Homélie de Mgr. Colimon lors de la cérémonie funébre du 29 décembre en souvenir de Mgr François Gayot
📅 Texte publié le vendredi 7 janvier 2011
Mgr François Gayot, archevêque émérite du Cap-Haïtien décédé le jeudi 16 décembre à l’hôpital Gemelli, à Rome en Italie, eut droit à trois cérémonies funèbres. La première eut lieu à Rome (Italie) deux jours après son décès. Le 29 décembre en l’église Saint-Louis Roi de France, à Port-au-Prince, ses confrères montfortains et la Conférence épiscopale d’Haïti (CEH) lui ont rendu hommage. Le lendemain, la dernière cérémonie funèbre se tint au Cap-Haïtien.
Nous présentons ci-après le texte de l’homélie prononcée par son confrère dans l’épiscopat, Mgr Frantz Colimon, smm, lors de la messe du 29 décembre, une courtoisie de Frère Buteau (Brother Tob) du Centre National de l’Apostolat Haitien basé à Brooklyn NY.
« Heureux les doux, car ils posséderont la terre ».
Ces doux, ce sont les « doux et humbles de cœur », selon le cœur de Jésus lui-même (« je suis doux et humble de cœur »). Ils posséderont la terre promise. Non pas celle où Josué avait mené le peuple au repos, mais la Jérusalem céleste où le Christ nous mène au repos définitif. Monseigneur François Gayot a fait sa migration de ce monde à l’autre, sur les traces du Christ grand prêtre éternel, se consacrant à Dieu le Père par le sacrifice parfait et définitif.L’offrande sacrificielle est un transfert de ce monde à l’autre. Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin.
La messe de funérailles de Mgr François Gayot, smm, fut célébrée à Rome le samedi 18 décembre qui était la journée internationale des migrants. Le Seigneur couronne ainsi toute la vie de Mgr François Gayot, le migrant chargé des migrants. C’est par une rencontre de la Commission Internationale de la Migration que Mgr François Gayot se trouvait à Rome depuis le mois de novembre. Va où tu veux, meurs où tu dois. Dieu s’est chargé de donner une réponse claire à ses multiples déplacements. Se taire, c’est laisser à Dieu le soin de parler. Il nous conduit par des chemins sinueux, dans la nuit de la foi, avec « un rayon de ténèbres », dit notre Père Saint Jean de la Croix.
C’est au jour le jour qu’il nous fait signe et nous invite à renouveler constamment notre adhésion inconditionnelle aux imprévus continuels de sa divine volonté. Ce n’est qu’après son passage que nous devinons ses traces. Nous le voyons de dos, comme Moïse dans l’anfractuosité du rocher. Pendant qu’il passe, il met sa main sur notre visage. C’est le « sommeil des puissances ». Nous faisons comme si tout dépendait de nous, tout en sachant que sans Lui nous ne pouvons rien faire, car nous pouvons tout en celui qui nous fortifie, sa puissance se déployant dans la faiblesse.
Dieu nous prépare à notre mission et à chaque instant nous demande notre consentement. Il a inscrit Saint Joseph au terme de la lignée de David, puis lui demande son acquiescement pour qu’il y insère l’Enfant Jésus né de la Très Sainte Vierge Marie.
Misant sur Lui, nous sommes sûrs de réaliser notre mission jusqu’au bout. Mgr Gayot vivait à fond son être missionnaire, qui exigeait de lui d’être disciple de l’Esprit Saint La façon d’être missionnaire, c’est la question qu’il se posait constamment. Il n’était pas missionnaire une fois pour toutes, déterminé « ad unum » suivant un barème bien précis. Il se pliait aux circonstances qui se renouvellent sans cesse ; il était comme en équilibre instable, son centre de gravité tombant en quelque sorte en dehors de son polygone de sustentation. C’est le déplacement continuel qui lui permettait de rétablir l’équilibre d’une certaine façon. En véritable missionnaire, il n’était ainsi jamais en repos.
Maintenant qu’il a atteint son but définitif, nous pouvons dire : « requiem aeternam, dona ei Domine ». Le repos éternel que nous implorons pour lui à l’occasion de ses obsèques, se situe au terme de toute une vie missionnaire, qui était un déplacement continuel.
