Les lendemains du 20 mars
📅 Texte publié le vendredi 18 mars 2011
Nathanaël, mon frère, que vois-tu à l’horizon?
Je vois une génération qui monte.
Je vois une génération qui descend.
Je vois une énorme génération qui monte.
Toute armée de foi dans l’avenir.
André Gide.
Par Jean L Théagène
Ce destin est aussi tributaire de l’acuité de leur vision marquée au sceau d’un patriotisme sans fioriture, sans faille. Qu’importe que le moment se prête aux jeux stupides des intérêts ou aux chassés croisés des provéditeurs insensés! Qu’importe le vrai mobile des politiciens protéiformes! Directeurs d’opinion soumis à une déontologie certaine se doivent de transcender l’esprit de coterie quand les choses se passent en dehors de toute logique et même de gros bon sens.
Le mercredi 9 Mars en cours, nous avons eu l’agréable surprise de suivre un événement fort peu habituel dans les annales de la presse haïtienne. Il s’agissait d’un débat, sur le modèle américain, entre les deux protagonistes du second tour de la présidentielle du 20 Mars 2011. Un débat qui, comme le souhaite tout vrai patriote devrait se reproduire au cours des élections à venir. Durant deux bonnes heures d’horloge, les deux M ont entretenu l’auditoire de leurs visions respectives pour Haïti. Une nouvelle fois, ils ont tenté de vendre au public leurs rêves grandioses d’un pays libéré du carcan du sous-développement, d’un pays enfin décentralisé, qui permette au citoyen de programmer à moyen et long termes, tout en faisant face aux soucis du quotidien.
Au fur et à mesure des interventions du panel de journalistes, les protagonistes ont été amenés à dévoiler leurs batteries : les cent premiers jours du nouveau chef de l’exécutif, la restauration de l’autorité de l’état, la question éducative, les mesures contre l’insécurité alimentaire et l’insécurité tout court, l’appui de la communauté internationale au budget haïtien, le départ de la Minustah, les relations d’Haïti avec la République Dominicaine etc.
A la question de savoir pourquoi la partie haïtienne s’est trouvée marginalisée au sein de la CIRH, les deux M se révèlent heureusement sur la même longueur d’ondes. Pas seulement dans l’entourage de la CIRH mais partout au monde, d’abord comme conséquence de la façon de vivre de l’haïtien . Rappelons que la CIRH, c’est la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti coiffée par William Jefferson Clinton et Jean Max Bellerive. Cette commission s’inscrit dans le cadre du Plan d’Action pour le relèvement et le développement national (PARDN) suite à la loi prolongeant l’état d’urgence, votée en avril 2010, malgré le tollé orchestré par certains secteurs de l’opposition. Mais, contrairement aux attentes et 14 mois après le séisme dévastateur, les travaux de reconstruction n’ont point démarré. En raison de son terrible bilan, ce tragique événement constituait en soi un souci d’extrême urgence car, s’il faut en croire Edmond Mullet : « Il y a eu plus du double de morts ici qu’à l’occasion de la bombe d’Hiroshima » où quelque 140.000 personnes sont décédées le 9 Août 1945 et dans les mois qui ont suivi.
Pendant que le pays est encore en ruines et que des milliers de personnes meurent de choléra, le séisme serait-il déjà passé aux oubliettes de l’histoire, à l’instar du naufrage de Neptune en 1992? Car, les milliards promis par la coopération externe se font douloureusement attendre sous le fallacieux prétexte que le pays ne dispose point d’un gouvernement légitime. Tandis que les ONG font leur beurre, la classe politique se fait pudiquement ou s’en accommode, jetant ainsi une vive lumière sur la dimension existentielle de ce danger. Parce que la grande majorité de leaders haïtiens ont toujours cru devoir courtiser le pouvoir pour le pouvoir, mettant hélas de côté l’aspect service de ce pouvoir.
De ce point de vue, même le petit père des bidonvilles a failli à sa mission et à son serment solennel de servir et non de se servir. Sur ces entrefaites, selon diverses dépêches d’agences, le retour d’exil d’Aristide serait aujourd’hui imminent, mais tout n’est évidemment pas dit, quand certaines voix autorisées ou qui se croient telles, affirment que le moment n’est guère propice au retour du tyran. Pour la chancellerie américaine, sa présence n’est guère souhaitable, à quelques jours du second tour de la présidentielle. Même son de cloche du côté des deux finalistes en présence. A travers leurs circonlocutions, on devine que chacun d’eux a une égale peur du vieux loup, qui, quoiqu’édenté, demeure encore pour eux un personnage avec qui il faut compter.
