Message de Noël 2006 de la Conférence des Évêques d’Haïti
📅 Texte publié le dimanche 10 décembre 2006
Texte reçu le 4 décembre 2006
A tous nos frères et soeurs Haïtiens d’ici et d’ailleurs, et à tous les hommes de bonne volonté. Frères et Sœurs bien-aimés,
1. En ce début de l’Avent 2006, dans un contexte où notre peuple est soumis à une vague de violence aveugle et inhumaine, où notre Eglise elle-même connaît de dures épreuves, où notre environnement saccagé et brutalisé devient plus vulnérable que jamais, où nos concitoyens sont conviés aux élections, nous, Évêques d’Haïti, vous adressons ce message pastoral.
2. « Tu ne tueras point » (Ex. 20,13). C’est un commandement de Dieu. La vie humaine est sacrée parce qu’elle est don de Dieu. Malheureusement, nous constatons, aujourd’hui plus qu’en aucun temps, que cette vie est banalisée. Des hommes, des femmes et même des enfants sont traités comme des objets, négociés comme une marchandise.
3. Les actes de « kidnapping » se multiplient. Ils sont accompagnés parfois de torture, de viol et de meurtre. Ils engendrent angoisse et peur. Ils détruisent la vie. La méfiance s’installe partout. La déroute est visible. L’espoir de tout un peuple est mis à rude épreuve. Au silence étouffant des uns se mêle le cri désespéré des autres, pour exprimer la même détresse : « Nou pa kapab ankò. » Les familles aux abois crient au secours. Elles demandent aux responsables du pays d’intervenir en leur faveur.
4. Dieu voit la misère de son peuple. Il entend le cri de sa souffrance (Ex 3,7), le cri de tout un peuple qui retentit aussi dans nos cœurs et nos entrailles de Pasteurs. Nous condamnons la violence qui meurtrit notre peuple.
5. Ce phénomène nouveau du « kidnapping » vient s’ajouter au cortège de fléaux qui faisaient déjà notre malheur:
- Le cri des rapatriés qui réclament des pays d’accueil des pratiques dignes des personnes et respectueuses des normes.
- Les déportés dont certains ont arrosé de leur sueur d’autres terres et qui, jugés indésirables, nous sont renvoyés sans autre forme de procès.
- La ponction pratiquée au sein de nos cadres, la misère sans nom qui étouffe, une insécurité galopante dont ces enlèvements ou « kidnappings » sont l’élément prépondérant.
6. Ce phénomène qui a tout l’air d’une entreprise organisée et structurée, d’où nous vient-il ? A la vérité, il n’est pas tout à fait nouveau. Ce qui le caractérise aujourd’hui et lui donne une dimension nouvelle, ce sont ses sources cachées, son ampleur, sa rentabilité éhontée. L’on est en droit de se demander qui commandite ces actes. A qui profitent ces crimes abominables ? D’où puisent-ils leur source ? Jusqu’où remontent-ils ? Ne faudrait-il pas s’interroger sans parti pris sur cette situation et interpeller les consciences ?
7. Vous qui commanditez ces crimes organisés, et vous qui, pour les exécuter, avez opté pour la violence, le kidnapping, le viol et même l’assassinat, vous détruisez la vie ! Nous sommes sûrs que vous tenez à votre propre vie. Saisissez la lueur de lucidité qui traverse encore votre conscience. Détournez-vous de cette voie de la mort.
8. Dirigeants du pays, vous qui avez en main les destinées de ce peuple, avez-vous trouvé et appliqué la bonne formule pour faire face à cette situation ? On n’en voit guère encore les résultats. Nous vous demandons de prendre des dispositions judicieuses et d’utiliser des moyens adéquats pour assurer au mieux la sécurité des vies et des biens tout en faisant preuve de fermeté et de détermination.
9. Représentants de la Communauté Internationale, votre action a-t-elle jusqu’ici influé positivement sur le phénomène du « kidnapping »? Ne pourriez-vous pas davantage contribuer à juguler cette plaie ?
10. Et nous, fils et filles de cette terre, que voulons-nous faire de notre pays ? Voici venu le temps des élections ! L’occasion nous est fournie de faire le choix d’un nombre important de dirigeants, à divers niveaux : notre vote représente l’expression du pouvoir de chacun sur le destin de la Nation. Ce vote doit, au-delà des personnes, dire que nous choisissons des programmes, la compétence, l’honnêteté, la vérité, le désintéressement, autant de valeurs éthiques opposées à la corruption. Haïti semble échapper complètement à ses enfants. Dépassons nos divisions. Faisons taire nos rancunes. Vivons l’union au lieu d’en parler. Que l’intérêt national et le bien commun priment les intérêts individuels, de groupes ou de partis.
11. L’Eglise nous invite, en ce temps de l’Avent, à attendre et à préparer l’événement majeur qu’est la naissance du Sauveur. Le peuple attend avec une grande espérance la venue de ce Messie. Jean Baptiste, le dernier des prophètes, lance un appel à la conversion, au partage et à la solidarité : « que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas et que celui qui a de quoi manger fasse de même ! » Il invite aussi au rejet de toute corruption et tout usage abusif de la force : « n’extorquez rien, contentez-vous de votre solde. » Il exhorte enfin à pratiquer la justice et à respecter l’intégrité de la personne humaine : « n’exigez rien au delà de ce qui est prescrit, ne molestez personne. » Cf. Luc 3, 10-14.
12. Frères et sœurs bien-aimés, rien n’est jamais définitivement perdu. Ayiti pap peri. Pran kouraj, pa febli. Dieu est toujours fidèle à ses promesses. Tournons-nous vers Lui. Que Marie, la Mère de Dieu, Notre-Dame du Perpétuel Secours, intercède pour nous et nous accompagne sur ce chemin !
Port-au-Prince, le 1er décembre 2006.