Archevêque émérite du Cap Haïtien, il était censé bénéficier d’un repos bien mérité. Il continuait pourtant une activité fébrile, se posant à tout instant la question de fond : « en quoi consiste pour moi être missionnaire aujourd’hui dans telle situation précise »? Et il allait jusqu’au bout des exigences en cherchant, avec les moyens dont il disposait, à répondre à ce qu’il croyait être la volonté du Seigneur, qui un jour lui dirait : « Viens, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître ».
On s’étonnait peut être à raison, de le voir sillonner si souvent les continents. Il n’avait de comptes à rendre qu’à son Seigneur, qui s’est chargé de lever le voile au dernier moment, en ce samedi 18 décembre, Journée Internationale des Migrants, où ses funérailles ont été chantées à Rome. Se taire, c’est laisser à Dieu le soin de parler.
Chargé de la pastorale de la migration, il est mort en migrant. Il est allé aux pauvres pauvrement. « Defunctis adhuc loquitur ». Ayant terminé ses fonctions terrestres, il nous interpelle encore de l’au-delà. Comment vivait-il son être missionnaire ? – Il était d’abord disciple de l’Esprit Saint qui écrit droit avec des lignes courbes et brisées. Toute la nuit, il pouvait avoir travaillé sans rien prendre, mais sur la Parole du Seigneur, il lançait hardiment les filets pour la pêche. Peu lui importait d’être jugé par un tribunal humain. Sa conscience même ne le jugeait pas. Il pouvait dire avec Saint Paul : Scio cui credidi » ; il savait en qui il avait mis sa confiance.
Sa devise épiscopale était : « ad lucem per crucem », « à la lumière par la croix ». C’est la nuit de la foi. L’ombre de la croix se profile déjà sur l’étable de Bethléem. La lumière est intérieure à l’acte de foi. Il était souvent seul à percevoir le but qu’il recherchait. Tous les moyens étaient enveloppés de ténèbres. Ce qui était premier dans l’intention était dernier dans l’exécution. Il a tenu jusqu’au bout dans la démarche de la foi pour sortir du tunnel et se voir inondé de lumière. L’annonce joyeuse de l’Archange Gabriel passe par l’annonce douloureuse du vieillard Siméon. « Ad lucem per crucem ». « A la lumière par la croix ».
Sa consécration épiscopale avait été célébrée le 2 février 1975 au Cap Haïtien, le jour de la Chandeleur, la fête de la Lumière, fête missionnaire. Lumière pour éclairer les nations, gloire de ton peuple Israël. Il pouvait s’appliquer le message adressé au serviteur du Seigneur : « c’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur, pour relever les tribus d’Israël, Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre.
S’occupant de la pastorale des migrants, il prenait sa fonction à cœur. La lumière qui brille au fond des ténèbres de la foi en son cœur, le guidait pour passer d’un continent à l’autre, oubliant ses attaches viscérales pour vibrer au diapason de l’univers, s’étant bien rendu compte que la mission est universelle , comme l’Église, Dieu voulant que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la Lumière de la Vérité.
Il a su adroitement éviter de fonctionner en circuit fermé. Son cheminement empruntait le parcours d’une spirale débouchant sur l’horizon de l’infini, loin de développer un climat insulaire qui replie sur soi et isole des autres.
Il était, certes, personnel, mais pas individualiste, étant tout relatif à la communauté. Il inclurait l’Évangile pour évangéliser la culture. Avec patience, en suivant les sinuosités des sentiers tracés par le Seigneur. « Ad lucem per crucem ». « A la lumière par la croix ». A travers la croix jaillit la lumière, intérieure à l’acte de foi. Elle se lève, la splendeur de la lumière éternelle, le soleil de justice, qui vient illuminer ceux qui gisent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. Il a porté la lumière en passant par les ténèbres. Il est allé aux pauvres pauvrement, aux migrants en migrant.Il n’avait pas ici bas de cité permanente, et recherchait celle de l’avenir. Sa conversation était au ciel. C’est le chemin qu’il indiquait tout en ayant les pieds sur la terre. Il savait déceler les différences qui concourent à la complémentarité, faire jouer une symphonie commune avec des instruments qui apportent leur tonalité spécifique.
