Une société qui a peur
📅 Texte publié le mardi 26 avril 2011
Texte reçu le 25 avril 2011
Par Jean L Théagène
Sans vouloir extrapoler de manière abusive, la gangrène, le ver des morts, comme dirait Baudelaire, étaient d’origine indigène. Et voilà pourquoi, Haïti n’est plus Haïti, depuis qu’un médecin à lunettes a lancé, suite à des emmerdements de toutes sortes, ses hordes de miliciens à l’assaut des hommes d’armes en kaki et d’adversaires venant d’outre-mer, depuis qu’un prêtre en soutane a troqué sa bible contre la parole incendiaire, tueuse d’hommes et destructrice d’institutions, depuis qu’un barbu dans les souliers du prêtre ne fait pas trop sérieux dans des propos décousus, sans ligne directrice et qui, par autarcie, pense que le monde commence à l’Île à Vaches et s’achève à La Tortue. Dans tous les cas, c’est le pays qui en pâtit, c’est la société qui subit de dangereuses mutations qui, immanquablement, la conduisent vers la négation croissante des valeurs de civilisation. De tout ce qui précède, comment peut-on prétendre atteindre un quelconque niveau d’épanouissement collectif quand la vie de l’Haïtien est tellement fragilisé par ces lectures biscornues du devenir national induites pourtant par des universitaires qui, à l’endroit de leur pays d’origine traditionnellement paisible, professent le culte de l’anarchie ?
Quand une société a peur, ses membres s’arment en prévision d’éventuels dérapages. Si la défense est un droit sacré, l’auto-défense est un devoir fondamental découlant de prescrits bibliques. Il ne faudrait donc pas s’étonner si, dans chaque foyer haïtien, la résistance s’organise pour suppléer aux carences de l’État. Il ne faudrait pas non plus être surpris au spectacle de cette nervosité à fleur de peau face au détournement de l’expression de la volonté populaire par Préval et ses sbires du CEP qui coûte déjà au pays nombre de victimes innocentes. Vingt-cinq ans révolus, toute l’énergie du pays part en fumée de pneus enflammés, en manifestations stériles, en déchoucage de domiciles d’adversaires réels ou imaginaires, en inauguration de monuments hors-sujet, en séminaires et en démarches démagogiques. Et voici qu’aujourd’hui, avant de remettre le tablier, des dirigeants s’amusent avec l’existence de sept millions d’individus sous le regard moqueur de l’occupant invité à venir assister à la mise à mort des gladiateurs en l’absence des F.A.D’H. Voilà ce que c’est quand on se met à trahir à qui mieux- mieux et la mémoire de l’Aïeul victorieux et la dignité d’un peuple souverain : on s’est plu à diviser et à demander à la Communauté Internationale sa coopération multinationale en l’espèce. Spécialiste historique de semblables entreprises, l’Occident est en passe de réussir avec éclat cette nouvelle mission que lui a naïvement confiée un peuple en apprentissage d’indignité.
À la limite, au lieu de dépoussiérer les forces armées d’Haïti de ses branches mortes, de l’émonder de ses boutures épiphénoménales, de ses nervures superfétatoires pour la restituer à sa force de croissance, on a préféré mettre la hache dans ce baobab séculaire sans penser à le remplacer par un séquoia vigoureux. Quoi d’étonnant alors, qu’aujourd’hui l’espace laissé par ce géant soit envahi par les mauvaises herbes. La nature ayant horreur du vide, les déprédations civiles se sont substituées aux malversations militaires pour offrir maintenant à Grand-Goâve, Petit Goâve, Bonbon, Abricots, Maïssade, Mirebalais, Belladère, Hinche etc, l’horrible spectacle des Caligula déguisés en démocrates de principe pourtant anarchistes de conviction. Il n’en reste pas moins vrai que depuis tantôt vingt-cinq ans, la violence et l’insécurité sont devenues projet de gouvernement dans l’approche d’un nivellement global des sensibilités individuelles. Là où l’on ne peut réussir à éliminer les disparités sociales ou économiques, on utilise l’arme de l’insécurité devant laquelle »Tout homme n’est plus un homme » tant que ses facultés créatrices ne peuvent présenter qu’un théâtre boulevardier fait de vaudevilles et de comédies. Quand on se tient tout près de la bête, qu’on en respire le même air, qu’on en connait le même régime alimentaire, on ne peut qu’en assumer l’identité au lieu de cette pratique de domination que la Nature et la Providence nous ont confiée à l’orée du Temps.
Des élections, il en faut à une démocratie ! Mais dans le cas d’Haïti, on impose au bébé de savoir courir avant qu’il puisse se tenir debout. On tire à hue et à dia, l’obligeant à des postures très peu conventionnelles et même à des incartades constitutionnelles. La preuve, les dernières élections n’ont été que pièges à rats pour minus, qui nous ont permis d’assister au déploiement fastueux de l’incongruité dans toute sa nudité biologique et historique. Alors, pour permettre à Euridice de nourrir l’espoir de voir Orphée la sortir de son supplice au goût amer de permanence historique, l’Haïtien doit rompre avec la peur viscérale des « êtres humanoïdes » qu’ils se nomment « macoutes, militaires, attachés, frapistes, brigades de vigilance, terroristes lavalassiens, kadafistes aristidiens et prévaliens » et tous les autres mardi-gras du Carnaval haïtien. Qu’il s’arme de courage et d’audace pour lutter contre les épouvantails à moineaux et les Pères-fouettards de l’environnement culturel national ! Que la jeunesse dépositaire attitrée des valeurs éducatives, culturelles, ancestrales de la Patrie commence à se positionner dès aujourd’hui pour prendre en main le destin national et s’éviter une exploration plus poussée des profondeurs abyssales ouvertes sous leurs pieds par les inconséquences d’une génération de balourds !
Jean L. Théagène
Miami, le 25 Avril 2011