Préval s’en ira-t-il en Mai 2011?
📅 Texte publié le dimanche 6 mars 2011
Texte reçu le 5 mars 2011
Malheur au peuple en qui il ne reste aucun ombrage même mal fondé sur la liberté! Cette nation tombe dans un sommeil doux, mais c’est un sommeil de mort.
Par Jean L Théagène
A l’occasion du week-end écoulé, je suis tombé par hasard sur “Un coup de grâce recto verso” de Mme Ginette Chérubin que j’ai lu avec beaucoup de plaisir tout en me laissant un pincement au cœur. Un texte émouvant, pathétique qui convie le citoyen à une autocritique et à une prise de conscience sur tous les aspects de la perception qu’il projette sur l’écran international en ces années de coprophilie historique qui ne cesse d’incommoder les narines aseptisées des enfants du pays.
Quoiqu’il en soit « Il faut une terrible passion pour tenir contre une humiliation qui ne finit point ». Cette assertion de Denis Diderot s’applique encore aujourd’hui à la situation des gens de réflexion qui, dans leur quête de la vérité ou leur parcours vers les sommets, ne cessent de buter contre les obstacles de taille. Aussi, ne devrait-on pas s’étonner, qu’aujourd’hui encore l’atmosphère haïtienne reste empuantie de ces relents nauséeux qui asphyxient les poumons des Héros et transforment en nains les géants qui nous ont jadis façonné cet environnement. Devrons-nous toujours être sur la défensive dans ce combat entre la raison et la passion? La société quelquefois condescend à absoudre les lunatiques, les erratiques et les hiératiques mais elle pardonne difficilement la forfaiture des Pétain ou des Conzé en matière de crimes de lèse-patrie aux complicités tentaculaires. Et pour mieux comprendre ce qui se passe de nos jours au pays de Dessalines, plantons le décor:
Préval laissera-t-il vraiment le pouvoir le 14 Mai 2011? Voilà une question plutôt insolite, dans la mesure où le second tour de la présidentielle est fixée au dimanche 20 Mars? Tout est déjà fin prêt, affirment les responsables, même les erreurs grossières relevées au premier tour seront corrigées. Dans ce salmigondis, il ne reste que quelques jours pour que le pays passe sous le gouvernail d’un nouveau timonier, si on ose appeler timonier le nihiliste qui, depuis bientôt cinq ans, se moque littéralement de la population. Quelques jours pour changer d’exécutif et qui sait, réorienter la politique générale du pays. Mais de quelle orientation parlons-nous?
Voilà déjà vingt ans que Lavalas occupe le devant de la scène. Préval lui-même a été élu deux fois Président de la République. Mais Lavalas ne semble plus en odeur de sainteté, pourrait-on dire, auprès d’aucun secteur. Au moment où de partout les populations oppressées s’engagent, au péril de leur vie, à nettoyer leurs écuries d’Augias, des observateurs estiment que M. Duvalier, le revenant, dispose d’une plus grande capacité de mobilisation que l’actuel locataire du Palais National (ou de ce qui en reste). Alors que l’ancien Président à vie, sur qui pèsent pourtant de lourdes charges, prescription ou pas, ne cesse de recueillir des vivats sur son parcours, le marassa d’Aristide ne récolte qu’un flot d’injures des plus grossières quand il s’aventure dans les rues. Une telle antipathie explique, ne serait-ce que partiellement, l’indifférence des électeurs face au candidat de l’INITE, baptisé “ iniquité” par la malice populaire. En dépit de l’énormité des moyens humains, matériels et financiers mis en jeu, la formidable machine de propagande et les nombreux montages destinés à brouiller les pistes des votants, Mr Jude Célestin n’a pas pu s’imposer à l’électorat.
Rappelons aussi pour l’histoire qu’après avoir encouragé, financé à coups de millions et cautionné les élections controversées du 28 Novembre 2010, les tuteurs d’Haïti ont dû reculer sous la pression populaire pour se rallier à la logique illogique de l’OEA préconisant le recomptage des fraudes. Nouveau résultat donc, pourtant connu d’avance, car il s’agissait simplement d’écarter le candidat du pouvoir. Tandis que la grande presse mondiale faisait chorus contre celui qu’elle appelle le gendre du Président, Washington de son côté met le paquet. Et face aux traditionnelles menaces de sanction, notamment la suppression ou la suspension de visas américains, les résultats ne se sont point fait attendre. Dans leur petitesse, les coordonnateurs de l’Inité se sont empressés d’annoncer le retrait de leur candidat, bien avant que celui-ci se manifeste, mettant à nu l’indignité des dirigeants devant l’anxiété des gouvernés.