Dans la migration, il avait trouvé un chemin vers la paix, la paix sans frontières. Seul le pauvre est artisan de paix. L’artisan n’est pas artiste. L’artiste se repose. L’artisan travaille toujours. Il ne se reposait pas, sachant que la paix est dynamique, qu’on n’a jamais fini de travailler pour l’instaurer. Il s’est fait migrant sur le chemin de la paix. La paix est toujours en devenir. Son chemin débouche sur l’éternité. Un enfant nous est né, un fils nous est donné, il reçoit ce nom : « conseiller-merveilleux, Dieu fort, Père-éternel, Prince de la Paix, qui n’a pas où reposer la tête. Né dans une crèche, mort sur la croix, le Christ nous trace le chemin de la paix. Né en migrant, il est mort en migrant. Il avait préparé Mgr François Gayot à le suivre jusque là. Les voies de la sagesse ne sont pas rectilignes. La divine Sagesse peut conduire d’abord par un chemin sinueux avant de découvrir ses secrets.
Monseigneur François Gayot est né le 12 juillet 1927, à Port-de-Paix. Il est mort le 16 décembre 2010, à l’hôpital Gemelli de Rome, dans la ville éternelle où il était allé pour une rencontre de la Commission Internationale de la Migration. Ses obsèques ont été célébrées à Rome le samedi 18 décembre, journée internationale des Migrants. Sa vie est faite de migrations successives. Elle se termine non sur un point final, mais sur un point d’orgue, où les harmoniques de la migration vers la paix se répercutent d’écho en écho ans les éternités d’éternités.
Le monde actuel écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, dit le pape Paul VI, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. C’est le cas pour Monseigneur François Gayot : « defunctis adhuc loquitur ». Il nous interpelle encore après avoir achevé sa fonction terrestre.
La tradition passe par l’imitation. « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ », dit Saint Paul. C’est une initiative de Jésus-Christ médiatisée. « Soyez les pasteurs du troupeau, non pas en faisant les seigneurs à l’égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau », nous dit Saint Luc.
En successeur des apôtres, Mgr François Gayot nous a tracé le chemin de la migration vers la paix universelle. C’est l’objet de la mission. L’acte sacrificiel est une migration, un transfert d’appartenance. « Sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père pour le suprême sacrifice, le Christ, grand prêtre éternel, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin ». Au dernier jour, nous serons jugés sur l’amour, nous dit notre Père Saint Jean de la Croix, l’amour sans frontières. Notre Dame, Reine de la paix, la vierge pèlerine, discrètement, veut nous accompagner sur le chemin de la paix. « La première en chemin, Marie tu nous entraînesà risquer notre oui aux imprévus de Dieu.Et voici qu’est semé en l’argile incertaine de notre humanité, Jésus Christ, Fils de Dieu.Marche avec nous Marie, »sur les chemins du Christ, imprévus et imprévisibles.
Dieu sollicite notre foi pour une réponse libre au dessein qu’il a préparé pour nous de toute éternité, afin que notre volonté se conforme à la sienne.
- Il a préparé Notre Dame par l’Immaculée Conception. Il lui demande son libre consentement pour qu’elle soit la mère de son divin Fils.
- Il a préparé Saint Joseph en faisant de lui le terme de la lignée de David. Puis il lui demande son acquiescement pour qu’il insère Jésus dans cette lignée généalogique en acceptant de prendre chez lui Marie son épouse.
- Il a préparé Mgr François Gayot dans la voie de la migration. Puis il lui demande son accord pour qu’il se charge de cette pastorale.
Mgr François Gayot a su renouveler son oui tous les jours, de migration en migration, jusqu’à la migration définitive, le passage suprême vers l’au-delà. Oiseau migrateur, telle fut sa vocation et sa mission. Il n’avait pas ici-bas de cité permanente. Il recherchait celle de l’avenir, entouré d’une multitude de témoins de la foi, Abraham et sa postérité. Etranger et pèlerin, comme tous ses « pères dans la foi », il était nomade spirituel. Il ne regardait pas en arrière pour évaluer le chemin déjà parcouru et se complaire dans le fruit de son travail. Il avait radié de son vocabulaire missionnaire le terme de « repos ».« En Dieu seul était le repos pour son âme ». Qu’il repose en paix » !
Va plus loin,
le voyage est à peine commencé,
et la route est encore longue vers la fraternité.
Mgr. Frantz Colimon, smm
Evêque émérite de Port-de-Paix