Cette attitude rappelle un peu les atermoiements de René Préval au début de son mandat. « Il peut rentrer quand il veut dans son pays, disait en substance l’astucieux président, je ne saurais m’y opposer. La constitution ne reconnaissant point l’exil, je ne saurais non plus entraver l’action de la justice ». En d’autres termes, son ancien patron, pourrait bien être traîné devant les tribunaux, tout comme aujourd’hui Jean-Claude Duvalier ou Jacques Chirac si la politique politicienne l’exigeait…
Certes, Manigat et Martelly n’ont point agité la perspective de voir intenter un quelconque procès au clan Aristide-Préval. Ils ont préféré évoquer le caractère hautement perturbateur d’une telle présence à quelques heures de la tenue du scrutin. Ce serait préférable, ajoute le candidat Martelly qu’il regagne le pays trois ou quatre jours après la date fatidique du 20 Mars. Comment faut-il interpréter une telle précision? Souci de sécurité nationale ou tendance à s’aligner sur la position de la communauté internationale? Et comment comprendre la position de la dite communauté? D’Augusto Ramirez Ocampo à Edmond Mullet, en passant par les Caputo, Valdez, Hanabi et autres, les fameux amis d’Haïti ne jurent que par la Charte Fondamentale de notre pays. Au moins, depuis le coup de 1991, tous affirment sans sourciller qu’ils veulent respecter la constitution et les lois de la république. Mais ne nous y trompons pas. Il s’agit d’un respect quelque peu sélectif, comme on a vu par le passé sous les gouvernements militaires. On choisit de respecter les articles de la constitution qui ne gênent point les visées totalitaires de celui-ci ou de celui-là. L’ONU et ses affidés choisissent, eux aussi, de s’en tenir uniquement aux passages de notre charte fondamentale qui … ne gênent pas leur présence dans le pays.
La constitution ne prévoit d’exil pour personne, assure-t-on; aucun citoyen haïtien ne peut être forcé de laisser son pays. Qu’à cela ne tienne! Les amis d’Haïti continuent de croire qu’Aristide ferait mieux de prolonger son séjour à l’étranger. Comprenne qui pourra!
Au moment où nous concoctons ces lignes, les bulletins d’information continuent sur le même ton. La chancellerie Sud-Africaine prétend fort justement qu’elle ne saurait s’opposer au départ de son hôte, si celui-ci, dument muni de son passeport haïtien, décide de regagner son pays. De son côté, la représentante Lavalas estime, qu’aucune puissance étrangère ne peut empêcher l’ex-président de rentrer chez lui. Et aux dernières nouvelles, on apprend que l’ancien prêtre des Salésiens de St Jean Bosco serait à Port-au-Prince ce jeudi 17 mars.
Nouvelle accélération de l’histoire? Force est pourtant de reconnaitre que le retour sur la scène politique de Jean Bertrand Aristide pourrait augurer une nouvelle ère dans le panorama général du pays. Pour nous autres de L’UNDH, nous entrevoyons déjà, au seuil même du mandat du président élu, la mise sur pied d’un conseil national des anciens présidents d’Haïti (CNAPH). Oui, vous avez bien lu : tous les anciens présidents, encore vivants, deviendraient automatiquement membres de ce conseil consultatif, non rémunéré, appelé à donner leur avis au président en fonction sur les grandes questions d’intérêt national. Ainsi pourraient se retrouver à la même table, non seulement Jean-Claude Duvalier et Jean Bertrand Aristide mais encore un Leslie Manigat, un Henri Namphy, un Prosper Avril, une Ertha Trouillot, un Boniface Alexandre ou un René Préval.
Voilà une suggestion hautement patriotique à laquelle devraient souscrire toutes celles et tous ceux qui font profession d’aimer Haïti. C’est là une idée force que devrait appuyer la classe politique dans son ensemble, comme une étape de la grande réconciliation nationale dont on n’a cessé de nous rabattre les oreilles depuis de si longues années.
Alors, pour transcender ce legs historique qui conditionne nos réflexes de défense pendant près de trois siècles, entrecoupés par le hiatus de la « paix americana » qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Pour effacer de l’âme de l’haïtien qui est plus à plaindre qu’à blâmer les stigmates de ce passé tels qu’ils viennent d’être renforcés par la douloureuse expérience de ces vingt-cinq dernières années. Ne faudrait-il pas, pour nous en sortir, que le vote du 20 mars reflète une raison raisonnante devant permettre aux élites conscientes du problème de s’attaquer aux causes pour finalement détruire les injustices séculaires sur lesquelles notre civilisation a été fondée; éliminer les tabous qui intimident et fossilisent; rétablir la confiance dans le corps social et mettre à contribution la portion saine du pays qui, qu’on le veuille ou non reste la force silencieuse.
A ce carrefour de l’histoire, nous revient à la mémoire cette pensée de l’écrivain allemand : « Tous les êtres jusqu’ici ont créée quelque chose au-delà d’eux-mêmes et vous voulez le reflux de cette grande marée et vous préférez retourner à l’animal plutôt que de surmonter l’homme ». In limine litis, au vainqueur des urnes, L’UNDH présente ses patriotiques salutations.
Jean L. Théagène
Miami, le 17 Mars 2011