Il n’en reste pas moins vrai que Célestin, le candidat malheureux a essayé de se rattraper dans un beau morceau d’éloquence patriotique, de profondes réflexions qui, dans un autre contexte, eussent probablement porté fruits en stigmatisant l’ingérence éhontée de la communauté internationale jouant des poings et des pieds pour l’écarter de la course. Mais dans le cas de référence, les ultimes gesticulations de Jude se sont révélées des coups d’épée dans l’eau pour avoir hérité de la mauvaise image de Préval dans l’opinion publique. Ainsi, cinq ans après avoir lancé ses troupes à l’assaut de l’Hôtel Montana, le vieux Président a pratiquement déballé toutes ses cartes. Aujourd’hui, c’est un homme mis à nu, n’inspirant plus confiance à personne, dans la mesure où il a déployé un cynisme que lui envierait Boisrond Canal lui-même! Ce n’est ni Jacques Edouard Alexis, encore moins Michèle Pierre-Louis qui affirmeraient le contraire…Il ne reste qu’à Jude d’apprendre à ses dépens le mot célèbre de Napoléon: ”Les gouvernements ne tiennent leurs promesses que lorsqu’ils y sont forcés ou lorsqu’ils ont quelque chose à y gagner.
Sans vouloir exciper d’une quelconque vaine gloriole, qu’il me soit permis de reproduire un passage d’une de mes notes de presse de septembre 2009 “L’imbroglio que vit Haïti aujourd’hui réside précisément dans cette absence de volonté nette, dans ce non-être politique, dirions-nous, de la part d’un homme qui est censé incarner la souveraineté populaire…
Par ailleurs, depuis le 16 Janvier 2011, Jean-Claude Duvalier est de retour d’exil. Un exil d’un quart de siècle qui semble avoir passablement avachi l’ancien homme fort, mais se révèle aujourd’hui insuffisant pour calmer la fureur de ses ennemis d’hier. Sous couvert de justice, on veut et réclame sa peau. En dépit de sa présence inoffensive, certains plaignants ne mâchent point leurs mots: reconnu coupable ou non, M. Duvalier aurait dû être purement et simplement incarcéré. Depuis le Québec, une journaliste haïtienne s’étonne même que le “dictateur” soit laissé libre de se pavaner “ dans notre pays” Sur ces entrefaites, les partisans de “La bête de Gévaudan” s’agitent. Son avocat américain est déjà en possession d’un passeport qui devrait permettre au Président déposé de regagner son pays. Rappelons en passant que Préval n’a jamais cessé de différer cette requête, tout en précisant que la constitution en vigueur ne reconnait point l’exil.
Voilà, à brèves hachures d’idées, le panorama général qui attend l’élu du 20 Mars. Pour peu qu’on y prête attention, ce panorama peut se révéler explosif, puisque lourd de frustrations accumulées. Peu importe le vainqueur, la question est de savoir quelle marge de manœuvres, quelle légitimité réelle aura le prochain Président pour diriger le pays et maintenir une certaine stabilité propice à la reconstruction pour lui permettre enfin d’atteindre la légitimation de la souveraineté? Mais que peut-on vraiment attendre des deux protagonistes du second tour? Là, je crois entendre Charles Péguy me redire tout bas à l’oreille:” C’est manquer à la raison que de vouloir un gouvernement de raison”.
D’un côté, une septuagénaire, secrétaire générale du RDNP, parti qui devra prouver à l’opinion haïtienne que sa candidate peut s’affranchir de la tutelle de son époux, lequel époux demeure fort peu populaire auprès de la grande majorité des électeurs, compte tenu de sa percée lou-verturienne des années 88, mais très respecté de la gent intellectuelle. De l’autre, un artiste de profession, entrepreneur de son état, jouissant d’une popularité édifiée tout au long de ses années de carrière d’amuseur public. Ce candidat se révèle de loin mieux articulé que l’ancien chanteur des Fugees rejeté par le CEP et devenu aujourd’hui l’allié de son rival. Mais il reste aux yeux des conservateurs un sujet d’inquiétude à divers points de vue. Alors que, jusques à nos jours, les hommes n’avaient entendu en ce qui touche les rapports de la politique et de la morale que deux enseignements: l’un de Platon qui disait: ”La morale détermine la politique; l’autre, de Machiavel : la politique n’a pas de rapport avec la morale, ils en entendent aujourd’hui un troisième enseigné par M. Maurras : La politique détermine la morale. Et le débat politique face à la faillite morale de ce pays ne se joue que sur ces deux termes au second tour. Somme toute, l’incertitude reste d’autant plus effrayante pour ce pays en ruines depuis le 12 Janvier 2010. Rien qu’à la capitale, des dizaines de milliers de personnes bivouaquent au Champ de Mars avec tout ce que cela implique de promiscuité et d’insalubrité.
