiqu’il en soit, « plus on est de fous, plus on rit ». Mais, au regard de l’histoire, qui, du Gouvernement ou du Parlement, restera dans la mémoire collective comme le fossoyeur enthousiaste de l’avenir haïtien. Faut-il donc, s’en remettre à Dieu, car les voies du Seigneur sont impénétrables, insondables même. Jean Giraudoux soutient qu’ « il y a des vérités qui peuvent tuer un peuple ». Pourtant, le peuple haïtien vit dans l’attente de ces vérités sur son avenir.
Sur ces entrefaites, les forts en gueule à la radio, les « fébriles de la plume » lessiveuses médiatiques, accouchent tout ce qui leur passe par la tête. Au-dessus des eaux fangeuses, ils reviennent pour parler du bilan de Martelly, de Lamothe, comme si ce capharnaüm de régime pouvait faire l’objet d’une comptabilité quelconque. D’aucuns parlent de pouvoir absolu, de Parlement idiot et vénal, de militaires mobilisés-démobilisés-remobilisés, de renforcement de la police, d’insécurité galopante, de liberté de parole, de sentiment de dignité individuelle et collective. Heureusement que le ridicule ne tue pas sinon Haïti serait devenue un désert dans lequel s’entretiendraient quelques « pêcheurs en sable trouble ».
N’est-il pas venu pour tous les histrions de la scène politique haïtienne, le temps de clore le chapitre de la honte nationale pour envisager la reprise en main de notre existence et de notre destin ? Trop d’eau a passé sous le pont : propre, claire, trouble, sale, putride pour que nous nous attardions à en purifier la nature essentielle. Le pont a engrangé d’indécrottables alluvions et des sédiments qui se sont fossilisés au cours de nos dégaines historiques rendant extrêmement fragiles les structures de notre prise en charge. Et l’édifice n’a pas seulement tremblé sur ses assises, il s’est renversé de tout son poids en écrasant les vermisseaux qui s’étaient longtemps plus à oxyder de leur bave le monument d’airain légué par l’Ancêtre. Gulliver a été traîné sur toute une longueur par une armada de fourmis qui voulaient déplacer son centre de gravité pour une meilleure utilisation de l’espace.
Haïti, faut-il en rire ou en pleurer ? Dans notre refus absolu des passions tristes, nous pensons que la leçon à tirer du quotidien haïtien qui se situe aux confins de la tristesse et de l’indignation, ce n’est plus d’accuser Duvalier, Aristide, Préval appartenant tous à un passé défini, après avoir donné leur mesure. Ceux qui ont goûté à la liberté après des années d’oppression ne retournent jamais en arrière. Ce n’est guère non plus de s’antagoniser outre mesure entre secteurs opposés dans les modalités de gestion de la République. Ce n’est pas enfin de déballer à la face du monde civilisé toute la putridité de nos oripeaux d’anciens esclaves indignes du joyau légué par l’Ancêtre. Nous avons suffisamment d’eau dans nos rivières en voie d’assèchement pour y laver nos linges sales comme d’ailleurs nous l’avons toujours fait dans les temps forts de notre Histoire. Aujourd’hui, il le faut plus qu’hier puisque des montagnes au rivage, Haïti perd son équilibre. Dans une société où l’on tue, kidnappe, viole à grande brassée, que les citoyens se fâchent, s’énervent, s’inquiètent, que le monde entier s’interroge, avons-nous pensé, un tantinet, à immortaliser notre liberté, notre indépendance ? Dans la foulée, la haine haïtienne du succès, par droits de l’homme interposés, ce, en dehors des limites de la loi, nourrit l’espoir de voir après Avril, Duvalier, Aristide, Préval, Bellerive faire leur tour de piste dans cet hôtel de la Rue du Centre, oubliant que la Justice a toujours dit le Droit, mais jamais le vrai ni le juste. Pour notre part, s’il nous faudrait choisir entre la justice haïtienne et notre père, nous aurions choisi notre père. Parenthèse fermée.
Dans ce morceau d’île dirigé par des occupants, le Premier Ministre pressenti, désigné présente cinquante huit pièces d’un curriculum vitae long comme un jour sans pain à un Parlement où figurent Canadiens, Américains, Français, Bahamiens, etc. Cette nomination respecte-t-elle tous les aspects des prescrits constitutionnels en ce qui concerne le choix du Premier Ministre ? M. Laurent Lamothe a-t-il pu conserver sa nationalité d’origine ? M. Lamothe a-t-il séjourné cinq années consécutives au pays ? Pour ces braves parlementaires dont la seule vision est de dépecer conjointement avec la Présidence, la chétive Haïti, ces questions n’ont aucune valeur constitutionnelle sinon que faire remonter les enchères : espèces trébuchantes et sonores, petits projets, émargement au budget du Ministère de l’Intérieur, leurs épouses dans un coin de nos consulats et ambassades. Alors, un de plus ou de moins, cela ne saurait déranger qui que ce soit. D’ailleurs, dans le cas d’enquête du Parlement sur la double nationalité des membres du Gouvernement Martelly-Conille, les étrangers pointés du doigt dans le rapport de l’enquête, loin de se retrouver en taule pour leur forfaiture continuent à liquider nos affaires courantes et recevoir leurs émoluments quand nous, Haïtiens, avons de grandes inquiétudes pour nos fins de mois. Toujours est-il que dans ce cas comme dans bien d’autres, l’enquête, s’il en est, se poursuit avec le destin qu’on connaît à ce genre de démarches, c’est-à-dire, classé. Décidément, en Haïti, le ridicule ne tue pas.
Somme toute, dans ce mélange hétéroclite de « grivoiserie et politique », comme bouquet, on ne fait pas mieux, M. Lamothe lance une bombe pour la pensée pensante, à travers sa démarche de convaincre la majorité des Haïtiens du bien-fondé de son programme politique : Diplomatie d’affaires ! Sommes-nous à un tournant ? Est-ce un slogan ou un nouveau concept ? Notre prof de latin n’hésiterait pas à dire : »Sutor, ne sutra crepidam ». M. Lamothe, par, naïveté, croyant innover en lançant sa diplomatie d’affaires, avilit la fonction en transformant le diplomate en courtier. Oublie-t-il ou ignore-t-il que la défense et la promotion des intérêts économiques constitue l’un des fondements de la diplomatie ? René Préval dans sa quête du nihilisme avait déstructuré le service diplomatique haïtien, il est vrai ; mais ce n’est pas parce que les mauvaises herbes ont la vie dure, qu’on doit laisser à partir d’un concept creux, vide, déformer la représentation diplomatique. Nonobstant, il est plus qu’évident qu’un travail de conceptualisation s’impose. Et c’est folie de vouloir saccager la diplomatie traditionnelle qui, comme je l’ai soutenue dans ma thèse de Doctorat a permis de déjouer un grand nombre de conflits potentiellement majeurs. Par ailleurs, M. Lamothe, une fois ratifié, saura-t-il relever le colossal défi de remettre Haïti sur les rails. En vérité, immense chantier ! On ne perd rien à attendre.
Qu’on se le tienne pour dit ! Notre propos ne s’accommode nullement des attaques personnelles et mesquines. Si nous attaquons l’idée et non l’homme, l’idée qui abêtit l’homme sans lui enlever ses caractéristiques essentielles, c’est parce que nous voulons que notre pays rompe définitivement avec les instincts d’infamie de ses élites. Et, nous croyons dur comme fer que les petites compromissions, les lâchetés sont en fait les ferments d’une dictature.
Dr Jean L. Théagène
Miami, le 23 Mars 2012