Honneur et respect à Kettly Mars: Prix Prince Claus 2011 !
📅 Texte publié le mardi 28 février 2012
Texte reçu le 27 février 2012
Par Chenald Augustin
Kettly Mars saluée avec solennité
La cérémonie de réception du prix Prince Claus à l’auteure de « Saison sauvage » a été une vraie célébration de son oeuvre (poétique et romanesque) et de sa personnalité. Ce fut aussi une soirée où le jazz (apporté par le duo formé du pianiste néerlandais Mike del Ferro et de la chanteuse Nadège Tippenhauer), la danse, les chants traditionnels et les rythmes de tambour de l’Ensemble rythmique d’Ayikodans, se sont succédé, enchaînés, ce pour rendre le plus bel hommage à Kettly Mars. Guerline Pierre, de sa belle voix expressive, à la fois éclatante et frémissante, l’a saluée avec solennité dans des chants sacrés, comme on en chante à une Majesté. En témoigne son entrée en scène où, vêtue d’une robe blanche cérémoniale et bouteille perlée aux motifs de « vèvè de loas », elle marchait à pas feutrés, à la tête de la procession de danseurs, de percussionnistes d’Ayikodans. On eût dit un officiant qui ouvre la danse pour, écrit le poète René Philoctète, des « fêtes de coeurs ! »
Que d’éloges ont couvert Kettly Mars !
La cérémonie a été l’occasion pour les officiels de couvrir l’écrivain Mars d’éloges. L’ambassadeur des Pays-Bas, Rita Dulci Rahman, voit en Kettly Mars « une écrivaine audacieuse et éloquente », dont les romans « traitent du quotidien et de l’être humain ». « La Fondation Prince Claus, explique-t-elle, rend hommage à Kettly Mars pour avoir mis l’universalité des conditions humaines au coeur de son oeuvre. Elle fait partager la complexité de la réalité de son pays à travers son écriture. »
Le ministre Pierre-Raymond Dumas, en sa qualité de critique littéraire, s’est voulu éloquent. Dans son discours -une analyse critique- l’auteur de « Panorama de la littérature haïtienne de la diaspora » résume l’oeuvre de Mars à ceci : « l’amour et la haine, la vie et la mort, le courage et la lâcheté, le pouvoir et le sexe, l’argent et la misère, le mal et le bien, ce sont, entre autres, ces réalités récurrentes, exacerbées à travers l’homosexualité, l’inceste, la prostitution, la violence politique, qui nourrissent sa plume, aussi dense que mordante, une plume incandescente tout empreinte de miel.»
Quant au président du jury, Peter Geschiere, il rélève dans les romans de Kettly Mars des thèmes comme la postcolonialité, les effets négatifs du néolibéralisme, l’exploitation coloniale, les traumatismes de la traite et de l’esclavage. « Tous ces thèmes, précise-t-il, reviennent dans les romans de Kettly Mars, mais avec une configuration assez différente. » Ce qu’il y apprécie, c’est bien « la finesse de son langage et l’élégance avec laquelle elle dépasse toujours les stéréotypes faciles ». Pierre Raymond Dumas a en outre révélé l’érotisme, la tendresse, la sensualité caractérisant la poésie de Mars. Il y décèle un véritable travail langagier. En attestent notamment ses fameux recueils de poèmes : « Feu de miel » et « Feulement et sanglot », qu’il qualifie de « véritables bijoux ». Kettly Mars, conclut Pierre Raymond Dumas, est « une auteure, une romancière dont la modernité est indéniable ».
« L’art se fout de la couleur de nos yeux et de la texture de nos cheveux ».
D’une voix posée, pleine d’émotion et peu triste, Kettly Mars a, d’entrée de jeu, donné à voir, dans son discours, sa fille Tesa Mars, accidentée, hospitalisée, dans « une salle commune d’environ huit mètres carrés, où des hommes et des femmes allongés ou assis sur des lits de douleur, des tubes au travers du corps […] » Kettly Mars a voulu montrer que l’écrivain ou l’artiste ne doit pas rester, comme l’écrit René Depestre, « indifférent aux appels désespérés de la souffrance humaine ». Ecrire doit être, pour Mars, un acte de solidarité, un acte d’amour, de partage et d’humilité envers tous ceux qui souffrent, pleurent, se meurent… C’est, poursuit-elle, « l’engagement de dire la vérité, nos vérités, même au risque de déplaire ». Car l’art, pense-t-elle, « se fout de la couleur de nos yeux et de la texture de nos cheveux ».
Par ailleurs, la lecture des extraits de textes de l’oeuvre de Kettly Mars a été un des grands moments de la soirée d’hommage. Le diseur Pierre Brisson et la comédienne et narratrice Myrtho Casséus ont convié l’assistance à un voyage de régal dans la poésie et les romans de Kettly Mars qui compte parmi ses quatre récompenses : prix Jacques-Stephen Alexis de la nouvelle, pour « Soleils Contraires » (1996) ; prix Senghor de la Création littéraire, pour « L’Heure hybride » (2006) ; Bourse Barbancourt (2011).
Ce qu’ils ont dit de Kettly Mars:
Des écrivains, qui ont assisté à la cérémonie de remise du prix, ont témoigné sur l’oeuvre de Kettly Mars – qui est d’une richesse foisonnante – et aussi sur ses qualités humaines, sa personnalité, celle d’une écrivaine humble.
Evelyne Trouillot, romancière et poétesse : « Je pense que c’est une écriture qui apporte beaucoup à la littérature en général. C’est une façon nouvelle de regarder les choses. Kettly a su développer son style, une thématique qui n’est pas réductrice. Elle a une façon propre d’aborder les choses. Elle a trouvé, comme tout écrivain, sa marque. »
Gary Victor, romancier et nouvelliste : « Kettly est un regard extrêmement pointu sur la société haïtienne. Son oeuvre est ancrée dans un moment historique précis. Ce que j’aime chez elle, c’est sa liberté d’écriture, cette grande liberté de dire ; c’est aussi cette expression sans retenue. Il n’y a aucun tabou chez elle. C’est une voix personnelle. Kettly est ma romancière préférée, après Marie Chauvet. »
Frankétienne, écrivain, poète, peintre : « Kettly Mars est une grande travailleuse, qui accepte les conseils, les critiques. Elle n’a jamais fait de grosse tête. C’est une femme d’une grande humilité. »
Chenald Augustin