La Diaspora haïtienne et les autochtones: « Contradictions et terrain d’entente »
📅 Texte publié le mercredi 20 avril 2011
Texte reçu le 20 avril 2011
Par Jean L Théagène
« Concilier l’irréconciliable » : voilà en quelque sorte le défi qui se pose aux leaders politiques, directeurs d’opinion et à tout haïtien qui rêve d’un pays ou à défaut d’éclat, il y aurait sérénité dans les destins individuels et dans l’avenir collectif. Avec des éléments de comparaison étalés sur cinq siècles, l’Histoire prend plaisir à nous rappeler que c’est bien au temps de la colonisation que notre pays a connu son plus haut niveau de développement. Le chiffre des exportations dépassait de beaucoup celui des importations créant de ce fait un équilibre parfait dans la balance commerciale de l’époque. En dehors des contraintes de l’esclavage, les indigènes pavoisaient au sein d’une économie florissante qui leur permettait d’envisager d’explorer de nouveaux axes de développement. Ainsi naquit, émergeant de la brume coloniale et éclatant dans la pensée du génial Louverture, Haïti, en tant que nation, en tant qu’État, un certain 1er Janvier 1804.
Aujourd’hui, que la crise a explosé dans toute son acuité, un autre élément est venu se superposer à l’ensemble. En effet, la diaspora haïtienne a décidé de jouer son va-tout en se jetant corps et âme dans la bataille de développement de la Mère-Patrie. Corps et âme certes, mais aussi pieds et poings liés, car ses revendications politiques en retour de son apport financier ont de la difficulté à passer. Chiffrant sa contribution annuelle à une injection de deux cents millions de dollars approximativement dans l’économie haïtienne, elle réclame sa place véritable dans la société dont le nouvel organigramme induit une perception tout aussi nouvelle des rapports devant exister entre les différentes composantes sociales de la nation. Elles sont donc justes, fondées et légitimes, les revendications de la diaspora eu égard à l’organisation générale du pays. Mais là où elles achoppent c’est bien sur l’étendue de l’espace d’évolution réclamé. C’est aussi sur l’arrogance tapageuse de comportements individuels des membres de cette diaspora considérés comme des schémas directeurs par l’ensemble des haïtiens de l’intérieur.
S’il est vrai que l’indigène apprécie hautement le dollar de l’haïtien de la diaspora, s’il est vrai qu’il professe une haute estime pour l’inestimable concours de ce dernier en temps de crise, il est aussi certain qu’il lui voue une espèce de haine larvée à mi-chemin entre la méfiance et la jalousie. Car, pour l’indigène obligé de rester au pays et soumis aux aléas du sous-développement (problème d’alimentation, de logement, de santé, d’éducation, de chômage, de loisir etc…), le compatriote qui a la chance de vivre dans les pays industrialisés n’est nullement confronté à la recherche opiniâtre et quotidienne d’une satisfaction à apporter à des besoins plutôt primaires. À la rigueur, il peut à l’occasion être en proie à certaines frustrations ; mais il vit et c’est là toute la différence avec l’autre qui, malgré ses efforts, se contente simplement d’exister.
De plus, des difficultés d’ordre constitutionnel maintiennent hors des frontières de la politique intérieure les haïtiens naturalisés durant leur séjour à l’étranger. Car, la loi sur la double nationalité n’a pas encore été votée par le Parlement et promulguée par l’Exécutif. De sorte que la plupart des spécialistes haïtiens de l’extérieur sont encore sur le banc de touche bien que les gouvernements « lavalas » de Préval et d’Aristide en soient passés outre dans le choix de certains ministres, directeurs généraux et même de premier ministre. Cela ne veut pas dire pour autant que l’haïtien d’origine, compétent et efficace ne devrait pas pouvoir occuper un poste de direction où ses connaissances et ses talents auraient pu être mis à contribution. Cela signifie simplement que, par respect pour la constitution de 1987 qui a prévu des provisions pour ce genre d’espèce, la diaspora devrait limiter ses prétentions et se contenter d’une participation honnête et légale dans les affaires d’Haïti.
Plus près de la démocratie véritable des USA, du Canada, des pays européens ou caraïbéens que leurs compatriotes de l’intérieur, les membres de la diaspora des USA et du Canada principalement devraient prêcher d’exemple en professant la tolérance et en pratiquant les vertus de la démocratie fonctionnelle. Témoins quotidiens de la lutte acharnée que se mènent sur le terrain de la politique, les grands partis « Démocrate » et Républicain » aux USA, « Libéral » et « Conservateur au Canada, ils devraient pouvoir imiter les comportements imprégnés de haute moralité des partis politiques dont les intérêts sectoriels s’effacent devant les impératifs des conquêtes collectives.
À la lumière de ces données, et en ce jour du 20 Avril consacré « jour de la diaspora » qui, à nos yeux ne revêt aucun sens à la manière du Ministère du même nom, les haïtiens de l’extérieur doivent savoir qu’il n’est pas dans les habitudes des régimes haïtiens de tolérer des mouvements contestataires sous forme de pétitions de millions de signatures ou même de s’en accommoder. Imbue de son importance quantitative et qualitative quant à la problématique du destin national, cette diaspora doit aussi comprendre qu’elle ne saurait avoir à elle seule le monopole du patriotisme. Au demeurant, un fait apparait dans tout son évident pouvoir d’adhésion : « L’amour d’Haïti ne peut plus souffrir de ces spectacles dégueulasses d’Haïtiens qui s’entredéchirent pour les beaux yeux des colons et de leurs sicaires. Alors, haïtiens de l’intérieur et de l’extérieur, soyez pour le pays, pour les ancêtres, pour le bicolore : « Un seul peuple, une seule Nation à tout jamais unis ». Car, quand des vers vibrant, la salle entière tremble, les ennemis, frères, par le frisson du beau, ne se haïssent point.
Jean L. Théagène
Miami, le 20 Avril 2010