Une commission intérimaire dite de reconstruction nationale a bien été mise sur pied dans les conditions que l’on sait. En d’autres temps, personne ne saurait nous empêcher de parler de camouflet à la souveraineté du pays. Mais de nos jours, le paradigme a changé. Haïti, pays assisté, ne saurait être indépendant et doit être pris en charge. Cette commission, coiffée par un ancien président américain et l’actuel Premier Ministre Haïtien, attend, pour démarrer, que soient décaissés les fonds faramineux promis par la communauté internationale. Celle-ci, de son côté, semble attendre l’élection du nouveau Président, celui qui, croit-on, avec justesse, bénéficiera de l’onction populaire. Mais que se passera-t-il si, de guerre lasse, ce nouvel élu est…empêché de prêter serment?
Alors, ne nous voilons pas la face: notre rôle est d’anticiper. Si nous ne pouvons plus, comme le suggérait François Duvalier, créer les évènements, nous devrions au moins être en mesure d’aller au-devant des circonstances. Voilà pourquoi, nous invitons nos amis et confrères de la classe politique à se poser cette question qui nous parait des plus pertinentes quand, là-dessus, notre fameuse constitution reste muette: Que se passera-t-il si, pour quelque motif que ce soit, à la transmission institutionnelle d’un gouvernement à l’autre, le président élu n’est pas disponible au jour de son investiture? 20 Mars-14 Mai, beaucoup d’eaux peuvent couler sous les ponts! 20 Mars-14 Mai toutes les éventualités sont envisageables, de la crise cardiaque à l’assassinat politique! De Préval, que doit-on attendre, sinon que la poursuite accélérée de la descente aux enfers pour un pays et pour un peuple? Que peut-on attendre sinon que la violence aveugle, la sauvagerie animale? La vérité est immuable en elle-même et survit à tout. Comme dans ses habitudes, il fera ce qu’il sait faire de mieux…
Bref, advenant que le président élu parvienne à passer le cap de l’investiture, quelle sera la configuration du Parlement? On peut déjà prévoir que le Parti de l’Iniquité aura la majorité et en conséquence disposera de la faculté de choisir le nouveau chef de gouvernement. Au fond, pour l’histoire et pour la vérité, cette double casquette de Président et de Premier Ministre ne répond pas à nos us et coutumes. Alors, nous voilà donc partis, avec des institutions bancales, pour ce qu’en France on appelle la cohabitation, c’est-à dire la présence à la tête du gouvernement d’un Premier Ministre issu d’un parti majoritaire à l’assemblée mais différent de la formation politique du Chef de l’État. Le socialiste François Mitterrand, président de la république française, a dû cohabiter avec son vieil adversaire de la droite, Jacques Chirac. Celui-ci, devenu Président devra faire contre mauvaise fortune bon cœur et accepter le socialiste Michel Jospin à Matignon.
On retrouve à peu près le même schéma aux États-Unis d’Amérique quand l’opposition gagne les élections du mi-mandat. C’était le cas de Bill Clinton en 1998 ou de Barak Obama en 2010. Les vainqueurs ont pratiqué une politique d’obstruction systématique allant jusqu’à bloquer le budget de fonctionnement de l’Administration Clinton. Au moment où nous griffonnons ces lignes, une menace similaire semble peser sur Obama.
Inutile de préciser qu’il s’agit de pays aux institutions solides, capables de résister sans grand dommage aux soubresauts de la politique. Mais quid d’ Haïti, pays de l’intolérance, qui fait ses premières armes en démocratie et dans des élections-bidons où le parti majoritaire au Parlement ne jouit d’aucune popularité réelle? Ce pouvoir naissant sera-t-il contraint dans un avenir pas trop lointain à jouer la population contre le parlement? Préval, en désespoir de cause, aurait-il sciemment laissé au peuple haïtien ce cigare allumé aux deux bouts dont parlait Lysius Félicité Salomon Jeune? A chacun d’en juger et d’en tirer telles conséquences que de droit…Car, les vraies questions ne doivent pas être escamotées au profit des aiguillons de l’instinct, donc de la bêtise humaine.
Voilà où l’on en est en pratiquant l’excessif et le compassé. Il est vrai que le courage du peuple haïtien lui a toujours permis de résister aux pressions du présent et même de poser des jalons pour l’avenir, quand même il s’agirait de rêves simplistes ou de grotesques illusions. Mais quand la patience s’use à la meule du temps, il est aussi certain qu’elle peut avoir un effet désastreux, paralysant, cataleptique au point de transformer un peuple dynamique en une communauté figée dans les affres et relents d’une grandeur passée.
Jean L Théagène
Miami, FL (USA), le 4 Mars 2011